Voyage 6/6

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Xavier prit son temps pour venir. En l’attendant, Ombre avait ravivé le feu de l’antichambre, et faisait les cent pas pour se réchauffer. À peine l’humain ouvrit la porte, qu’elle lui demanda d’un ton neutre une audience privée.

- Souhaitez-vous que je la chasse ? Murmura le garde.

Le sieur bâilla, et reconnut l’espionne à travers les brumes du sommeil. Il congédia ses gardiens et, pour éviter qu’ils n’entendent la conversation à venir invita Ombre dans sa chambre. Pour une chambre seigneuriale, la pièce semblait exiguë, mais plus facile à préserver du froid que de nombreuses pièces du château. Un autel dédié aux Vents côtoyait celui des Ancêtres. Il se réfugia sous ses couvertures, transi de froid et de sommeil.

- Quelle urgence t’amène aussi… à une heure pareille ? Demanda-t-il d’une voix ensommeillée.

- Vous comptez me sacrifier.

L’humain, déjà prêt à se rendormir, ne saisit pas tout de suite l’importance de ce que venait de prononcer l’affranchie. Lorsqu’il comprit, cela chassa son besoin de sommeil. Alerte, il se tourna vers Ombre et la dévisagea avec attention. Déjà, son esprit se mettait en branle, il guettait la plus petite miette d'information.

- Qu’en sais-tu ?

- J’ai lu la lettre du duc d’Uhvnerr. Et au vu de votre empressement à me renvoyer à Vorn sans tarder… que pourrais-je conclure d’autre ? Par ailleurs, comment se fait-il qu-il me désigne directement ? Ne suis-je pas à ses yeux un sot animal ?

- Il connaît ton nom parce que tu es la garde personnelle de Gérald. Donc le duc se doute bien que tu es quelqu’un d’important…

- Il hait les dragoniens. Pourquoi ne m’avez-vous pas demandé de vérifier ses intentions ?

- Nous ne pouvons nous permettre de nous reposer intégralement sur ta magie.

La dragonienne sentit sa colère non seulement ressurgir d’un coup, mais aussi enfler.

- Trouvez-vous que je prends trop d’importance ?

- Effectivement. Ne me regarde pas comme ça. À quoi bon le nier ?

Seuls ses yeux de cuivre exprimaient l’intensité de la rage qui la consumait.

- Et si je survis à Vorn, maître Xavier ?

- Alors tout se poursuivra comme avant. Nous te demanderons toujours un rapport quotidien, tu auras toujours à charge de protéger Gérald… Et d’ici quatre mois, mon frère ira vivre à Vorn, uni à la fortune ducale par les liens du mariage… et plus vite il obtiendra un héritier, ou même une héritière, plus vite nous pourrons lui permettre de s’évader. Je sais déjà à quelle nourrice confier sa descendance, une fois Isa éliminée. Si tu le souhaites et vis toujours à ce moment, tu pourras t’en occuper.

- Et si je péris avec votre frère ?

L’héritier lui fixa le front. Elle bouillait toujours intérieurement.

- Alors je sais déjà quelle marche suivre. Depuis le temps, tu devrais savoir que je ne mise jamais tout sur un seul plan. Et ces plans ne te concernent pas. Que comptes-tu faire, dis-moi ?

Elle ne répondit pas, comme il s’y attendait. Ombre restait là, à le toiser en silence. Même son regard redevenait neutre. Pourtant, il sentit qu’il approchait d’un dangereux point de rupture. Mais depuis qu’il était certain de l’appui du duc d’Uhvnerr, plus rien ne pourrais empêcher le retour des petits royaumes indépendants. Chacun pourrait alors renouer avec les cultes antérieurs à celui des Ancêtres, qui tomberait en désuétude en deux générations à peine, selon les prêtres des vents.

Elle tourna les talons sans rien ajouter. Et aucun indice ne permettait de soupçonner qu’elle devenait un dangereux volcan. Xavier savait jouer gros. Mais le jeu en valait la chandelle.

Descriptions ?

L’espionne partit prendre sa tartine nocturne, et sur le chemin du retour perçut quelques sons suspects. Plusieurs personnes conversaient à voix basse dans l'une des nombreuses petites bibliothèques du second étage. Ombre reconnut l'odeur de Kassia, puis celles de quelques dragoniens indécis. Sans un bruit, la curieuse approcha. Sa mère adoptive prêchait le retour à un ancien mode de vie imaginaire et fantasmé, auquel nombre de membres du peuple prédateur croyaient dur comme fer. Désireuse de demeurer neutre, l'espionne ne s'attarda pas. De plus, si sa mère adoptive la surprenait... la garde d'enfants parlait d'une voix agitée. Assez pour représenter un danger. Au moins, s'éloigner de Gué-des-Âtres lui permettrait de se préserver des futurs révoltés. Ombre retourna explorer le passé, sonder les intentions du duc, avec une très désagréable sensation de retard. Au moins cet humain-ci agissait-il honnêtement. Mais cela ne l’arrangeait pas. Comment pourrait-elle plaider contre le sacrifice de son seigneur et le sien, alors qu’ils pourraient servir la cause de Xavier ? Elle ne pouvait pas…

Le lendemain matin, elle retourna passer son humeur massacrante sur les soldats, se privant encore de repas et de repos. Puis le lendemain sonna celui du départ tant honni. Ombre avait au moins obtenu de partir avec ses trois chevaux. Astuce, Kriss et Brouillard la rassérénèrent mieux que quiconque. Même son seigneur ne parvint à lui faire oublier cette trahison.

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