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  Suivant sa planification, pendant que l’écailleuse se faisait retirer les squames du dos, Isa effleura la face interne d’une cuisse, et remonta, impatiente. Sa peau effleura aussi bien des écailles ensanglantées que de la chair suppliciée, du sang sec et friable, mêlé à de récentes coulures. Du pouce, elle chercha l’intimité de la dragonienne. Ce qu’aimait son promis. Ce qui le charmait tant. Une fois cette partie du corps investie puis détruite, il ne pourrait plus se détourner de sa promise. Trouvant l’entrée, elle y enfonça brutalement deux doigts.

 Ombre souffla d’un coup. Jamais. Jamais personne… Même en sachant à quoi s’attendre, elle n’aurait cru que cela la détruirait. Elle sentait une douleur nouvelle, difficile à localiser portant atteinte à son corps et à ce qui lui restait d’esprit. Isa entama un lent mouvement de va-et-vient, et la sensation empira. Ombre se sentit perdre pied d’une façon inédite.

 À peine se rendit-elle compte que la sensation changea brutalement. La Demoiselle usait désormais d’un poignard. Elle savait très bien ce que signifiait cette apathie, et en éprouvait une joie féroce. Désireuse que sa rivale vive encore, et porte un stigmate supplémentaire, elle planta le poignard aussi profondément que possible et se lécha de nouveau les doigts. Cet animal lui appartenait désormais. Et au fond, elle se sentait rassurée. Avant son intervention, Ombre était encore vierge. . Tout n’était pas perdu pour Gérald. Les rumeurs sur leurs relations s’avéraient infondées, au grand soulagement de la blonde.

 Maintenant que le dos de la dragonienne était dénué d’écailles, Isa caressa le cuir granuleux. Alors, avec application, elle y grava son nom. C’est lorsqu’elle entailla les os, qu’un importun arriva.

 Obtèr, de son nom humain Hubert avait suivi Soif, surpris que ce dernier soit parvenu à lui intimer de lui emboîter le pas. En plus le dragonien de Vorn avait été en mesure de communiquer, ce qui allait à l’encontre de leur réputation de décérébrés. Non seulement Soif était parvenu à faire des signes éloquents, mais en plus il l’avait attendu à chaque tournant, le pressant, toujours avec des gestes. L’esclave avait guidé le soldat en exécutant des détours leur évitant de rencontrer des humains, en rasant les murs comme les dragoniens de Vorn savaient le faire.

 Arrivés dans les souterrains, le dragonien effacé se métamorphosa en chef. Soif cessa de raser les murs et de se comporter en soumis brisé. Il guida Obtèr dans les souterrains, lui imposant un train d’enfer. Parvenu à la porte derrière laquelle agonisait Ombre, Soif fit de nouveau signe au chef de la hiérarchie de cette dernière de se presser. L’esclave s’effaça, tandis que le soldat pénétrait dans la pièce empuantie par l’odeur de sang vicié et de déjections.

 Obtèr reconnut sa fille adoptive. Enchaînée, les membres brisés, les os saillants de plaies béantes. La Demoiselle Isa lui bouchait la vue, mais il devinait sans peine son rôle dans cette horreur. Il prit sur lui pour respecter l’étiquette humaine. Au moindre faux-pas, il rejoindrait sa fille dans ce cauchemar. Il prit une inspiration, et lança :

  • Demoiselle Isa de Vorn, vous outrepassez vos droits !

 L’interpelée se retourna, permettant à Obtèr de voir le dos de sa fille. Ou du moins ce qui en restait. De la bouillie sanguinolente, où se lisait sans peine le nom d’Isa, au-dessus d’une aile rouge et osseuse, brisée à la membrane déchiquetée. Cette vue le frappa. Il parvint à ne rien laisser paraître. L’humaine le toisa.

- De quel droit, animal ?

 Le dragonien brandit l’insigne officialisant son statut de soldat, égal aux humains. Il devait faire très attention. Ombre avait déployé une aile… Il se concentra sur l’urgence.

- Ceci vous prouve que ma parole a la même valeur que celle de n’importe quel soldat de Gué-des-Âtres. Et vous n’avez pas celui de châtier des dragoniens qui ne vous appartiennent pas, quelle que soit la gravité de leurs actes. Confiez celle-ci à la justice de sa seigneurie, ou ce sera considéré comme une marque de mépris envers la famille de votre promis.

 Isa prit le temps de réfléchir. Jamais aucun témoin ne s’était aventuré jusque-là. Et celui-ci s’avérait gênant. Ses deux esclaves ne feraient jamais le poids face à ce soldat. Mieux valait qu’elle s’incline.

- Tu la veux ? Viens donc la prendre.

 Elle se tourna vers ses mignons.

- Achevé, les informa-t-elle.

 L’ordre les perturba. Jusqu’à présent, leur griffoir ne respirait plus depuis quelques heures, quand ils recevaient cet ordre. Et ce corps-ci ne leur avait encore jamais appartenu pleinement. Confus, l’un fixa l’endroit où se rangeait la hache, l’autre la réserve de chaînes et de crocs de bouchers, se demandant tous les deux s’ils devaient agir comme à l’accoutumée, ou non.

- Partez, trancha Isa, ce qui mit un terme à leur hébétement.

 Obtèr obtint de la dégénérée une clef lui permettant de libérer sa fille. Il pinça les lèvres en la voyant de face, un poignard planté dans l’épaule démise, un second dans l’entrejambe. C’était donc ça, la supériorité, la sagesse et la compassion humaines, qui les rendaient si fiers ? Il déglutit, se demandant comment s’y prendre pour ne pas aggraver l’état d’Ombre.

 Il conclut bien vite qu’il n’existait pas de solution. Quoi qu’il fasse, elle souffrirait encore. Le sang dont elle était couverte dissimulait les plaques dépecées. Il retira le stylet, puis s’accroupit face à sa fille, qui ne réagissait pas. Elle respirait, les esprits, les ancêtres et tout ce qui pouvait exister soient loués. Il prit une grande inspiration, et retira la lame d’un coup sec, libérant du sang de la blessure. Il n’avait rien à sa disposition pour la soigner. Il devait contacter Xavier, le fils aîné des enfants du comte de Xévastre. Cet humain pourrait donner les ordres à temps pour la sauver. Obtèr misait tous ses espoirs sur cet homme.

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