Prix à payer 5/9

5 minutes de lecture

 Le temps s'écoula, Ombre entra en transe pour trouver le sommeil. La sensation de chute en arrière survint, accompagnée du noir impénétrable habituel. La dragonienne se focalisa sur le passé proche d'Isa, et vécut la scène à travers elle. Éprouvant sa jubilation morbide, jouissant de son propre malheur et du plaisir procuré par cet esclave formé depuis des siècles à ce type d'usage, par ses ancêtres.

La dragonienne vécut la scène du point de vue de sa tortionnaire, partageant sa jalousie et son plaisir. Réveillée par la faim, Ombre réintégra le présent, il lui fallut quelques temps pour se reprendre. Elle ne méritait en aucun cas ce qui lui arrivait. La promise de son Seigneur la révulsait plus que jamais… et la détruisait. Savoir que sa faiblesse contribuait au plaisir de cette perverse rongeait la rousse de l’intérieur. Le remord, le dégoût et son orgueil blessé s’ajoutèrent à ses tourments. Puis les souvenirs revinrent.

Ombre fut incapable de différencier ce qui appartenait au passé ou au présent. Lui lacérait-on son bras encore valide, ou s’agissait-il d’une réminiscence ? Et les gémissements de plaisir résonnant dans son crâne ? La suppliciée voulut prendre une profonde inspiration, et le regretta. Sa clavicule brisée, son dos mutilé et chacune de ses articulations l’en empêcha, la douleur lui vida les poumons et l’étourdit. Elle craqua, une fois de plus. Ombre pleura, gémit, hurla des propos incohérents. Humiliée de se découvrir aussi faible, elle ne parvint pas à se reprendre avant que l’épuisement ne renvoie son esprit dans le passé.

Séparée de ses sensations physiques, elle retourna auprès d’Isa, quelques heures plus tôt. Ne pas connaître les plans de sa tortionnaire l'angoissait. Elle devait savoir à quoi s’attendre… et se demanda par la suite si l’ignorance ne l’aurait pas mieux protégée.

À son retour dans le présent, Ombre vomit une bile sanglante. Sa respiration se saccada, tandis qu’à ses réminiscences s’ajoutaient sa peur de l’avenir proche. Ses deux cycles de sommeil lui permettaient de se faire une idée du temps écoulé.

Dans la pièce attenante, les deux survivants s’éveillaient. Elle ne les avait pas entendus toucher aux corps de leurs pairs, et se demandait comment interpréter ce comportement. Ils sortirent, empruntèrent une autre porte et ne revinrent pas avant deux heures. Ils prirent plaisir à rouvrir ses blessures, à lui arracher les crocs pour les lui planter dans le palais et les joues, avant de griffer tout cela, avec une langueur ignoble.

Le temps s’étira, et se résuma pour Ombre à la douleur et l’impuissance. Se débattre l’épuisait, le supplice sapait toutes ses forces. Le goût et l'odeur du sang aiguisaient cruellement son appétit. Après le visage, ils s’intéressèrent à une main. L’un après l’autre, ils arrachèrent les cinq téguments présents, puis s’amusèrent à interchanger les ongles. Leurs rires sifflants glaçaient leur victime. Entre deux souvenirs des douleurs passées, et des accès de faiblesse incontrôlables, Ombre pensait à ce qu'adviendrait sa situation si une épée entrait en sa possession. Si le port d’armes avait été permis à Vorn pour ceux de son espèce… sa fuite du présent échoua. Toujours, les douleurs passées et présentes la rattrapaient, et la coupaient de la réalité, plus longuement à chaque fois.

L’arrivée de la Demoiselle Isa n’interrompit pas les deux esclaves. Déjà nue, elle reprit sa place sur le coussin géant. À peine installée, elle se releva et, guidée par l’odeur du sang ouvrit la porte la séparant de la pièce où vivaient ses mignons. La vue des cadavres ensanglantés ne l’émut pas. Certainement un règlement de comptes entre eux. Elle se tourna vers les survivants occupés avec sa rivale et leur lança tendrement :

- Préparez-vous à l’arrivée de sept nouveaux, mes agneaux…

Sa voix les détourna de leur souffre-douleur. Son sourire les incita à poursuivre, tandis qu’elle se procurait du plaisir par elle-même. Lorsque les cris et les pleurs la lassèrent, Isa se leva. Ombre l’entendit approcher, d’une démarche mal-assurée.

- Je veux graver quelque chose… souffla la Demoiselle.

Aussitôt, l’un des deux tortionnaires s’élança, pour ramener un poignard. Le second se mit en retrait. Et pour attendre le retour du premier, la jeune femme glissa ses doigts sous la peau lacérée. Ses soupirs tétanisèrent Ombre. Nulle personne saine d’esprit ne pourrait s’adonner à un tel acte.

 Le dragonien revenu, la Demoiselle Isa se lécha les doigts, et tourna autour de la suppliciée. Du fil du poignard, elle se décida à caresser le dos de la dragonienne. Ombre savait à quoi s’attendre, et la terreur anticipée lui coupait le souffle.

 D’un geste brusque, l’humaine poignarda la naissance d’une aile. Suivant l’omoplate saillante, elle déchira la poche comprimant le membre à l’intérieur du corps. L’aile jaillit pour la première fois, ruisselante d’un liquide iridescent que la Demoiselle n’avait jamais vu jusque-là. Elle n’en saisit pas moins les doigts membraneux, et scia avec lenteur la membrane entre l’aile et le corps.

 Ceci éveilla une part instinctive dont Ombre ignorait l’existence jusque-là. Elle éprouva le besoin de déchiqueter quelque chose avec ses crocs. Claquant des mâchoires avec sauvagerie, étourdie par le manque de sang et l’épuisement, Ombre alla jusqu’à se redresser et bondit pour mordre ses entraves aux poignets. Cela ne lui suffit pas, tandis que la douleur continuait. Frustrée, la dragonienne trouva un exutoire en rugissant. Pour la première fois de sa vie, elle rugit avec la force d’une dragonne. Son cri aigu transperça les tympans des personnes présentes, avec assez de force pour se répercuter au loin dans les souterrains.

 Tout ce qu’elle obtint fut l’arrachement de la membrane de son aile. Son nouvel élan fut interrompu, brisé par les affres de l’horreur qu’elle subissait. De nouveau, elle rugit, trouva la force de prolonger ce sifflement jusqu’à ce que la tête lui tourne. Ombre ne remarqua pas que les trois qui l’entouraient s’étaient recroquevillés, cherchant à échapper à ce son. L’esprit confus, elle ne les vit pas se relever, sonnés. Cependant, elle sentit sa tortionnaire lui déchiqueter l’aile et s’y acharner. Elle-même étourdie et exsangue, la dragonienne ne réagissait qu’à peine à tout cela. Ces deux sursauts menaçaient de l’achever.

Lorsque l’aile fut réduite en charpie, Isa demanda en silence à l’un de ses esclaves de lui préparer le dos de la dragonienne. Même dans cette situation, cet animal parvenait à l’exaspérer. L’humaine retourna face à sa rivale, le regard mauvais, et lui cracha :

-Crois-moi, quand j’en aurais fini avec toi aujourd’hui, aucun homme sain d’esprit ne voudra de toi…

 Ombre, perdue entre souvenirs et désespoir, ne réagit pas. Les sons du passé revenaient, accompagnés de sensations toujours aussi vives, qui s’accumulaient. Elle savait ce que prévoyait la Demoiselle. Cette dernière poursuivit sur ton très différent, doucereux :

  • Plus tu vas bouger, pire ce sera… alors soit une gentille fille, et reste immobile…

 La dragonienne, habituée à obéir, s’imposa une immobilité parfaite, tandis qu’on lui sciait l’aile du nez. Le sang coulait abondamment. Malgré quelques efforts isolés, elle sentait qu’elle se noyait dans ce liquide que son cœur peinait de plus en plus à faire circuler.

 Satisfaite d’un tel niveau de soumission, Isa se lécha de nouveau les doigts, poisseux. Elle se recula, et prit le temps d’admirer son œuvre. La dragonienne avait quelques os à vif au niveau des articulations, de nombreuses plaques de chair dépecées et était désormais défigurée de façon irréversible. Son aile mutilée seule suffisait à l’empêcher d’accéder à cette forme draconique et contre-nature qui rendait les dragoniens si dangereux à l’état sauvage. Il fallait savoir les dresser. Les ducs de Vorn jouissaient d’un savoir-faire séculaire. D’ici peu, ils détiendraient assez d’autorité pour généraliser leurs méthodes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Hilaze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0