Chapitre 1

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Les rues foisonnaient de monde, entre les enfant qui courraient chercher des friandises, les anciens lisant le journal sur les bancs et les bonnes femmes faisant leurs courses, la journée battait son plein.

Je venais d’arriver dans un bar qui empestait l'urine. Je ne pus m'empêcher de froncer du nez. Un regard en biais suffit pour voir les quelques tables de l'établissement. Comme à mon habitude, j’étais à l’heure, je détestais faire attendre, encore moins quand c’était pour un ami.

Au fond du bar je vis une main se lever, un simple geste à mon encontre. Un beau sourire illumina mon visage tandis que je m’approchais. Il se leva et ouvrit bien grand ses bras.

« William ! Mon cher ami, combien de temps s’est écoulé sans que je ne puisse voir ta figure ? s’écria mon ancien camarade de faculté en me prenant dans ses bras.

-Que sais-je Billy, une éternité ! Cela me fait grand bien de te revoir mon frère.

Notre embrassade dura quelques instants puis il m’invita chaleureusement à s’assoir avec lui.

-D’après la dernière lettre de ta mère tu es enfin devenu chirurgien, cela ne m’étonne pas de toi, tu es talentueux, me dit-il en me servant un verre de whisky.

-Elle n’a pas pu s’empêcher de t’embêter avec ça ? Elle ne cesse pas de le crier sur tous les toits du voisinage, elle me ferait presque rougir de honte.

Il ria de bon cœur en me tapotant l’épaule.

-Tu ne devrais pas, j’aimerais bien que ma mère en fasse de même pour mon cas. Malheureusement pour elle, je n’ai pas eu la patience de terminer les études. D’ailleurs, quel est le nom de l’hôpital qui t’a employé ?

-C’est le Guy’s Hospital, au sud de Square Mile près du London Bridge. Le grand Thomas Addison a commencé là-bas en tant qu'étudiant et y a travaillé pendant de longues années, te rends-tu compte du prestige de cette institution ?

-Tu parles de celui qui a fait des recherches sur la peau ?

-Celui-là même. Si seulement ma naissance n'avait pas tant tardé, j'aurais pu parler avec un grand scientifique.

-Il n'est pas le seul médecin et scientifique dans ton hôpital.

-Addison a révolutionné la médecine sur plusieurs niveaux, toutes ses recherches ont révélées des maladies dont nous ne savions pas l'existence. Tu ne peux imaginer ma joie de travailler dans en endroit où un tel homme a pu exercer.

-Oui, un homme qui s'est suicidé par ailleurs. Grand homme, je le reconnais, en buvant dans son verre.

J'eus un léger tremblement de la lèvre inférieure. Un tic, juste un tic.

-Et toi, que deviens-tu ? Tu t’es dirigé vers quel métier après l’abandon de la médecine ? demandais-je pour passer à autre chose.

- Eh bien j’ai découvert que les études n'étaient point faîte pour moi. Mon précepteur m’avait mis en garde, l'écouter aurait pu m'aider à ne pas gâcher autant d'années et d'argent. Je n’ai pas encore décidé de ce que je voudrais réellement faire, je pense être un homme irrécupérable, Willy. »

Nous avions continué à discuter tous les deux pendant de longues heures. Le passé nous revenait, les souvenirs communs refaisaient surface. A l'époque nous n'étions que deux étudiants à l'académie de médecine de Londres, deux jeunes pouces. Nous partageâmes de nouveau nos rires comme à la bonne vieille époque. Nos verres se vidaient et se remplissaient sans limite, cela faisait une éternité que je ne m'étais pas autant amusé.

Malheureusement le cours du temps nous rattrapa. Je le remerciais de m'avoir convié à ces retrouvailles, lui expliquant que me devais de rentrer, le chemin du retour était assez long. Je sentis une main me retenir, Billy me proposait autre chose.

« En ce moment je travaille dans un casino pour gagner ma vie. Cela te dirait de m'y accompagner ? On pourra bien s'y amuser ! s’enthousiasma Billy en finissant son verre.

_Oh Billy…Je n’en sais trop rien. J’ai un emploi du temps assez chargé pour demain, je n’ai pas envie d’être patraque pour le travail.

_Aller quoi ! Tu ne peux pas prendre encore un peu de ton précieux temps pour le passer avec un vieux copain ? Je suis sûr que l’endroit va te plaire.

Je me frottai le visage en soufflant légèrement, il n'avait pas vraiment tort, ça pouvait valoir le coup de passer le voir. Après tout je venais de passer un merveilleux moment en sa compagnie, malgré l'immonde odeur qui régnait dans l'air. Je lui donnai ma réponse en me levant de ma chaise.

_Très bien, je suis partant. Mais je te préviens tout de suite, je ne reste pas tard.

_Ha ha ! Voilà, je retrouve mon Willy, promis tu pourras partir à l’heure que tu souhaiteras»

Ce fut vers les alentours de vingt heures qu’il m’emmena à son casino. Billy dut prendre le rôle de barman pour quelques heures. C'est après m'avoir servi plusieurs verres, qu'il m'incita à jouer à des jeux d'argents. Je n'y voyais pas le mal, ça me divertissait bien, avec l'alcool qui prenait le contrôle.

Ma raison s’était très vite envolée après le nombre indécent de verres que j’avais ingéré. Je ne pourrais définir la joie que je ressentais de retrouver un de mes seuls amis. Bien que Billy ne faisait pas toujours preuve de tact, il restait une personne que je respectais. Notre amitié n'avait pas de prix à mes yeux. Je me laissais porter par ce moment de bonheur, mon euphorie me poussait à consommer plus qu'à l'accoutumer. La musique, les belles femmes, l'alcool, tout m'entraînait vers un lieu que je ne connaissais pas : L'inconscience.

La corde qui venait de s'enrouler autour de mon cou ne m'avait pas semblé, sur le coup, si dangereuse. Je m'étais précipité sans le savoir dans un piège.

Rapidement mes poches se vidèrent du moindre argent que j’avais sur moi. Billy se pencha vers moi, me parlant à l'oreille. Ses paroles ressemblaient à du brouillard à mes oreilles, mon état second ne m'aidait guère à le comprendre. Il finit par réussir, il me proposait d'aller me chercher mes réserves d'argent pour continuer cette merveilleuse soirée. Un beau sourire s'étira sur mes lèvres et je lui tendis mes clés. Avec la langue emmêlée, je réussis à lui expliquer où je cachais mon coffre. Il s'en alla, me promettant de revenir rapidement.

Il ne revint jamais me chercher.

Des hommes me sortirent de force du casino, me jetant comme un malpropre sur les pavés. Mon crâne se cogna violemment contre l'un d'entre eux. Le souffle me manqua, ma poitrine s'était subitement contractée. Je suffoquais.

C'est là qu'il réapparut au-dessus de moi, un grand sourire placé sur ses lèvres. Ses yeux rieurs n'avaient plus rien de bienveillant. Leur lueur...Cette lueur immonde les animait.

« Willy, mon petit Willy…Il n’y avait pas d’argent chez toi.

- Qu..que..que racontes-tu ?

- Il faudrait que tu remplisses ton coffre, il serait dommage qu’un garçon tel que toi sois sans le sous à Londres. Je fus très heureux de te revoir mon ami mais désormais je dois retourner travailler, passes une bonne fin de soirée, susurra Billy en me tapotant légèrement la joue. »

Il se leva, jeta mes clefs sur mon torse et s’en alla vers l’entrée du casino. Il ne se retourna pas une seule fois alors que j’hurlais son nom de toutes mes forces. Une rage m'éprit, un goût amer se répandant à chaque fois que je prononçais son prénom.

Mon corps eût du mal à se relever, dans mon état actuel il m'était impossible d'espérer le poursuivre. Mes pas commencèrent à me ramener à la maison. Je ne pourrais me souvenir du nombre de fois que mon visage rencontra le sol. En revanche je pourrais qualifier son goût. Un mélange de sang et de poussière. Mon sang.

Arrivé à mon appartement, mes forces m'avaient déjà abandonnées. Le mur ralentit ma dernière chute, je me retrouvais une énième fois à terre. Je repensais à cette soirée, à la trahison que je venais de vivre par cet homme, celui que je considérais être mon frère. Le doute humain me fit ramper jusqu'à la cachette de mon coffre. Il fallait que je le voie pour le croire. Cette ténacité à espérer l'impossible venait sûrement de mon ébriété, ou de ma dernière part d'humanité.

Sa petite porte avait été sournoisement refermée. Je l'ouvris et je n'y vis que du vide. Il avait été dépouillé si facilement. La vue de mon échec serra mon coeur dans un étau. Il fallait que je me calme

D’une main j'attrapai la bouteille d’eau se trouvant sur la table du salon. Je bus l’entièreté de la bouteille. Mes idées devinrent plus claires, ma nausée restait présente mais je pouvais enfin réfléchir. La bouteille vide roula sur le côté, mon corps n'avait pas suivi l'éclaircicement de mon esprit.

Bien qu’aucun de mes muscles bougeaient, la colère qui montait dans mon être était bien là. Grandissante à chaque seconde passante. Oh oui. Que j’étais en colère. Je ne pouvais bouger comme je le souhaitais mais je trépignais, mon être brûlait de haine. Ma mâchoire se serra difficilement, je pus entendre le craquement de mes dents entre-elles.

L’argent qu’il m’avait volé représentait toutes mes économies. Des économies que j'avais gagné de mes propres mains. Elles devaient m’aider à tenir quelques années, je ne voulais en aucun cas aller quémander à mes parents. C’était la pire honte qui pouvait m'arriver, retourner les voir, la queue entre les jambes et totalement fauché. Quel piètre enfant j’aurais l’air en agissant ainsi.

Au lieu de ça, je me fis une promesse personnelle. Une simple promesse.

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