La Ballerine de Brooklyn

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Elle se produisait tous les soirs au croisement de Kingston Avenue et Herkimer Street, tout près du parc Saint-Andrew. Quand la nuit était tombée, que la plupart des passants terminaient de dîner, le rideau lui, se levait.
Un premier feu s'allumait, puis un autre. Au-dessus de ses cheveux noirs laqués aux milles reflets, scintillants de lumière.
Un autre spot, sur sa droite.
C'est alors son visage spectral qui était révélé, empanné de longs cils noirs projetant leurs ombres sur les pommettes saillantes. Des lèvres fines s'étiraient naturellement sur son visage, mais son expression demeurait neutre de toute émotion.
Un troisième spot, sur sa gauche, et c'était son buste sculptural aux yeux de tous.
Un quatrième, enfin. Et ses jambes interminables au pieds chaussés de petits chaussons clairs achevaient de compléter l'œuvre de Dieu, cette création de Maître.
Dans le silence mortuaire, elle était déjà en position. Le dit Maître laissait quelques instants planer, puis les premières notes s'élevaient.
Alors elle se mettait à tournoyer. Sans prélude ou autre mouvement préalable. Elle tournoyait d'abord lentement, très lentement. Puis de plus en plus vite, de plus en plus fort. Au rythme de la mélodie accompagnant ses arabesques, elle traçait des cercles sans fin avec ses bras et ses jambes.
Les spectateurs subjugués laissaient leur regard happé par le mouvement. Fascinés par sa régularité millimétrée, son équilibre surnaturel, elle, imperturbable sur la petite scène de bois laqué.
Et elle dansait, dansait pendant de longues minutes. Hors du temps elle tournoyait encore, et encore. C'était un spectacle d'une grâce infinie qui ravissait les cœurs, réchauffait les âmes meurtries. Rares étaient les personnes qui se lassaient d'elle, nombreux ceux voulant l'acquérir.
Elle faisait rêver adultes et enfants de la même manière. La beauté existait encore en ce monde, parfois dissimulée comme elle dans au croisement d'une avenue. Il suffisait de la chercher, laisser la lumière guider son regard et enfin, de s'abandonner …
Puis d'un coup d'un seul, tout s'éteignait. Toute bonne chose a une fin, me direz-vous. Une épaisse grille de métal s'abattait devant la vitrine, et le gérant du magasin de jouet tournait les clefs dans la serrure avant de s'en aller pour de bon.

Derrière sa prison de ferraille et verre, la ballerine en plastique, objet phare de la boutique, attendait le lendemain pour tournoyer à nouveau.

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