S'adapter

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Impossible d’avoir les idées claires depuis ce matin. Vida ne cesse de tourner et retourner son échange tendu avec Ken. Une simple proposition de diner sans aucun caractère romantique, et le voilà prêt à sortir les griffes ? La relation de confiance entretenue par ces deux âmes ne dépend donc que de cet endroit et partout ailleurs, elle n’est rien pour lui. Cette énième gifle est brutale, mais au final nécessaire pour l’empêcher de s’envoler à nouveau.  

Un bruit de transat extirpe la jeune femme de ses pensées. Nikos, tout à côté, se lance dans une tirade que Vida imagine inhabituelle. 

— Ken a toujours été un garçon discret, commence-t-il. J’étais opposé à toute cette frénésie de vie d’artiste. C’est lorsque les choses sont devenues sérieuses que j’ai changé mon fusil d’épaule. La facilité d’une vie matérielle sans tracas, sans doute. Ensuite, sur un coup de tête, il nous annonce vouloir arrêter tout ça. La célébrité le pèse et l’inspiration n’est plus aussi forte qu’avant. Avec Ken, vous l’avez compris, il faut apprendre à composer. 

— Jamais il ne s’adapte aux autres ? Jamais il ne pense aux autres ? Moussa a besoin d’aide. Il a besoin de son ami.

— Est-ce seulement de Moussa dont il s’agit pour vous, Vida ? Je ne sais pas ce qu’il se joue entre vous mais si vous tenez à lui, laissez-lui du temps et s’il tient à vous en retour, alors, un jour, il comprendra que c’est à lui désormais de s’adapter. Vous êtes quelqu’un de bien, et je dois l’admettre, je vous ai mal jugé. Je m’excuse. 

L’homme pose une main sincère sur la sienne avant de s’éclipser aussi discrètement qu’il est apparu. 


Lucie se débat le reste de l'après-midi pour trouver la coiffure parfaite pour le plus beau jour de sa vie tandis que Vida patiente en silence que le balayage finisse de poser. Son portable vibre. Encore ce numéro inconnu. 

Pardon...

Derrière son reflet grimé par les papiers sur les cheveux, le regard de Vida tombe sur Ken non loin, téléphone en main.

 Ken, je n’ai plus quinze ans et toi non plus d’ailleurs. 

Si tu veux qu’on discute. Viens me voir. 

Nouvelle vibration. 

 Je sais. Je suis désolé. C’est difficile avec toi, je sais pas comment m’y prendre. 

Ken jette ses pupilles à travers le chapiteau sous lequel se trouve le salon de coiffure éphémère. Comme deux aimants, l’un s’ancre à l’autre. L’homme dessine un timide sourire tandis que Vida le détaille de bas en haut. Ken, pour se vider l’esprit, s’était mis à la course à pied et l’avait intimé à faire de même. Une paire de basket, trente minutes de son temps, et le tour est joué, avait-il expliqué. Pour lui, l’activité physique ne vaut pas l’écriture, mais à défaut, elle l’aide à faire le point. Sa main tremble. 

Faut que tu arrêtes de me regarder comme ça. 

Que dire de ses pupilles à lui, incandescentes, qui finissent d’allumer la mèche de ses pires fantasmes ? Après quelques minutes d’une séduction tacite, l’homme s’évapore. Vida s’en accommode, l’heure est venue de rejoindre Youssef. Ken a peut-être raison, la course à pied, serait, une fois le retour à une vie normale, un nouvel expiatoire intéressant...  C’est ainsi perdue dans ses pensées que Vida manque de percuter son nez contre la porte de sa chambre, verrouillée par la chaîne intérieure. 

— Merde, Sallie, vous faîtes chier, t’aurais dû me prévenir, j’aurais pris mes affaires avant que tu t’enfermes encore avec Théo ! Fêle-t-elle depuis l’interstice avant de claquer vigoureusement la porte. 

Elle n’a toujours pas rendu la tenue empruntée à Ken, aussi, elle hésite à frapper, mais Lucie n’a pas encore terminé ses essais et il est fort probable que dans ses trois valises, il n’y ait pas une seule tenue de sport, la jeune femme ayant préféré, pour être certaine que sa robe lui sied le jour J, suivre un régime alimentaire drastique plutôt que d’enfiler une paire de basket. Aussi, pas le choix, elle s’invite à nouveau chez les garçons. 

Trois coups. Silence. Peut-être est-il sous la douche, pense-t-elle, tendant l’oreille pour un quelconque indice. 

— Ken, c’est moi. J’ai seulement besoin de... 

La porte s’ouvre à la volée devant l’homme torse nu qui lui attrape la main pour la faire rentrer rapidement. Vida a seulement le temps d’analyser son hôte avant que ce dernier n’attrape son visage entre ses mains, la plaque contre la porte de sa chambre, et fonde ses lèvres sur les siennes. 

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