Malaise

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Epuisée, en pleine digestion, et les nerfs mis à rude épreuve, Vida s'allonge sur le transat et tente de se calmer. Des mois qu'elle n'avait pas ressenti un tel énervement. Avouerait-elle que la sensation de son corps ainsi survolté est déroutante ? Pendant que les filles mangent, son esprit divague. Un ultime orgasme avec David, un véritable adieu est-il possible ? Rien ne l'attire en Ken. Dépressif, mélancolique, englué dans une relation sans avenir, aucune limite ne serait franchie, elle le sait, mais est-ce que la tromperie duperait son esprit ? Les sensations ne seront jamais les mêmes... Comment peut-être envisager une telle possibilité ? Comment ? Parce que son clan, lui, l'envisage. Quelle folie ! 

Un bruit de transat avorte ses pensées.

— Je ne voulais pas te manquer de respect ni te brusquer. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un de mon âge qui me comprend si bien, en dehors de mon psy qui ressemble au professeur Mcgonagall.

Une excuse. Vida demeure silencieuse, les yeux toujours fermés.

— Je voudrais tellement avoir la chance de passer une dernière nuit avec elle, pour lui dire au revoir.

Attend-il son aval ?

— Je trouve ça franchement malsain, Ken. Une personne qui gère son deuil en couchant avec un partenaire lui-même endeuillé, le tout inondé de parfums pour feinter les esprits... C'est complètement dingue.

Paupières ouvertes, elle plonge son regard dans le sien. Une étincelle traverse ses iris. Il y a de l'espoir en lui et celui-ci repose sur sa décision. Alors, il lâche sa plaidoirie. Hier, n'aurait-elle pas aimé qu'à la place des mains de Sallie, se soient celles de son mari qui glissent contre sa peau ? Lorsqu'elle observait Lucie et Seydou, n'imaginait-elle pas les prémices de son histoire avec David ? Si elle est comme lui, les nuits sont les pires. L'esprit baisse sa garde, l'inconscient prend le dessus et les fantasmes l'assiègent.

— Je ne vais pas le nier bien sûr, mais David est mort, Ken ! Et ça, je ne peux rien y faire. Tous mes rêves ne demeureront que des fantasmes, rien d'autre.

La phrase qui sort de sa bouche l'écoeure la ramène irrémédiablement à cette fatalité. Il ne reviendra jamais, quoi qu'elle fasse. Elle se retourne, s'allonge sur le ventre, s'enferme dans sa bulle et met fin à la discussion pour finir par tomber d'épuisement.

Dans ses rêves, comme toujours, David est là. La solitude de son corps autrefois tant aimé est si douloureuse qu'elle l'enferme dans la torpeur. Qui peut comprendre ? Son clan tente. Ken, lui, vient de poser des mots sur sa détresse. Il cherche à se connecter une dernière fois avec celle qu'il aime. Elle donnerait sa propre vie pour revivre une nuit avec lui. Son corps vibrait grâce au sien. Elle tente parfois de s'évader mais rien n'est pareil. Tout est insipide. Alors, sans prévenir, aux abords de la piscine, son esprit embué par la fatigue et la désorientation tente une parade. Des frissons parcourent son échine lorsqu'elle repense au T-Shirt de Ken sur sa peau. La chaleur de l'étoffe réchauffant sa poitrine... Ses cuisses caressées par le tissu... Hier, un bref instant, ses sens se sont réveillés. Les hurlements provenant de la piscine l'extirpe de son étonnante rêverie et ses yeux se posent sur le corps du jeune homme, toujours installé à ses côtés. Si différent... Il ne ressemble en rien à David. Plus petit, moins poilu, brun, certes, mais ses cheveux sont plus longs... Sa plastique est tentante, difficile de le nier. Difficile aussi de nier que depuis ce midi, la mélancolie est secouée. La ligne droite s'agite sans aucun contrôle. Est-ce là aussi, l'espoir d'un changement qui se matérialise enfin ? 

— Si j'accepte, comment ça se passe ?

L'incompréhension de Ken la force à poursuivre.

— Comment ça se passerait ? On ferait quoi ? Comment on s'y prendrait quoi ?

— Et bien heu... Tu me suces, je te lèche et je te prends, en missionnaire ou tu t'assieds sur moi. La base quoi...

La spontanéité de ce manque de tact la détend instantanément. Hilare, elle rebondit. 

— Merde Ken, si tu lui parlais comme ça, ça m'étonne pas qu'elle se soit barrée !

L'homme se renfrogne sur sa crêpe. Elle est allée trop loin, alors, pour l'apaiser, elle poursuit.

— Plus sérieusement, ça ne sera pas possible, Ken.

— Pourquoi ? Vous faisiez quoi au lit ?

— Il me touchait et moi j'adorais le sentir entre mes fesses, le branler avec mon bassin. Et une bonne petite levrette m'excitait parfois bien plus qu'un missionnaire si tu veux tout savoir.

— Ah d'accord. Bon, si on le fait, il faudra forcément deux fois pour nous satisfaire l'un puis l'autre.

— Je ne sais pas si je serais capable de faire tout ça à toi, Ken.

— C'est là la nuance Vida, ce n'est pas à moi que tu feras quoi que ce soit. Si c'était réellement possible, n'aimerais-tu pas être avec lui une dernière fois ?

Là encore le naufrage de leurs vies les lie. La différence de son corps l'empêcherait-elle de prendre du plaisir, interroge-t-il.

— J'ai la sensation d'organiser une tromperie en bonne et due forme.

— Vida, tu m'as pas dit que tu voulais encore être aimée pour ce qu'il reste de ta vie ? Tu ne le tromperas malheureusement jamais. Je te propose de lui dire au revoir pour t'ouvrir ensuite, quand tu seras prête, à d'autres hommes. On commencera par toi, ça te mettra en confiance.

— Gentleman en plus d'être romantique ! Elle t'avait mal cernée ton ex... tente-t-elle d'ironiser.

Sentant son malaise, sans prévenir, Ken se penche pour embrasser sa joue et offrir ainsi un geste destabilisant pour un homme si froid. Si elle répond, la décision est prise. Que faire ? Est-elle prête à dire adieu à l'homme avec lequel elle pensait vieillir ? Sommes-nous un jour prêt pour cette abomination ? Il est parti si brutalement. Le regret de ne pas mieux se souvenir de la dernière fois qu'il lui a fait l'amour la hante et cet homme lui propose de rémédier à ce qu'elle déplore dans son lit presque tous les soirs. Son intuition ne se trompe jamais.

— Tout va bien se passer. Tu verras, ça sera parfait. C'était quoi son parfum ?

Un simple regard vers son clan et la guerrière baisse les armes. Ses femmes sont sa force. Sans elles, elle serait morte. Leur bienveillance, leur absence de jugement, leur amour la porte. Ici, au délà du choc d'une telle annonce, elles se projettent et envisagent une telle proposition comme chemin de guérison... Alors, à son tour, son coeur se réchauffe et lui souffle qu'elle peut faire confiance à l'homme devant elle, pendu à sa décision et torturé comme elle. Ses tripes s'agitent en un drôle de mouvement. Que se passe-t-il en elle ? La métamorphose est-elle belle est bien enclenchée ? La torpeur devenue familière était si facile à gérer... 

— One Million de Paco Rabbane, lâche-t-elle.

Jamais une phrase aussi banale n'a pu dépeindre un tel bonheur sur le visage d'un homme. Ken sourit. Ses traits changent intégralement sa beauté. Les ténèbres de son regard se métamorphosent en une expression légère et pleine de vie. En acceptant, elle lui fait le plus beau des cadeaux.

— Bon je vais essayer de dégoter ça. Allez, va rejoindre tes amies, amuse toi et tu me rejoins quand tu veux.

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