42.2

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La plainte dura et se mua en glapissement bestial. Yue se rassit, le cœur battant à tout rompre. Elle interrogea Makara du regard, sans oser l’interpeller verbalement au sujet de ce qu’ils venaient d’entendre.

— Ce sont des crieurs, expliqua-t-il. L’ancienne tour en est pleine. Cela a le mérite de dissuader les indésirables d’approcher de ma baronnie.

— Ils sont dangereux ?

— Pas pour toi.

— Ils sont dangereux pour qui, alors ?

— À peu près n’importe qui d’autre.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Que je suis las de tes questions, Yue.

Yue se mordit la lèvre en se reconcentrant sur le défilé du paysage.

L’attelage s’engageait sur une longue allée bordée de fleurs sauvages, de rochers et d’arbres en bouquets. D’innombrables papillons aux ailes claires voletaient autour des branches. En contrebas du talus, un lac aux eaux bleues miroitantes s’étendait presque à perte de vue.

La végétation gagnait en structure à mesure que le convoi progressait. Les plants s’alignaient en haie d’honneur le long d’une ultime ligne droite au bout de laquelle de se dressait un haut portail. Passé cet obstacle, une grande cour se révéla, peuplée d’oiseaux gris. À l’est, elle donnait sur une falaise vertigineuse aux pieds de laquelle le vent sifflait sans discontinuer. Au nord, un jardin se prolongeait jusqu’à l’orée d’un petit bois d’arbres nus. C’était à l’ouest que s’érigeait la façade du castel, toute de pierre blanches. Une symétrie irréprochable caractérisait son dessin et de solides grimpantes la paraient de feuilles verdoyantes.

Yue se sentait engourdie et faible. Sa peine n’était pourtant rien à côté de celle de la voiturée des serviteurs. Confinés à dix dans le même fardier branlant, chargés d’entretenir les bestiaux et de pourvoir au confort des voyageurs, ils n’avaient que peu dormi depuis le Jerada. Quoiqu’échinés et harassés de fatigue, il leur fallait encore décharger les bagages et les porter jusqu’en lieu dû.

Cette tâche n’incombait pas à Bard. Personne ne paraissait tenir à ce qu’il touchât aux affaires du mestre ou de sa protégée. L’un dans l’autre, il se serait trouvé incapable de soulever quoi que ce fût plus d’une seconde. Tenir debout absorbait déjà tout ce qui lui restait de force.

L’air était froid et sec. Les frissons lui ébranlaient le corps à répétition et son souffle tiède l’enveloppait de brumaille.

— Bard ! le héla le Mestre.

Il fit volteface et battit confusément des paupières, étonné par le peu de distance qui les séparait alors.

— Le Veilleur te montrera où t’installer. Il y a beaucoup à faire sur la propriété alors tâche de te rendre utile ou au moins de ne pas gêner. Autrement, il t’en cuira.

Sa prise de parole souleva définitivement plus de questions qu’elle n’apporta de réponses. Bard eut voulu le lui faire remarquer d’une façon ou d’une autre, mais n’en eut pas le temps. Léopold pénétrait déjà sa demeure par la porte que Bard ne serait jamais autorisé à emprunter. Une bile amère lui scindait la gorge, plus acide encore que les courbatures qui lui ravageaient le corps.

Sa chemise lui glissa sur le buste en direction de sa manche. En baissant les yeux, le regard de Bard tomba dans celui de Yue. Et la pitié qu’il y lut le dégoûta.

— Tiens, fit-elle en lui tendant une pomme d’une rougeur éclatante. Je l’ai gardée pour toi.

Il grimaça de hargne autant que de confusion.

— Pour quoi faire ?

— La manger ? hasarda Yue.

Il rejeta l’offrande d’un revers de main brutal. Le fruit s’écrasa trois mètres plus loin et roula sur le pavé avant d’être pris pour cible par les oiseaux. La petite fille ouvrit de grands yeux consternés.

— Tu… pourquoi t’as fait ça ?

Il expira un grognement qui fit reculer Yue de deux pas.

— Si t’en voulais pas, suffisait de le dire, maugréa-t-elle. J’essayais d’être gentille !

Bard se détourna d’elle, déterminé à l’ignorer quoiqu’elle ajoutât.

— Arrête de faire comme si j’étais pas là ! s’agaça-t-elle.

Il se tint parole. Le moment de parler à Yue n’était pas arrivé. Dans l’immédiat, il lui fallait trouver l’homme supposé l’aider à s’installer dans la baronnie.

Leur rencontre eut lieu sans qu’il n’eût rien à faire. Le Veilleur vint à Bard en émergeant du petit bois, trainant derrière lui un daim mort. Son bras veineux était maculé du sang de l’animal et la rougeur de ses lèvres laissait supposer qu’il avait pu y goûter.

Pour tout vêtement, il revêtait un drapé uni, sans couture ni ornement, comme si le premier rideau de passage lui avait été jeté sur le corps par souci de le rendre décent plutôt que digne. Il avait le crâne et le menton glabres. Son teint était cireux, ses traits tirés et de trop larges iris noirs lui noyaient presque entièrement le blanc des yeux.

— Je suis le Veilleur, articula-t-il d’une voix caverneuse. Je m’occupe de toi dans un instant.

Bard serra les dents en s’interrogeant sur l’éventuel double sens de cette assertion.

— Tu peux faire le tour des terres en m’attendant, mais ne t’approche pas de la demeure des mestres. Les fabuleux n’y entrent pas.

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