33.4

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Bard s’exerça longtemps. Trop, certainement. Au gré des courants nocturnes, il se propulsa très haut, rasa les dunes en vagues, s’égara passablement et, à maintes reprises, s’entraîna à atterrir. Il voulait être en mesure de promettre qu’une prochaine fois – car il devait absolument y en avoir une – il saurait satisfaire le caprice de Yue sans la mettre en danger. Hélas, il ne parvint à se réceptionner sans heurt qu’une fois. Par chance, encore…

Le corps lourd de fatigue et de regret, il revint à pattes vers le cimetière. Le ciel blanchissait. Il devait être bien tard dans la nuit, presque tôt dans la matinée. Au bord du ravin, Yue s’était assoupie.

L’observer fit réaliser à Bard qu’il avait été fou de la laisser seule. Le pire aurait pu lui arriver durant son absence ! Ç’aurait aussi été sa faute.

Sa faute… Depuis quand se blâmait-il à tout propos, la concernant ? N’était-ce plus sa faute à elle s’il avait tout perdu ? Il secoua la tête pour chasser l’infertile rancune qui menaçait de le reprendre aux tripes.

Ses tentatives pour la réveiller – il grognassa, la taquina du museau et de la queue – furent aussi hésitantes que vaines. Elle était épuisée, ou peut-être inconsciente. Sa blessure avait-elle pu l’anémier ?

Subitement, elle s’éveilla en sursaut.



La nuit s’était étonnamment bien terminée pour les deux fugueurs palais. Bard était rentré dans sa cage à temps pour la visite d’Adelpha, et avait regagné son lit très en avance sur la venue Krisha, ses savons et ses brosses.

Dès lors, les choses se compliquèrent. Les blessures de Yue sautèrent si violement aux yeux de l’esclave qu’elle en vacilla, inspirant un son aigu. Isaac fut ainsi tiré du sommeil. Dans sa confusion, la figure défaite de Krisha et le sang séché qui noircissait le bras de sa sœur firent naître en lui une terrible angoisse qu’il traduisît en babillages incohérents.

Très vite, tout l’étage s’inquiéta de ce qui troublait le calme de leur chambre. Meriem, qui s’occupait alors des jumelles, accourut, talonnée par deux petites têtes curieuses. Peu après elles, Maleka se fit faire place dans l’encadrement de la porte. Une de ses femmes la suivait, tenant à bout de bras le tressage inachevé de ses cheveux pour ne pas perdre toute la coiffure.

En posant les yeux sur Yue, la mestresse eu une réaction analogue à celle de Krisha, mais teintée de plus de colère que de peur. Elle ânonna une longue phrase de l’ordre de la prière ou de la malédiction, puis haussa fermement le ton pour interroger Yue sur ce qui lui était arrivée.

La petite assimilait très vite les langues vivantes. Les rudiments du jerild lui étaient suffisamment acquis pour comprendre une question de cette simplicité, mais sa relation avec Maleka en était encore au point où l’envie de lui parler lui manquait. Cependant, bien obligée de s’expliquer, elle lui signa l’histoire inventée de sa chute du toit.

Personne ne songea à s’attarder sur les mille et une technicités qui rendait son histoire invraisemblable, car tous tenaient pour acquis que la petite fille se promenait souvent la nuit, jouait à des jeux dangereux au mépris des avertissements et savait se faire discrète durant ses incartades. Cette chute comptait parmis celles qu’on s’attendait à la voir faire un jour.

La migraine de Maleka s’accentuait. Une fois encore, elle allait devoir regarder son époux droit dans les yeux et s’accuser de négligence en lui rapportant cette nouvelle mésaventure. En priorité, toutefois, il fallait soigner la petite fille. En examinant ses blessures de plus près, Krisha soupçonna l’accident d’avoir été d’une toute autre nature que celui rapporté. Cependant, elle n’en dit rien. Pour un temps.

Avant de se séparer d’elle, Maleka encouragea Yue à réfléchir – sans trop préciser à quoi – et pria Isaac de descendre pour déjeuner : une façon détournée d’annoncer à Yue qu’elle était consignée dans sa chambre. Ce n’était que la quatrième fois en une lune, mais Yue commençait à y être habituée.

La première fois, elle avait pensé que cette mesure isolement n’était que le prélude d’une vraie punition. Dès la seconde, elle avait compris qu’il s’agissait d’une punition en soi ; assez pénible, il fallait l’avouer, mais moins sévère que celles de ses anciens mestres.

La pénitence dura toute la matinée, puis s’étendit jusqu’en milieu d’après-midi. Yue prit ses repas seule. Tout ce temps, elle n’eut aucune autre distraction que ce que son imagination put produire. Fort heureusement, elle n’en manquait pas.

Après avoir redécoré son intérieur au moyen de tout ce qui avait pu lui tomber sous la main, s’être emmêlée les cheveux en s’essayant à des tressages compliqués, avoir noirci de grandes feuilles de fusain en y dessinant sa licorne et d’autres animaux, elle entreprit de rappeler à ses mains des combinaisons de jonglage avec un encensoir vide, un petit pot en terre cuite et un sac de breloques à cheveux. Krisha l’interrompit avant tout incident malencontreux.

Le mestre la demandait. Il la demandait aux caves.

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