4.1

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Katina pouffa en se faisant raconter les retrouvailles de Rin et de sa fille.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, se vexa Célestine.

— Tu ne vois jamais ce qu’il y a de drôle. T’es toujours beaucoup trop sérieuse.

— Yue est une petite fille de huit ans et elle n’a que son père dans la vie. Excuse-moi de trouver grave que Rin l’ignore.

Célestine jeta un coup d’œil en direction de la tente où couchait Yue, l’espérant endormie. De son côté, Katina se resservait du thé et contemplait les braises de leur feu qui se mourraient doucement au milieu d’une nappe de cendres noires.

— Rin est un petit garçon de vingt-trois ans qui n’a que sa fille dans la vie, répartit-elle. T’as la moindre idée de ce qui se passe dans sa tête ? Parce que moi, non. Pourtant, je le connais depuis un sacré bail.

D’un geste las, Katina libéra la masse rousse de ses cheveux du chignon informe qui l’avait tenue serrée. Célestine contint un soupir.

— T’es maligne, ma grande, concéda Katina. On l’a tous compris dès que t’as débarqué ici avec tes grands yeux pleins d’étoiles. Seulement, voilà, tu sais pas tout. T’étais pas là quand le gamin a été forcé de pénétrer une femme qui lui crachait à la figure, ni quand il a vu Strega la bouffer. Il a fait des terreurs nocturnes tous les soirs, après ça. Longtemps, encore. Si ta tente était plus proche de celles des esclaves, tu saurais qu’il en fait toujours. En tout cas, à quatorze ans et dans son état, il était incapable de s’occuper d’un bébé. Sila venait d’en avoir un aussi, c’est elle qui a allaité Yue. Son rejeton à elle n’a pas vécu dix jours, alors elle était contente que son lait serve à quelqu’un. Puis tout le monde s’est un peu relayé pour s’occuper d’elle. Rin, lui…

Katina baissa les yeux.

— Il a pas adressé la parole à cette pauvre petite avant ses trois ou quatre ans. Quand il l’a fait la première fois, c’était pas pour lui dire des mots gentils. C’te môme a jamais été tenable, je te laisse imaginer comment il a réagit quand les mestres ont commencé à le blâmer pour les bêtises de sa fille. Yue a toujours été folle de lui, par contre. Avec le temps, elle a fini par l’apprivoiser, mais les Astres savent qu’il ne lui a pas rendu la tâche facile.

Cette idée parut d’une absurdité burlesque à Célestine. Pour vaincre le sourire nerveux qui cherchait à étirer ses lèvres, elle les noya dans la tiédeur de sa tasse.

— La conclusion, c’est que ça ne sert à rien d’essayer de se mêler de leur relation. Ils sont les seuls à vraiment se comprendre. En tout cas, Yue est la seule à comprendre Rin et je crois qu’il commence à bien la connaître aussi. Je sais que c’est difficile pour toi, mais laisse-leur un peu d’espace quand ils sont en conflit.

— Difficile pour moi ? Qu’est-ce que tu sous-entends ?

Un sourire grivois plissa les traits de Katina.

— Oh, à d’autres ! Vous êtes collés toute la journée, Rin et toi. Tu t’occupes de Yue comme de ta gosse, et pareil pour Isaac depuis qu’elle te l’a ramené du ciel sait où. J’te juge pas, hein ! Rin a fière allure et les deux petits sont à croquer.

— Ne dis pas de bêtises. Je ne vois pas Rin de cette façon. Il n’y a qu’à nous regarder, je suis son aînée de dix ans.

— C’est grave ? Lester a dix ans de plus que moi aussi.

— Pour vous, c’est autre chose. Rin… Pense que la Tjarne a dû lui donner l’aversion des femmes plus âgées.

— Quoi, la Tjarne ? Pitié ! D’abord, crie pas ça sur les toits. Au cas où tu l’aurais pas remarqué, c’est un peu tabou, ici. Ensuite, c’est stupide d’appeler cette femme comme ça. J’ai foulé les terres de Tjarn pendant quinze ans, tous mes ancêtres y sont nés et, parole d’honneur, cette pauvre âme n’en était pas.

Célestine n’assimila que très lentement cette confidence.

— Pourquoi l’appelle-t-on de cette façon, dans ce cas ?

— Ses cheveux, j’imagine. Toutes les têtes rousses ne sont pas de chez nous, pourtant. Elle, elle avait le teint vraiment halé. Dans le Nord, les figures sont pâles et elles le restent toute l’année. En plus, si je me souviens bien, elle avait quelque chose comme l’accent d’Opralite.

Katina se leva et s’étira péniblement.

— Je dois y aller, Lester panique quand je le laisse trop longtemps seul avec le bébé. Toujours partante pour que je te montre comment tricoter en rayons de miel, demain ?

— Bien sûr, répondit Célestine sans trop y réfléchir.

Son attention s’était échappée dans les volutes de fumée rémanentes du feu éteint dont la valse ralentissait à vue d’œil.

— Éteint bien toutes tes lampes avant de dormir, recommanda-t-elle à Katina. Le feu se comporte bizarrement aujourd’hui.

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