La dernière danse.

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Othon manœuvrait son bombardier entre les épaves secouées par les soubresauts d’agonie. Dans le lointain, les frappes d’artilleries explosaient en flashs de lumière aveuglante sur les écrans des cuirassés.

« J'adore ce plan Praj' ! Il est complètement fou ! »

Au côté du Caesar, sanglé dans son siège, Prajan, le Grand Amiral de l'Impérium, était semblable à une statue de rubis. Grand, les muscles secs et parfaitement dessinés, il portait l’armure des seigneurs du clan Regaar, faite de l’acier rouge le plus pur et réhaussée d’or et de joyaux. Nul autre qu'Othon n'aurait osé faire un diminutif de son nom d'adulte et espéré s'en tirer indemne.

« Ma stratégie est audacieuse Othon, pas folle. Tu vois ? C'est pour ça que tu es Caesar et moi Consul de la Guerre. Certaines choses sont réservées aux adultes. »

Avant que son compagnon n’ait pu répondre, une alarme stridente résonna dans le cockpit ; leur appareil avait été accroché par un senseur d’attaque ennemi. Le Caesar sourit, dévoilant ses crocs. Il savourait le moment, la qualité de son adversaire.

« Sacré Djed, Atronius ne te mérite pas. Praj’, tu les repères aux senseurs ? »

Othon fonçait au ras de la coque éventrée d’un cuirassé de classe prédateur. Par endroit, déchirant le blindage, jaillissaient des éruptions de flammes qui libéraient des cadavres calcinés dans le vide glacé.

« Non, les senseurs sont saturés par les radiations et les débris. »

Prajan parlait d’une voix calme, incongrue dans ce chaos. Le puissant Consul de la Guerre prit une profonde inspiration. Son esprit s'harmonisait avec l'Ouhn, l'essence de l'univers. A mesure que sa conscience s’étendait , l'espace alentour devenait formules, équations et symphonie mathématique.

« Je les ai : trois hostiles. Des intercepteurs, je te transmets sur l’écran. »

Prajan avait fermé ses yeux d'obsidienne. Il jouait distraitement avec sa tresse dont l'extrémité atteignait la base de sa queue. Sur l'écran tête haute du cockpit, trois points rouge firent leur apparition.

« Je les vois ! Économise ton énergie mon ami, on va en avoir besoin. »

Othon les vit dans ses huit heures. Magnifiques et menaçants, à l’image des Pankhaavi dorés qui hantaient les montagnes de Tanit. Les flashs des explosions se reflétaient sur la peau argentée des trois intercepteurs qui fonçaient sur eux en formation.

« Enfin de l’action ! »

Le cockpit se remplit des rugissements des moteurs poussés à pleine puissance. Othon plongeait dans les entrailles d’un croiseur. Le Titan brisé se tordait sous les ravages des incendies, déformant les poutrelles d’acier.

« Missiles en approche ! »

Aucune alerte senseurs, leurs systèmes de guidage étaient inefficaces dans ce chaos. Othon vira, frôlant les charpentes instables.

« Accroche toi ! »

Les explosions secouaient le bombardier de plusieurs tonnes comme un jouet. Des flammes dansaient dans le regard du Caesar.

« Ça ne te rappelle pas les canyons à l’Académie ? »

Le vaisseau virevoltait, surgissant des flammes. Des charges de plasma frappaient les écrans mis à rude épreuve. Prajan se tordait le cou à la recherche de leurs poursuivants. Entre deux explosions il les vit, des prédateurs fonçants dans leur sillage.

« J’en ai vu deux, ils sont aussi dingues que toi ! Rassure-moi, tu as un plan ? »

Le Caesar tourna la tête vers son copilote, un sourire carnassier aux lèvres.

« Ouais ! Improviser ! »

« Othon ? Il me semblerait opportun que tu regardes devant ! »

Tout un pont s’affaissait comme un domino mortel. Un tonneau et le vaisseau s’élança en spirale au cœur d'une tornade de poutres et plaques d'acier incandescentes. Un amas de métal explosa en gouttelettes incandescentes sur les écrans du Bombardier.

« Othon, peux-tu faire attention ? Nos écrans sont à... Attention à gauche ! »

Un grondement sinistre : quelque chose frottait contre le blindage. Hilare, le Caesar lança à son ami.

« Admets-le, ça va te manquer mon frère ! »

Derrière eux, un morceau de coursive déchiquetée heurta l'aile d'un des chasseurs, l'envoyant valdinguer. Hors de contrôle, il rebondit sur les parois et obstacles en fusion. Chaque impact lui arracha un morceau avant de le transformer en boule de feu.

« Ce n'est pas le moment Othon, concentre-toi sur… Devant ! »

Des supports du tube de gravité tombaient en pluie de lave, suivis de près par plusieurs dizaines de tonnes d'acier. Othon vira et redressa, le métal en fusion dévié par les écrans coulait de part et d'autre du vaisseau.

« Allez ! Ça te coûte quoi de me le dire ? Je sais que ça va te manquer ! »

« Othon, tu fonces vers l'obstacle, c'est l'inverse de ce qu'il faut... »

Le Caesar imprima une rotation avant de plonger vers une ouverture du cylindre brisé, suivi de près par l'intercepteur.

« Ça ne passera pas ! »

Prajan s'agrippait aux accoudoirs, reculant dans son siège par réflexe.

« Je suis sûr que ça va te manquer ! On ne s’amuse pas, là ? »

Le vaisseau s'engouffra dans le tube. Les mains crispées sur les commandes, Othon tournait et compensait pour avancer tout en accompagnant la chute et les mouvements du conduit géant. Des charges de plasma explosaient sur les parois et le vaisseau. Prajan dirigea l'énergie sur les écrans arrière.

« Le pilote du chasseur nous envoie un message de remerciement. Bravo Othon, maintenant il ne peut plus nous rater, on est dans un couloir. Brillante idée. »

« Tu râle, mais t'aimes ça... Dis le que ça va te manquer Praj' ! Ho ! On est dans le six là ! »

Dans une manœuvre aussi brusque que désespérée, le Caesar imprima une nouvelle spirale.

« J'avais oublié les passerelles de maintenance... »

Le bombardier heurtait les structures, défonçait les passerelles, raclait sur les bords. Prajan retenait son souffle. Sur le tableau, des voyants rouges clignotaient.

« J'ai une idée Praj' ! Mais ça va secouer un peu. »

Sous les yeux ahuri du Consul, un missile fila devant le vaisseau. Une explosion secoua le tube, le disloquant par endroit. Othon piqua dans une mer de flammes. Le vaisseau était secoué dans tous les sens. Un choc, puis le bombardier surgit hors du tube, suivi de près par son poursuivant.

« T'avais raison Praj' ! Ça passait pas. »

Prajan, la mâchoire serrée, foudroyait son ami du regard.

« Fais pas cette bouille, je sais que tu as adoré ! Moi j'ai adoré ! »

Les indicateurs d'écran clignotaient en rouge sous les impacts des charges de plasma. Au travers de la fumée et de la suie qui couvraient le cockpit, une menace encore plus urgente, alerta le Consul qui cria.

« C’est un cul de sac devant ! »

Face à eux, la coque du croiseur formait un mur infranchissable et ils se ruaient sur elle.

« Admet que ça va te manquer ! »

Othon virait de gauche et de droite, enchaînant des manœuvres d’évasion. Des traits de plasma fusaient autour du bombardier. La coque s’approchait dangereusement.

« Tu es insupportable, les Sept en soient témoins ! Notre amitié est une énigme cosmique, alors oui ! Je l’admets ! Ça te va ? »

« Tu vois ? C’était pas si difficile ! Envoie des leurres. »

Prajan lui tira la langue en enfonçant la commande, projetant des dizaines de projectiles embrasés et aveuglants dans leur sillage.

« Tu es Caesar. Commence à grandir. »

« Et c’est parti pour le tourbillon de la mort ! »

« Othon ! Je t’inter… »

Brusquement projeté en avant, Prajan ne finit pas sa phrase. La périphérie de son champ de vision s’assombrit et le monde sombra dans la nuit. Vaguement, il percevait le rugissement des rétro fusées, le son plaintif de la coque soumise à des tensions extrêmes.

« Quand la solution… Existe pas… Crée-la ! »

La voix d’Othon lui parvenait comme du fond d’un puits, déformée, lointaine. Le bombardier s’était mis à tournoyer comme hors de contrôle. Dehors, tout devenait flou, des filaments brûlants s’étirant à l’infini.

« Salut, le Pankhaavi doré ! »

Les ténèbres s’éloignèrent juste à temps pour voir l’intercepteur passer au-dessus d’eux, si proche que les écrans s’entrechoquèrent en projetant des torrents d’étincelles. Prajan croisa le regard du pilote : aucune panique, juste une détermination absolue.

« On va trop vite Othon ! Coupe les gaz ! »

Le Caesar luttait contre les commandes et l’inertie. D’une main, il réduisit la poussée pour redresser son appareil. Une explosion éclaira le cockpit.

“Comme dans les canyons d’Oshaa…”

Les vestiges d’atmosphère se ruaient vers le vide, entraînant le bombardier, le ballotant comme un jouet. Othon exultait, mâchoire serrée, tous les muscles tendus, il domptait les vents embrasés, filant entre les débris qui menaçaient de fracasser le vaisseau à chaque instant.

« T’as vu ? Plus de coque ! »

Le Caesar poussa les gaz, franchissant le passage étroit au milieu d’un geyser de flammes.

« Tu vois, pas besoin de plan ! »

« Tu es un grand malade Othon tu le sais ? »

« Dit le mec qui m’a proposé un plan de barjot pour prendre Makran ? »

Les deux Dakshi se regardèrent un instant avant d’éclater de rire.

« Dire que c’est notre dernière campagne… »

Othon réduisit les gazs, stabilisant l'appareil. Une explosion de plasma sur le blindage secoua le vaisseau, suivi par d’autres impacts sur le blindage. Les plaques déchiquetées devenaient des shrapnells incandescents semblables à des étoiles filantes dansant autour d’eux.

“Qu’est ce que…”

Othon n'eut pas le temps de finir sa phrase : le dernier chasseur passait en piqué à moins d’un mètre d’eux. Prajan avait rallumé les écrans par réflexe, les champs d’énergie crépitèrent. Le choc projeta les deux vaisseaux dans une spirale incontrôlable.

“C’est un chasseur, le troisième. J’imagine notre éloge funèbre : morts parce que Othon ne savait pas compter au-delà de deux.”

Othon adressa un regard noir à son copilote.

“Moins de sarcasmes, plus de mitraille ! C’est pas tes remarques qui vont le descendre.”

« Je m’en charge, évite de faire toucher ! »

« Super conseil Prajan... »

Le Consul ricana en saisissant les commandes de tir. La tourelle dorsale surgit de son logement blindé en crachant des jets de plasma. Othon vira sur l’aile, basculant le bombardier face à son adversaire en effectuant une vrille.

« Othon ! J’ai dit éviter, pas percuter ! Ça ne se prononce pas de la même façon ! »

***

Le pilote du chasseur se dégagea au dernier moment, piquant hors de la ligne de feu. Désespéré, il tentait de contacter la flotte de défense.

“Drachen 1 à flotte de défense, contact bombardier… Sang de six ! Ça passe pas...”

Les explosions et les radiations s’échappant des moteurs éventrés brouillaient les signaux.

“Qu’est ce que tu fous là tout seul?”

Des charges de plasma frappèrent les écrans sur l’avant. Surgissant d’un nuage de gazs irisés, le bombardier ennemi fonçait droit sur lui.

“Tu veux jouer à ça?”

L'appareil était lourd et long. Avec ses deux paires d’ailes rondes, il ressemblait à un Ketu Samsuhra, le terrifiant Dragon des océans de Tanit. Endommagé, il fumait. Moins maniable et plus lourd, c’était une proie facile.

“Tu as du courage mon ami, mais ça ne te suffira pas.”

Le rugissement des turbines se répandait dans le cockpit tandis que le pilote accélérait. Les contrôles des écrans clignotaient en rouge.

“Ta petite manoeuvre ne marchera pas deux fois. Puisse Jamaavat prendre soin de ton essence.”

Les deux vaisseaux fonçaient à pleine puissance l’un sur l’autre dans une trajectoire mortelle.

“Encore un peu…”

Le hurlement strident des alarmes anti collision était insoutenable. Les regards des pilotes se croisèrent, déterminés, pleins de défiance et de respect.

“Maintenant !”

Le pilote du chasseur tira sur le manche, cabrant en chandelle. Ecrasé contre son siège, le souffle coupé, Drachen 1 voyait le monde devenir noir. Son corps réagissait par réflexes, chaque mouvement était un exploit.

“Break….”

Les moteurs coupés, le chasseur vira brusquement et les yeux du pilote s’attardèrent un instant sur la photo de sa femme.

“J’arrive Aakimah !”

Finalisant son virage sur l'aile, il coupa les écrans et piqua pour fondre sur le dos sans défense de sa proie.

Ses réacteurs à pleine puissance, il enfonça la gâchette de tir. Les yeux écarquillés, il regardait les écrans du bombardier encaisser les explosions de plasma. Le dragon des océans montait en chandelle droit sur lui, prêt à le dévorer.

***

“Je coupe les écrans ! Le rate pas Praj !”

Le pilote du chasseur écrasé dans son siège n’eut pas le temps de relever ses écrans : la tourelle déchiqueta son appareil. Son regard se posa sur la photo ravagée par les flammes. Dans son cockpit, Othon adressa une prière à son adversaire.

« Jamaavat accueille et guide mon frère, il s’est battu avec vaillance et honneur. »

Les contrôles des propulseurs s’affolaient, les indications de température crevait les plafonds. Plusieurs systèmes s’étaient coupés ou avaient fondu. Le Caesar avait poussé le vaisseau dans ses limites pour briser sa vitesse et prendre de court son adversaire.

“ Belle manœuvre Othon, mais tu vois, tuer des gens, ça ne me manquera pas.”

« Merci Praj’, moi non plus cela ne me manquera pas. La guerre ne devrait pas résumer nos vies. J’aimerais être un homme de paix comme toi, comme Katharina. Laisser à mon fils a venir un Empire prospère, être un Caesar qui offre l’espoir et l’avenir à ses sujets.”

La main de Prajan se posa sur l’épaule de son ami.

“Tu le feras mon ami, nous serons là pour te soutenir. Mais avant, il faut arrêter ce fou et pour ça, il reste à se faufiler entre les écrans des cuirassés sans être pulvérisés. »

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