L'abandon

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Il faisait beau ce jour-là. Les enfants riait, et riait tellement, en plissant mes oreilles de joyeux éclats. C’était l’anniversaire de Sandrah, ma maîtresse. Enfin, supposée être ma maîtresse. Quand je suis arrivée dans leur famille trois ans au paravent, cesse qu’on m’avait dit, en me mettant dans ses bras « tiens ! voilà ta Maîtresse Cabou. » avant d’ajouter à la gamine haute comme trois paumes « Tu l’a voulu, c’est à toi de t’en occuper ». Ca a été le cas au début, quand j’étais encore tout mignon et petit, que je me laissais faire malgré sa délicatesse digne d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et puis, j’ai grandi, je ne l’intéressais plus autant qu’avant. Quand je venais lui quémander des caresses, elle me repoussait « oh tu pues Cabou » « oh tu vas me salir Cabou ». Tant et si bien que j’ai fini par ne plus trop l’approcher trop près. Seulement lorsqu’elle était malheureuse, qu’elle pleurait, ne pouvant soutenir ses larmes sans broncher je m’approchais d’elle, couinant le museau cherchant ses mains. Alors là, elle me prenait dans ses bras et me caressait. J’étais triste et content à la fois. Elle redevenait gentille lorsque son cœur se brisait. Je me surprena parfois à la vouloir triste, pour avoir droit à ses mains dans mon pelage canin.

Elle fêtait ses dix ans ce jour-là, c’était son anniversaire. Elle avait une belle robe avec des roses et des licornes. Elle se fichait bien de moi dont elle préférait ses nouveaux cadeaux, mais les autres enfants me harcelaient de caresses. J’étais heureux. Puis soudain ils se sont mis à courir dans tous les sens, je les poursuivais pour jouer avec eux. Et puis d’un coup d’un seul, un des enfants s’est jetée sur Sandrah, la poussant par terre. J’ai vu rouge, vous comprenez, Sandrah a beau avoir des défauts à revendre à la pelle, c’est ma maîtresse. Je devais la défendre. Je me suis jeté sur le petit garçon et l’ai attrapé par les dents le mollet. Je ne pensais pas serrer fort, je ne voulais pas, quand j’ai vu le sang et entendu le môme crier, et Sandrah aussi elle a crié, je suis parti me cacher à l’intérieur. Et je n’ai plus bougé. On ne m’a pas cherché tout de suite. Les cris se sont tus, mais les rires non pas repris. Puis j’ai entendu les parents de Sandrah discuter, et elle venir me prendre dans ses bras, des larmes pleins ses yeux. Je ne sais pas ce qu’ils disaient, je ne comprenais pas. Mais ça ne sentait pas bon et ça m’était Sandrah très en colère et triste. Le père est venu, m’a attrapé par le collier et m’a donné un coup de pied pour me mettre dehors. J’avais compris que j’avais fait une grosse bêtise. J’étais puni. Jamais encore je n’avais eut de coup de pied, je ne comprenais pas trop. J’avais seulement défendu ma maîtresse. J’y avais sans doute été trop fort et j’étais puni, j’étais prêt à assumer la tête et la queue basses. Mais je ne m’attendais pas à la suite. Comment pourrais-je pu l’imaginer ?

Je vis Sandrah sortir de la maison par une fenêtre du rez-de chaussée, ma laisse dans la main droite. Elle pleurait. Elle tenait dans sa main gauche un sachet de croquettes. Je ne savais pas quoi en penser. Balade ou repas ? Je lui sautai dessus, regrettant immédiatement mon geste, j’allais salir sa robe et elle n’allait pas être contente. Mais plutôt que me faire gronder, Sandrah se serra fort contre moi, je l’entendais renifler dans mon cou. Elle me disait encore pleins de choses que je comprenais pas plus. Mais je sentais que ça n’allait pas du tout. Cette fois je n’arrivais pas à la consoler, ça me rendais triste aussi. Et inquiet. Elle me passa la laisse puis me tira derrière elle. Elle passa derrière la maison, je comprenais qu’elle ne voulait pas que ses parents nous voient. Mais je lui faisais confiance, c’était ma maîtresse.

Nous traversâmes un bout de bois, puis sur la route nous marchâmes un moment. Je gémissais à côté, lui léchant la main. Elle ne cessait de pleurer, son si joli visage tout rouge et humide. Je ne savais pas comment la consoler. Après un long moment que je ne comptais plus, sur un parking, elle attacha ma laisse à un poteau, enleva le médaillon de mon collier, celui avec mon nom, Cabou, tout doré, puis me fit un long calin. Elle déposa les croquettes à côté de moi avant de repartir. Je l’appelais mais elle ne se retourna pas. Je passai le reste de la journée à pleurer. La nuit aussi. Et encore quelques jours sur ce parking désert. Pourquoi elle mettait temps de temps à revenir ? Je la guettais jour et nuit. Je n’avais plus de croquettes, et pas d’eau. Le soleil cognait et le poteau ne m’offrait que très peu d’ombre. Et la nuit, il pleuvait, j’avais froid mais surtout j’étais sale et mouillé. Sandrah ne voudra pas me faire de calins en revenant. J’étais fatigué. Je n’espérais plus que Sandrah vienne me chercher… J'attendais pourtant encore, quelque chose, la mort peut-être.

Un midi, j’entendis un moteur s’arrêter, une portière claquée et des voix. Des rires. Je n’avais vu qu’une ou deux voitures depuis que j’étais arrivé. Et pas celle des parents de Sandrah, j’espère qu’ils ne s’étaient pas perdus. Etais-ce eux ? Sandrah ? Je voulais aboyer mais n’en pouvais plus la force. Je pus à peine réagir quand je sentis des petits doigts me gratter l’arrière des oreilles. Il fut difficile de boire dans les mains en coupe de la dame qui versait un peu d’eau dedans pour me faire boire. Puis je sens mon corps s’éloigner du sol dans des bras solides. Leur odeur ne me dit rien. Sandrah ne devait pas monter dans des inconnus. Et moi ? On ne m’avait jamais rien dit à ce propos. Je voulais leur dire de me remettre, que Sandrah viendrait peut-être me chercher ! C’était ma maîtresse, elle allait venir, dès que la punition serait finie, non ? Mais je ne pouvais pas. Alors je me laissai faire. On me déposa sur la banquette, la petite fille à côté de moi était plus grande que Sandrah, elle me caressait tout le long du chemin. C’était agréable. Chez eux, ils me mirent au frais, sur une couverture. Une belle coupelle d’eau fraiche, et des croquettes de chat. Ce n’est pas mauvais. Je mis quelques jours à me revigorer malgré mon chagrin qui s'atténua peu a peu. Estelle ne cessa jamais de s’occuper de moi. Pour finir, je m’attacha à elle, même si je ne put longtemps oublié Sandrah. J’ai vécu de belles choses avec elle. Elle m’a toujours emmené en vacances, et quand elle a rencontré Bastien, je suis resté avec eux. Et quand son ventre a grossi, je suis resté avec eux. Et quand ils furent trois, je suis resté avec eux. Aujourd’hui, pourtant, je suis vieux, et je suis triste de devoir abandonner cette personne, moi qui sait à quel point c’est dure… l’abandon.

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