Mélilémots #2

4 minutes de lecture

Mots à incorporer : Sexologue, anachronisme, horloge, futile, entreprendre

Ginny regarda autour d’elle la salle d’attente. Son air dubitatif se lisait sur son visage. De grands tableaux représentant différentes positions sexuelles étaient exposés sur les murs blancs. Le long des murs, des chaises blanches, simples, s’alignaient pour accueillir les patients. Elle était seule, assise sur la chaise qui faisait face à la porte du cabinet. Devant elle, une table basse recouverte de magasines. Contrairement aux habituels magazines people qu’on pouvait trouver dans la salle d’attente d’un médecin, c’était des revues porno.

La porte d’entrée s’ouvrit, laissant apparaître un homme d’une quarantaine d’années. Elle fronça le nez lorsqu’il vint s’assoir à côté d’elle. Vêtu d’un imper brun adapté au temps pluvieux, il joignit les mains sur ses genoux sans rien dire.

Ginny ajusta le chignon blond serré qu’elle arborait ce jour là. Ses grands yeux bleus rencontrèrent les yeux gris de l’homme. Ses cheveux poivre et sel dégoulinaient. Une petite flaque commençait à se former sous sa chaise. La jeune femme le détailla une dernière fois avant de reporter son attention sur la porte en face d’elle.

— C’est lugubre.

Elle ne répondit pas.

— Tous ces tableaux, et ces magazines… Je trouve ça de très mauvais goût.

Elle haussa les épaules.

—  Si ça peut aider. Pourquoi pas.

Mais elle était de son avis. L’atmosphère de cette salle la rendait mal à l’aise. Ce n’était pas la meilleure décoration pour ce genre d’endroit. Mais ce n’était pas elle la praticienne après tout.

—  Je ne suis pas sûr que ça aide beaucoup. Au contraire, c’est pesant pour les hommes de se retrouver face à ce genre d’images, qui renvoient une perfection qu’ils ne pourront jamais atteindre.

Ginny crispa ses mains sur ses genoux.

—  Pour les femmes non plus, ce n’est pas simple. Avoir l’air d’une actrice porno pendant l’acte, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable. Pourtant, dans la tête d’une femme, il n’y a rien de plus excitant pour un homme.

Son regard était obstinément rivé à la porte blanche.

—  Je ne pense pas qu’agir en actrice porno soit si excitant pour les hommes. Si les femmes réussissaient simplement à se laisser aller, à être elles-mêmes, ce serait tout aussi excitant.

Ginny resta muette. Elle jeta un rapide coup d’œil à l’horloge accrochée au mur. 10h43. Elle sentit l’homme bouger sur sa chaise.

—  Je n’ai jamais trouvé les chaises de salle d’attente très confortables. Quand on pense qu’un médecin a en moyenne une heure de retard, on pourrait penser qu’il investirait dans du matériel de qualité pour ses patients. Tu ne crois pas Ginny ?

La jeune femme ajusta sa position. La chaise n’était vraiment pas confortable. Cette conversation futile non plus. Elle entreprit de se lever lorsque l’homme lui prit le bras. Mais avant qu’il ait pu dire un mot, une jeune femme ouvrit la porte du cabinet. Elle avait le visage marqué. Les cernes sous ses yeux soulignaient sa fatigue. Elle leur jeta un regard vide.

Se dégageant du bras de son compagnon, elle se dirigea vers la secrétaire. Il la suivit. D’un geste de la main, elle les invita à entrer. Ils pénétrèrent dans un couloir menant à trois salles différentes. La première, à gauche, était le bureau du médecin. Au fond du couloir, les toilettes, leur expliqua la secrétaire. Enfin à droite, le cabinet de consultation à proprement parlé. Ginny et l’homme à l’imper se dirigèrent d’abord vers le bureau.

Ce dernier avait tout d’un simple espace de travail. Un bureau en bois de style ancien, des chaises appartenant à un autre âge, des bibliothèques ouvragées recouvertes de livres de psychologie et de sexologie. Seul l’ordinateur, de dernière génération, dérangeait. Anachronisme dans une pièce dédiée au passé. Ginny balaya la salle du regard. Rien d’étrange ici.

Elle observa le velours rouge qui recouvrait les chaises. Tout ici respirait le chic. Les statuettes de marbre, les vieilles lampes en cristal. Le praticien qui exerçait ici devait avoir une clientèle régulière et abondante. Les stylos sur le bureau, des Montblanc, étaient impeccablement rangés. Quelques dossiers étaient empilés dans un coin. Mais la majorité d’entre eux devait se trouver dans le secrétaire situer derrière le bureau.

Elle sentit plus qu’elle ne vit son compagnon s’éloigner. Avec un dernier regard pour la pièce, elle se rendit aux toilettes. Il était déjà dans le bureau du thérapeute. Mais elle avait besoin de se rafraîchir. Arrivée devant le lavabo, elle jeta un coup d’œil à son reflet. Quelques mèches s’étaient échappées de son chignon. Elle renonça à les réorganiser. Son teint était encore plus pâle que d’habitude. Elle refusait de se maquiller, mais elle pensa qu’elle aurait bien fait une exception à la règle cette fois-ci. Son travail l’empêchait de dormir.

Soupirant, elle ouvrit le robinet et passa ses mains sous l’eau froide. L’atmosphère humide et pesante laissée par la pluie s’effaça au contact de l’eau fraîche. Elle passa l’eau sur son visage et laissa s’échapper un petit soupir. Elle n’aimait pas être ici. Elle trouvait cet endroit pesant. Chargé d’émotions négatives. Mais elle devait le faire.

Elle répéta son geste, espérant chasser cette impression de ne pas être à sa place. Elle devait faire vite, ils ne l’attendraient pas indéfiniment. Elle se jeta un dernier regard. Reprit des forces dans ses yeux. Puis, avec un soupir, elle se détourna et se dirigea vers le cabinet.

Arrivée à la porte, elle détailla la pièce. Dans un coin, une autre bibliothèque ouvragée. Mais ici, point de bureau. Des chaises. Un divan. Des plantes vertes, pour faire joli. Des objets décoratifs de grande valeur. Tout ici respirait le luxe.

Son compagnon posa une main sur son épaule. Elle se secoua intérieurement. L’agitation ambiante l’aida à se concentrer. Elle regarda le divan. L’homme qui était allongé dessus. Le presse-livre tombé à côté de lui. La flaque de sang séché largement étendue sous le corps.

—  Essayons de comprendre ce qui est arrivé à ce pauvre sexologue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lucie PORTMANN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0