Chapitre 21 : L’ultime effort

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La lumière semblait provenir d’en dessous du sol. M’habituant progressivement aux éclats blancs comme neige, je parvenais à entrevoir de fins rayons traverser la terre rougeoyante et s’étendre bien plus haut que l’écran de Chopin. La musique continuait de se jouer et ne s’arrêta pas avant la fin du processus. Un bruit sourd se mit à retentir et nous entendîmes une série de cliquetis juste sous nos pieds, aussi nous reculâmes en vitesse et nous nous regroupâmes à quelques mètres du spectacle qui se déroulait sous nos yeux. Nous étions tous subjugués par le mécanisme qui se déclenchait, mais que nous ne pouvions pas encore apercevoir clairement.

Soudain, le sol se mit à trembler et des amas de terre commencèrent à chuter en quantité, comme si un immense puits venait de se former au pied de la sépulture du compositeur, qui elle, ne semblait pas bouger d’un pouce. Le terrain se creusait de plus en plus et je crus un bref instant que tout le cimetière allait finir par s’écrouler, nous emportant dans sa chute, cependant ce ne fut pas le cas. Le bruit assommant s’arrêta enfin et le trou ne s’agrandit plus. Les quelques derniers centimètres de terre terminèrent de tomber, puis plus rien. Le silence complet.

Nous nous approchâmes du précipice à pas lents, loin d’être rassurés. Nous avions à peine avancé de trois pas qu’un son strident retentit et nous nous stoppâmes aussitôt, en sursautant. Le cliquetis du début reprit et nous nous mîmes à entendre comme un bruit de rouages qui remontaient vers la surface. Quelque chose de massif allait sortir de terre et se hisser hors du puits. Les cliquetis étaient de plus en plus proches et nous finîmes par apercevoir le sommet métallique de l’imposant objet que la terre rejetait progressivement de ses entrailles.

Non, ce n’était pas du métal. La substance était brillante et semblait se déplacer. Elle se mouvait alors que l’objet conservait parfaitement sa silhouette. Celle d’une immense horloge.

Comment était-ce possible ? Comment pouvait-elle garder exactement la même forme alors que la matière qui la composait était douée de mouvement, comme si le liquide était contenu à l’intérieur même de la structure.

Ça ne pouvait être que cela. Le mélange chimique qu’utilisait le gouvernement pour soumettre les contrôleurs était contenu à l’intérieur de l’horloge.

Malgré la terrible réalité qu’elle représentait, je ne pus m’empêcher d’être impressionnée par la grandeur et la beauté de la création qui se dressait devant moi. C’était une sorte de spirale, qui me fit penser à la forme des capteurs volés par les Syrus, tout comme ceux que madame Tarot avait utilisé sur mon propre esprit. La spirale reposait sur un socle transparent qui me paraissait aussi fragile que du verre et dont les pieds prenaient également des formes de spirales exactement identiques. Au centre du cadran, une seule aiguille prenait place et restait bloquée sur le nombre douze, au point le plus haut de l’horloge. Elle était d’une finesse prodigieuse, transparente comme le socle et torsadée avec une précision dont nul artisan n’était capable à ma connaissance. La substance argentée luisait à travers la vitre invisible dont était formée l’horloge et s’agitait telle les vagues d’un océan emprisonné, destinées à tourner éternellement dans cette spirale infinie. Elle me parut tout droit sortie d’un conte de fées.

Seulement nous n’étions pas dans un conte fantastique dans lequel l’histoire se terminait sans encombres, où le monstre disparaissait à la fin, où le prince accourait pour sauver la princesse du danger et où tous deux pouvaient vivre heureux ensemble jusqu’à la fin des temps. Ce qui me le rappela fut la voix grave, paraissant sortir des tréfonds d’une grotte, qui venait de s’annoncer derrière nous.

-Ah, ah ! Nous y voilà enfin, l’horloge, dit la voix qui me fit froid dans le dos.

Nous nous retournâmes tous les six avec effroi, pour nous retrouver face à un homme revêtant un masque noir recouvert de pics de clarosfène.

Il avait un affreux sourire qui lui pendait aux lèvres et ses yeux brillaient d’une lueur noire qui me terrifiai. Je sentis Robin se rapprocher de moi avec prudence, sortant lentement le petit poignard qui se trouvait coincé dans sa ceinture.

L’homme qui s’adressait à nous était loin d’être seul. Il devançait ses camarades qui étaient au moins trois dizaines et portaient tous le même masque qui les caractérisait et leur donnait cet air si dérangeant et effrayant. Avec le vacarme de l’horloge, nous n’avions pas entendu le reste du groupe de résistants nous prévenir et nous les vîmes débarquer au pas de course quelques secondes plus tard, pour nous prêter main forte. Nous étions à peine plus nombreux, mais bien moins expérimentés pour une partie d’entre nous, moi y compris. Je ne m’étais jamais vraiment battue et je n’avais pas la moindre idée de la manière dont il fallait procéder pour survivre si j’étais poussée à combattre ici et maintenant.

Je vis James s’avancer vers celui qui semblait être le chef des Syrus. Il était manifestement très en colère et déterminé à ne pas se laisser faire.

-Comment nous avez-vous trouvés espèce de corbeaux vicieux ? s’écria-t-il de sa voix rocailleuse, sur un ton agressif que je ne lui connaissait pas.

L’homme au masque se mit à rire, ce qui ne manqua pas de désarçonner James.

-Vous croyez être les seuls à vous cacher depuis des années ? Nous avons nos méthodes et nos éclaireurs nous aussi. Cela fait maintenant des jours que nous vous observons, depuis le bazar qui a été causé par ces deux-là, annonça-t-il en nous désignant du doigt Robin et moi. D’ailleurs je tiens tout de même à vous remercier, s’amusa-t-il en nous offrant une révérence et son profond regard noir. Il est vrai que nous ne savions pas de quelle manière déclencher la sortie de l’horloge. Maintenant, il faut croire que c’est chose faite !

Le chef des Syrus s’exprimait étonnamment bien et avait sans aucun doute un certain charisme, mais cela n’enlevait rien à la cruauté dont lui et ses disciples avaient fait preuve, en particulier envers Robin. L’homme faisait les cents pas, les mains jointes devant lui, avant de se poster juste devant James.

-Voulez-vous bien vous écarter à présent, nous avons à faire avec cette horloge, dit-il en le fixant droit dans les yeux, avec un affreux sourire forcé.

-Jamais vous m’entendez ! Vous ne toucherez pas d’un pouce cette horloge tant que je serai vivant.

-Oh, bien je vois. Cela doit pouvoir s’arranger alors.

Je me mis à reculer, morte de peur, tandis que les hommes masqués sortaient des poignards et couteaux aiguisés, dans lesquels se reflétaient les derniers rayons orangés du soleil couchant et donnaient l’impression que des flammes s’en échappaient. Ils s’avancèrent vers nous et les résistants sortirent à leur tour leurs armes. À ce niveau-là, nous nous trouvions à forces égales, mais l’affrontement risquait de se transformer en un véritable massacre. La rancœur qu’il y avait entre les deux clans était trop intense pour espérer les raisonner et empêcher des morts inutiles. Cela faisait bien trop longtemps qu’ils désiraient accéder à l’horloge pour mettre en pratique leurs idéologies. Tout se terminerait ce soir, j’en étais persuadée. L’un des deux camps prendrait le dessus sur l’autre et aurait le contrôle de la cité de Christoval.

La première chose qui me frappa fut la couleur rouge du sang qui se déversait au sol. C’était un rouge très différent de tous ceux que je connaissais. Il n’avait pas du tout la même teinte que la terre sur laquelle les corps tombaient avec violence. J’eus l’impression que la bataille se déroulait au ralenti et je n’avais même pas remarqué qui avait donné le premier coup.

Comment s’était-elle déclenchée ? Je n’en avais aucune idée. J’étais complètement obnubilée par le sang. Mais ce n’était pas que la couleur qui m’intriguait, c’était aussi l’odeur immonde qu’il dégageait. Je n’avais jamais senti une telle odeur. Pourtant, je lui trouvais quelque chose de fascinant que je ne saurai expliquer. Les hommes et les femmes se jetaient les uns sur les autres et se mélangeaient, au point que je ne parvins plus à distinguer leurs identités. Ils se plantaient, s’étripaient, tombaient et laissaient exploser toute la rage qu’ils avaient réfréné tout ce temps.

C’est là que je me rendis compte de l’inutilité de toute cette violence. Les Syrus et les résistants d’Edmond Coronas déversaient leur agressivité les uns sur les autres, au lieu d’œuvrer ensemble contre leur véritable ennemi, le gouvernement. Ce fut à la suite de cette pensée que je repris conscience de la situation dramatique qui se déroulait devant moi. En réalité, le sang m’avait rappelé la texture de la substance qui coulait dans l’horloge et qui était responsable de tous nos maux.

Je n’avais pas remarqué à quel point je m’étais reculée du reste du groupe et je me trouvais à présent juste devant l’horloge, aussi belle et dangereuse qu’une rose qui nous attire par sa couleur écarlate, pour mieux nous piquer à l’aide de ses épines. Je savais ce qu’il me restait à faire. Je pouvais tout arrêter maintenant, quelques pas seulement me séparaient de l’impressionnant cadran en spirale. Tandis que je m’approchai, je ressentis une drôle de sensation, comme si un voile invisible m’enveloppait et m’attirait vers l’horloge sans que je puisse y résister. Elle m’envoûtait, elle voulait que ce soit moi qui la désactive. Cela n’avait aucun sens, car une horloge ne pouvait avoir d’âme propre, ni de volonté, pourtant il y avait bien quelque chose.

Je me hissai sur le socle de verre et me retrouvai à quelques centimètres à peine du cadran. C’est là que je l’entendis, le « Tic, Tac ». C’était exactement le même que celui qui venait hanter continuellement mon sommeil toutes les nuits depuis mon arrivée. Seulement, cette fois-ci, je ne cherchai pas à le repousser, je voulais le rejoindre, ou plutôt, mon instinct me disait de le rejoindre. Bientôt, la voix qui murmurait revint également et se mêla au « Tic, Tac » incessant.

Je ne savais pas comment je l’avais deviné, mais dès que j’entendis ces murmures, je su ce qu’il me fallait faire pour stopper l’horloge. Cependant, je su aussi que si sa fonction disparaissait, la mienne aussi. Elle m’avait attirée jusqu’à elle pour en finir. J’avais été le déclencheur de tous les évènements qui avaient eu lieu à Christoval et l’horloge serait le déclencheur de la fin des hostilités, j’en étais persuadée.

Je me retournai vers mes compagnons qui se battaient avec fougue et ne pliaient pas face aux Syrus. James mettait toute sa force dans ses attaques et continuerait jusqu’au bout. Il était enfin sur le point d’accomplir la tâche d’Edmond et ne laisserait passer cette chance pour rien au monde. Je le voyais sourire en portant des coups fatals à ses ennemis. Je me tournai ensuite vers Robin, qui se battait avec autant d’acharnement. Il était rapide et agile et savait prendre ses adversaires par surprise, mais malgré l’agressivité dont il devait faire preuve, je pouvais toujours voir la douceur dans ses yeux bleus comme le ciel. Son regard rencontra le mien un instant, un dernier instant. Il avait compris ce que je m’apprêtais à faire et m’adressa son plus beau sourire, avant de retourner combattre. Lui aussi était sur le point d’atteindre son but, aider à bâtir la société dont son père rêvait. Mon seul regret fut de ne pas avoir eu l’opportunité de lui dire adieu.

Je vis à l’horizon d’autre personnes accourir en direction de la bataille. Les contrôleurs avaient fini par s’apercevoir de ce qui se tramait au cimetière des souvenirs. Il était temps, c’était maintenant ou jamais. J’espérais sincèrement que mes amis s’en sortiraient et rendraient ce monde meilleur.

Je me retournai de nouveau vers l’horloge et me mis sur la pointe des pieds pour atteindre l’aiguille bloquée sur le douze, qui me paraissait si fragile et commençai à la faire tourner. Je la descendis avec difficultés jusqu’à ce qu’elle indique six heures. J’eus l’impression que le temps s’arrêtait. Je n’entendais plus le bruit des combats. Je disparus à l’intérieur de l’horloge, comme aspirée par le « Tic, Tac » et les murmures.

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