Chapitre 18 : L’alliée

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Nous venions d’arriver sur la dune et nous nous allongeâmes pour surveiller l’agitation de la ville. Robin avait récupéré une paire de jumelles au camp des résistants et s’en servit pour scruter les mouvements de la population et tenter de repérer les contrôleurs. Je lui demandai ensuite de me les passer et je vis à mon tour que la protection avait été doublée. Il y en avait partout, des hommes et des femmes sans expression qui parcouraient la foule, droits et marchant lentement en scrutant les alentours. L’affaire allait être compliquée. Nous attendîmes un moment cachés derrière la butte, le temps que les rues se remplissent le plus possible.

Le soleil commençait à descendre et à se colorer de teintes orangées, quand nous décidâmes de nous jeter dans la gueule du loup. C’était le moment, tout le monde sortait du travail et les rues du quartier des affaires étaient bondées.

Robin et moi enfilâmes des vestes à capuche pour dissimuler nos visages et nous nous élançâmes de l’autre côté de la frontière. Je pris néanmoins soin de bien regarder où je posais mes pieds lors de la descente, pour être sûre d’arriver à destination en un seul morceau, ce qui ne serait pas chose facile.

Nous étions à présent entrés dans la ville et déambulions parmi les immenses bâtiments en forme de livres, qui nous encerclaient comme si nous étions déjà pris au piège. Nous nous intégrâmes parmi les centaines de passants en baissant la tête à l’approche d’un contrôleur. Je tenais la main de Robin pour m’assurer de ne pas le perdre en chemin et nous traversions ainsi la vague surpeuplée, tel deux petits poissons qui se trouveraient à contre-courant. Notre accoutrement semblait étonner certaines personnes, qui nous jetaient alors des regards désapprobateurs, s’écartant de peur de se faire salir leurs beaux costumes ou chemisiers impeccablement repassés. Il fallait faire vite, avant que quelqu’un ne commence à se poser trop de questions et attire le regard des contrôleurs. Pour l’instant, aucun ne semblait avoir remarqué notre présence. J’espérais de tout cœur que nous réussîmes à parvenir jusqu’à Enora avant que ce soit le cas.

Soudain, je levai les yeux pour tenter de mieux voir vers où nous nous dirigions et mon regard croisa celui d’une jeune femme aux boucles rousses à l’allure glaciale et aux yeux perçants, qui se mit à me fixer avec intérêt. Je fus prise de panique et me mis à avancer de plus en plus vite, en entraînant Robin sur la droite, à l’opposé de la femme.

-Qu’est-ce qu’il se passe ? me demanda-t-il à voix basse.

-Une femme nous a vu. Je crois que c’est un contrôleur, répliquai-je anxieuse. La rousse, de l’autre côté de la rue.

Robin détourna la tête vers la gauche le plus discrètement possible pour l’apercevoir.

-Je la vois et… oh non, avançons, vite ! s’écria-t-il. Elle vient vers nous, il faut qu’on se cache.

Nous nous écartâmes de la foule pour nous fondre dans l’ombre d’un bâtiment, dans un passage reculé. Nous restâmes immobiles plusieurs minutes, jusqu’à voir passer la femme rousse d’un pas rapide et déterminé. Elle traversa l’allée sans nous voir et sortit de notre champ de vision. Quand nous pensâmes le danger écarté, nous reprîmes notre marche et Robin me désigna le gigantesque livre qui nous faisait face. Je lui aurais facilement donné l’apparence d’un dictionnaire, avec sa largeur et son épaisse couverture qui ne laissait apparaître aucune pliure ou déchirure.

Nous nous trouvions à présent devant l’imposant bâtiment et le tout était de repérer Enora, en espérant qu’elle ne soit pas déjà sortie. Robin m’emmena dans un renfoncement sur le côté, entre la couverture et les premières pages du dictionnaire. L’ombre de celle-ci nous dissimulait partiellement et nous nous mîmes à attendre, jetant des regards furtifs dans la rue. Nous étions terrés dans le recoin comme des rats dans leur trou, tentant d’échapper au produit chimique de l’exterminateur.

Robin se reposait pendant que je surveillais l’entrée du bâtiment. C’est là que j’aperçus la cible. Je l’avais reconnue à sa démarche élégante, ses longs cheveux noirs et son chemisier blanc. Enora venait de sortir. Je me dépêchai de secouer Robin et nous nous mîmes à courir à sa poursuite avant qu’elle ne s’éloigne. Lorsque nous arrivâmes juste derrière elle, je lui attrapai la manche pour la retenir. Elle s’arrêta net et se retourna en sursautant. Elle baissa les yeux et mit quelques secondes avant de me reconnaître sous ma capuche.

-Toi ! s’écria-t-elle dans un mélange d’indignation et de surprise.

Elle se tourna ensuite vers Robin, qui m’avait rejoint et son expression s’adoucit.

-Enora, viens vite s’il te plaît. On doit te parler, lui annonça-t-il d’un ton ferme.

Nous l’entraînâmes alors en arrière, dans le renfoncement où nous étions cachés à l’instant. Elle remit ses cheveux en place et s’adressa à nous de cet air irrité que je n’appréciais pas chez elle.

-Bon sang, mais qu’est-ce qu’il vous est passé par la tête ? Vous savez qu’en ville on ne parle plus que de vous ? Les deux gamins qui se sont introduits aux Bureaux du Gouvernement et ont agressé une haute dirigeante et un contrôleur !

Ça fait plus de deux jours que je n’ai aucune nouvelle de vous et voilà que vous vous baladez dans la rue comme si de rien n’était ! s’exaspérait-elle.

-Alors c’est vraiment ce qu’on raconte sur nous ? demandai-je avec tristesse.

-Oui, et j’aimerais beaucoup que vous m’expliquiez !

-Tu ne comprends pas Enora, ça va bien plus loin que ça ! répliqua Robin. On a appris des choses sur Christoval qui te feraient frissonner crois-moi.

-Essayes toujours. Expliques-moi.

Elle croisa les bras et se posta juste devant son frère, dans l’attente d’une réponse qui la satisfasse. Celui-ci soupira et lui raconta ce qu’il s’était réellement passé au B.G.C. et notre fuite de l’autre côté de la dune. Enfin, il lui parla de la faille et du risque encouru si les résistants n’intervenaient pas. Enora faisait les cents pas derrière le bâtiment, outrée par ce qu’elle venait d’entendre. Son expression se transforma soudain en peur.

-Je n’arrive pas y croire… Mais ce que je ne comprends pas dans ce cas, c’est pourquoi vous avez pris le risque de revenir ici pour me dire tout ça ? Vous êtes considérés comme des fugitifs, vous ne pouvez pas rester.

-Nous le savons bien, j’intervins timidement. En vérité nous espérions obtenir ton aide… Enora. Nous avons un service important à te demander.

-Moi ? me répondit-elle effarée en se pointant elle-même du doigt. Vous voulez m’inclure aussi dans vos magouilles ?

-Enora, je t’en prie, dit calmement Robin. Je sais qu’au fond de toi tu es d’accord avec nos revendications, tu l’étais bien avec celles de papa. Nous avons vraiment besoin de ton aide.

En entendant mentionner le nom son père, la jeune femme détourna la tête et resta un instant silencieuse, ce qui fut une première victoire.

-Écoutes-moi, c’est une question de survie pour toute la population de Christoval, tu es aussi concernée que nous…

-C’est bon je vais le faire, le coupa-t-elle. Je vais vous aider, à condition que ça ne mette pas en péril ma place dans la société.

-Oh merci ! répondis-je avec soulagement.

-OK, ne t’en fais pas. Il faudrait juste que tu communiques avec maman le plus rapidement possible.

-Avec maman ? s’étonna-t-elle.

-Oui. Elle détient peut-être une information qui nous est indispensable. Parles-lui de ses conversations avec papa durant ses derniers jours. Nous devons savoir s’il a évoqué avec elle un moyen d’accéder à la faille et à l’horloge et en quoi Chopin est lié à tout cela.

-Chopin… c’est avec lui que papa discutait, c’est ça ?

-Oui. Et préviens-nous dès que tu as quelque chose, ou… même si elle ne t’apprend rien.

-Bon d’accord, soupira-t-elle. OK je le ferai, mais comment je pourrai vous prévenir ? J’ai remarqué que tu as laissé ton téléphone à la maison.

Robin et moi nous regardâmes avec interrogation. Nous n’avions pas réfléchi à ce détail. Enora leva les yeux au ciel et se dirigea hors du renfoncement ombragé.

-Attendez-moi là, je reviens.

Sur ce, elle repartit en direction de l’entrée du bâtiment et y entra à nouveau.

Environ dix minutes plus tard, elle revint vers nous et sortit de sa poche deux oreillettes nouvelle génération. C’était la nouvelle invention produite par la classe d’ingénieurs dont elle faisait parti. Elle en donna une à Robin et conserva la seconde dans sa poche.

-Est-ce-que tu les as volé ? demanda lentement Robin en fronçant les sourcils.

-Je préfère le terme emprunté, répondit-elle, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres.

Je ne me souvins pas l’avoir déjà vu sourire honnêtement.

-Avec ça on pourra se parler à des kilomètres de distance. Je te tiendrai au courant dès que j’aurai récupéré des infos auprès de maman.

-Merci beaucoup Enora, lança Robin.

Frère et sœur se prirent dans les bras l’un de l’autre, alors que je restais en retrait et les observais avec envie. Mes frères me manquaient. Mes parents aussi. Je me rendais compte à présent à quel point la famille était un lien important et je n’avais pas su me préoccuper assez de la mienne. Maintenant je l’avais perdue et me sentais atrocement seule.

Avant de repartir, Enora m’adressa la parole.

-Euh… au fait, je tenais quand même à m’excuser. J’ai pas été très cool avec toi quand tu étais à la maison et j’avoue que j’ai été injuste.

-Oh ! Ne t’en fais pas, c’est du passé, répliquai-je, déstabilisée par le remords qu’elle m’exprimait.

-Allez, faites attention à vous.

Après le départ d’Enora, nous dûmes refaire tout le trajet inverse à travers la foule qui diminuait de plus en plus. Nous nous retrouvions beaucoup plus visibles qu’à l’aller, ce qui n’était pas à notre avantage. Heureusement nous eûmes une chance inespérée et ne rencontrâmes pas d’obstacles majeurs, ce qui nous permit de rejoindre la dune sains et saufs.

Il faisait déjà nuit quand nous regagnâmes le camp des résistants et nous avions eu du mal à repérer le cratère dans le territoire escarpé. Lorsque James nous vit arriver, il nous prit dans ses bras, heureux de nous revoir en vie et nous lui annonçâmes alors la réussite de notre mission. Nous avions une alliée de taille dans la cité. Il nous offrit deux gros bols de ragoûts que nous dégustâmes comme si c’était un festin de roi. Nous n’avions pas pris le temps de manger quoi que soit durant le voyage et étions soulagés de pouvoir nous reposer un peu.

Seulement, j’avais vite remarqué que le repos ne pouvait être que de courte durée depuis mon arrivée à Christoval. Aux alentours de vingt-trois heures, Robin et moi entendîmes des cris et des gens courir à l’extérieur de la tente où nous nous étions installés. Intrigués, nous sortîmes dehors et j’interceptai Marina la cuisinière, qui sortait de la tente autour de laquelle tout le monde était rassemblé.

-Excusez-moi, que se passe-t-il ? l’interrogeai-je.

-C’est cette pauvre Hernanda ! répondit-elle, les yeux humides. Je crois qu’elle vient de faire une attaque, elle ne se réveille plus…

Nous nous dirigeâmes immédiatement vers la tente de la dite Hernanda et nous nous faufilâmes, pour apercevoir une vieille femme étendue sur un matelas, inerte.

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