Chapitre 3 : Bienvenue en ville

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Robin et moi avions parcouru tout le cimetière des souvenirs, lorsque nous arrivâmes à l’une de ses extrémités, au pied d’une grande dune de terre asséchée, aussi rouge que celle qui recouvrait toute l’étendue du désert d’écrans. Robin s’élança le premier pour grimper sur la butte, avec une aisance impressionnante alors que je tentais de le suivre avec plus de difficultés.

-Il n’y avait pas un autre chemin plus… facile ? lui demandais-je avec un cruel manque d’assurance dû à mon escalade laborieuse de la dune.

Je manquais de glisser et de dévaler la côte à chaque nouveau pas, mal assurée.

-Si, bien sûr, mais ça aurait été moins marrant non ? me répondit-il du haut de la butte de terre, un large sourire se dessinant sur ses lèvres. Et puis c’est beaucoup plus rapide par là. Ce raccourci nous fait gagner un temps considérable.

Je mis quelques secondes à lui répondre, concentrée en priorité sur le fait de caler le mieux possible mes pieds pour ne pas perdre l’équilibre. Ma maladresse naturelle pouvait me faire défaut à la moindre inattention.

-Est-ce qu’il était vraiment nécessaire de faire au plus vite ? Après tout rien ne presse non ? lui lançai-je, contrariée qu’il m’ait exposé à un danger qui aurait pu être évité.

Je le rejoignis enfin au sommet, complètement essoufflée. Il m’attrapa par le bras en rigolant et m’aida à monter les derniers centimètres et à me relever. Une fois arrivée saine et sauve, il fixa l’horizon et s’arrêta de rire. Il me dit ensuite d’un air beaucoup plus sérieux :

-Bien au contraire. Plus tôt nous arriverons en ville, plus tôt tu seras à l’abri. Il ne faut surtout pas s’attarder dehors. Le soir va bientôt tomber et les contrôleurs vont sortir faire leur ronde de nuit. C’est le moment où ils sont les plus nombreux et risquent de nous tomber dessus. Ils ne doivent surtout pas savoir que tu es ici. Et c’est sans compter sur les Syrus.

-Les Syrus ? Qui sont-ils ?

Robin se renfrogna quand je formulai ma question et passa sa main dans ses cheveux, le couchant du soleil se reflétant dans ses boucles, qui tiraient alors sur le doré. Je voyais bien qu’il y avait des choses qu’il préférait ne pas me révéler, mais je ne savais pas quelle raison pouvait l’en empêcher. Il me répondit vaguement, ne voulant pas s’étendre sur ce sujet. Je l’ai ressenti tout de suite.

-Peu importe… ce n’est rien. Nous nous soucierons de ça plus tard. Alors tu viens ? Il faut se dépêcher.

Je décidai alors de ne pas insister pour le moment et de me satisfaire de ce que je savais déjà, ce qui en réalité n’avait rien de suffisant à mon goût.

Je me tournai dans la direction vers laquelle Robin avançait et je demeurai sans bouger quelques instants avant de le suivre. Devant nous s’étendait une ville gigantesque, digne des plus beaux films de science-fiction. Elle émergeait, luisant et brillant tel une cuillère en argent, dans laquelle on pourrait voir son reflet le plus parfait et précis possible. C’était magnifique et pourtant tellement artificiel en même temps. Les derniers rayons du soleil venaient frapper les innombrables vitres transparentes et créaient des éclats presque surnaturels qui couvraient l’ensemble de la ville. Il n’y avait pas un bâtiment de la même forme qu’un autre et pourtant chacun d’eux s’intégrait parfaitement parmi les autres. Un grand immeuble suivant la courbe d’une vague venait tomber telle une chute d’eau dont le mouvement se serait arrêté et se transformait en une plateforme parfaitement droite, faisant office de toit à la petite maison accolée. Il y avait à gauche tout un quartier de structures géométriques complexes. Pyramides, sphères, cubes et autres formes triangulaires, rectangulaires et hexagonales se succédaient à perte de vue, m’offrant un spectacle des plus étonnants. Le côté droit, où trônait le bâtiment vague, était encore plus extravaguant. Il n’y avait ici plus rien de géométrique ou d’ordonné. Les formes les plus folles s’entremêlaient, passant d’une habitation qui ressemblait à un croissant de lune, à une immense tour creusée à l’emplacement de deux yeux, d’une bouche et d’un nez, que l’on pourrait facilement assimiler au Cri de Munch. Derrière on pouvait apercevoir une série de petites maisons d’une largeur minime, qui s’étendaient sur plusieurs étages, en forme de troncs d’arbres métalliques, surmontés de fins branchages qui semblaient aussi fragiles que des pailles de verre.

Cependant, ce qui m’interpella le plus fut l’imposant temple grecque qui se postait au centre de la ville, au croisement des quatre grandes avenues qui la traversaient et la décomposaient en quatre quartiers distincts. D’ici je ne pouvais voir que les deux premiers qui s’étalaient devant moi, le quartier géométrique et le quartier que je qualifierai comme artistique. L’unique élément qui rassemblait toutes ces créations était cette matière métallique lisse et luisante, qui offrait une sorte d’uniformité.

Robin et moi étions descendus de l’autre côté de la butte du cimetière et arrivions à l’entrée de la ville, face à l’une des grandes avenues. Il s’arrêta un instant et s’adressa à moi.

-Je te souhaite la bienvenue en ville Aélys ! Je te présente la cité de Christoval, qui possède la technologie la plus développée du monde.

Robin me conduisit à travers le quartier géométrique, qui s’avéra être un véritable labyrinthe argenté. Je le suivais dans un enchaînement de petites rues, de détroits et de passages dissimulés qui descendaient par moment sous terre, ce qui m’apparaissait tout de suite moins rassurant. Il y avait tout un réseau de tunnels immaculés qui parcouraient la cité. Robin m’expliqua que ces souterrains étaient très peu empruntés par la population, qui préférait se déplacer à l’air libre, à la vue de tout le monde ; car la plupart des habitants partait du principe que le citoyen modèle, s’il n’a rien à se reprocher, n’a pas de raison de se cacher ou de s’éloigner des autres. Des rumeurs circulaient, disant que lorsqu’on commence à longer ces tunnels silencieux, à l’écart de la vie active, c’est que l’on commençait à tout remettre en question, à s’éloigner pour se recentrer sur soi et ses pensées, sur son mal-être souvent et c’est ainsi qu’un être pouvait perdre ses compétences et ses plus rigides principes. Parfois ce n’était que temporaire, mais beaucoup ont fini pas se perdre eux-mêmes pour toujours, tombant dans la dépression ou laissant germer des idées révolutionnaires qui firent d’eux des ennemis de la société aux yeux des contrôleurs.

Mon guide ne croyait pas à toutes ses histoires farfelues de tunnels qui auraient le pouvoir de détraquer le cerveau des gens et j’avoue que j’eus du mal à le croire aussi. Pendant que nous slalomions de gauche à droite, passant d’un chemin à un autre dans lesquels nos pas rapides résonnaient fortement, Robin me fit part de sa propre théorie.

-Je ne pense pas que ces tunnels soient maléfiques ou quelque chose de ce genre, comme certains ont l’air de le croire. Les gens en ont juste peur et s’inventent des histoires pour justifier cette peur, m’expliqua t-il. En réalité je pense que c’est simplement la solitude qui les fait cogiter et développe un peu « trop » leur sens critique sur leur manière de vivre.

-Mais pourquoi ces tunnels en particulier ? Il n’y a donc pas d’autre moyen de s’isoler dans la cité ? lui demandais-je, intriguée.

-C’est pratiquement impossible. Nous sommes tellement nombreux que nous vivons tous les uns sur les autres, si l’on peut dire ça comme ça. C’est aussi le fait que les habitants soient majoritairement des personnes de moins de cinquante ans. Même ceux qui n’ont plus leur famille avec eux et n’ont pas créé la leur, vivent presque tous à plusieurs, en collocation ou dans des centres de jeunesse qui sont continuellement surveillés pour éviter toutes dérives.

Ce qui me fit tilter était qu’il parlait des autres jeunes comme s’il n’en faisait pas partie, qu’il ne s’incluait pas dans ce système. Il avait dû percevoir le fait que je m’interroge à son sujet, sûrement à mon visage légèrement crispé et mon regard fixé sur lui, comme si j’essayais de déceler les secrets de son âme. En tous cas, il en vint à m’apporter quelques précisions sur son cas personnel.

-Personnellement, les tunnels ne m’effraient pas. J’ai entre guillemets, la chance de ne pas vivre sous un toit surpeuplé. J’ai juste une sœur. Ma grande sœur, Enora, c’est son nom. Elle n’a pas les mêmes horaires de travail que moi, donc j’ai naturellement droit à mes moments de repos et de réflexions solitaires. Mais ne t’en fais pas ! Je ne suis pas un révolutionnaire non plus, s’empressa-t-il d’ajouter en se rendant compte que ce qu’il m’avouait pouvait devenir ambigu, voire dangereux pour lui si ça venait à se savoir par les autorités de Christoval.

Nous n’avions croisé personne depuis notre entrée dans les tunnels, trajet que Robin avait choisi pour raison de discrétion. J’avais encore quelques difficultés à bien comprendre la situation dans laquelle je m’étais retrouvée, mais j’avais compris qu’il était dans mon intérêt de passer inaperçue, pour question de sécurité et peut-être même de survie. Sur le chemin, il m’arrivait de me demander encore comment j’en étais arrivée là. Pourtant je ne voyais aucune explication rationnelle et logique à tout ceci. Ce qui était sûr, c’était que je ne pouvais plus reculer. De toute façon, j’aurais été incapable de retrouver mon chemin dans ce dédale de ruelles et de tournants sans l’aide de Robin. Impossible de retourner seule au cimetière des souvenirs pour tenter de comprendre et de retourner chez moi par là. Le mieux à faire serait de rester avec lui et de lui faire confiance pour l’instant. C’est tout ce que je pouvais faire.

Nous arrivâmes enfin au bout d’un énième tunnel, laissant apparaître de nouveau la faible lueur du soir qui tombait. Lorsque nous sortîmes à l’air libre, je sentis la douce fraîcheur de la nuit qui venait se poser sur mon visage et une faible brise de vent me souleva des mèches de cheveux. Cette sensation était agréable. Encore plus que dans mes souvenirs. L’air avait une texture, une saveur, je dirais, différente.

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