Enfant effrayé

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Elle éprouvait une terreur sans limites. La froide moiteur de l'effroi enserrait son cœur et l'empêchait de battre. Une peur sourde battait contre le fond de son crâne, lui répétant comme une rengaine qu'elle devrait s'enfuir.
Elle frissonna, ses épaules s'agitant malgré elle comme pour chasser quelque chose d'invisible qui l'avait recouverte. Elle commença à essayer de se raisonner, de trouver des arguments pour changer sa peur en courage. Son cerveau carburait à toute vitesse pour lui délivrer des dizaines raisons d'avancer qui étaient aussitôt démenties par la seule présence des ténèbres glacées qui se trouvaient devant ses yeux. Dans un effort, elle reprit une grande inspiration et fit un pas en avant. Le craquement du plancher sembla à ses oreilles le couinement de mille créatures mal intentionnées qui ne voulaient que la faire repérer par d'encore plus sinistres horreurs. Elle crut que son sang s'était glacé, et s'arrêta avant la fin de son geste, paralysée par la peur. Elle attendit, n'osant pas bouger. Elle attendit. Peut être s'attendait elle à ce qu'il lui arrive quelque chose de terrible maintenant, tout de suite. Peut-être désirait-elle qu'il se passe quelque chose. C'eût presque été rassurant que ça lui tombe dessus tout de suite, sans qu'elle ait besoin d'endurer plus longtemps cette angoisse sans limites qui lui griffait l'intérieur des veines. Elle attendit. Rien ne bougea. Elle se décida finalement à terminer son pas. Elle était dans une position très inconfortable, le poids à moitié sur son pied droit qu'elle avait avancé. En serrant les dents, elle transvasa le reste du poids de son corps sur son pied droit et leva le pied gauche. Le bruit du parquet était absolument horrible, c'était comme entendre l'écho de ses propres hurlements futurs, annonce d'un événement funeste. Elle posa aussi délicatement que possible son pied gauche à côté du pied droit, s'efforçant de le placer de façon à ne pas avoir besoin de rééquilibrer bruyamment ses appuis. Puis elle s'arrêta. Elle tendit l'oreille à l'affût du silence. Il lui faudrait encore un temps pour se décider à faire un autre pas. Elle se trouva ridicule. Après tout, qu'est ce que ça pouvait être ? Elle refit un pas, plus en confiance.
Un bruit. Un mouvement. Aussitôt elle regretta son imprudence. D'instinct elle serra les bras contre son ventre. Lentement, tremblotante comme une feuille, elle s'accroupit et se mît en boule, trop terrifiée pour fuir, trop terrifiée pour avancer. La masse de ténèbres recommença à bouger derrière les rideaux. Elle bougeait dans tous les sens, se faisant et se défaisant dans un chaos inextricable d'ombres et de ténèbres pures. La jeune fille n'osait pas regarder, elle n'osait pas s'imaginer ce que c'était. Elle était en boule au niveau du sol et tremblait de peur, espérant que cela disparaîtrait.
L'ombre s'immobilisa. Quelque chose regarda la fillette accroupie avec curiosité. Écartant le voile des rideaux, les ténèbres commencèrent à lorgner sa chair tendre. Un murmure s'éleva, psalmodiant des phrases annonciatrice de ruine et de malédictions terribles. Un vent de ténèbres s'engouffra dans la chambre et approcha ses longs doigts décharnés de la fille avec un long ricanement lugubre.
Une main, dure et froide comme un squelette, effleura ses cheveux. Dans un sursaut, elle releva la tête et darda son regard affolé vers la forme insidieuse qui se coulait lentement vers elle.
Elle ne vit rien. Les ténèbres s'étaient transformées en ombres comme la lune se levait. Les formes nébuleuses s'étaient changées en branches d'arbre. Les murmures et psalmodies n'étaient plus que le bruissement du vent entre les branches, et le ricanement sinistre avait laissé place au claquement de la fenêtre ouverte.
La petite fille se releva lentement, retrouvant son souffle petit à petit. Cette fois ci elle avait bien cru que c'était fini pour elle. Avec une sorte de colère, elle se précipita vers la fenêtre et la referma vigoureusement. Elle retira les rideaux qui flouaient sa vue pour pouvoir bien distinguer l'extérieur.
Elle resta là, longuement, devant la fenêtre, à regarder ce qui se passait au dehors. Ses yeux cherchaient le moindre détail du paysage nocturne et s'attardaient dessus un long instant avec une attention particulière. Elle ne savait pas si elle cherchait un monstre ou au contraire la preuve qu'il n'y en avait pas. Finalement, satisfaite de son analyse qui n'avait rien trouvé de surnaturel, elle retourna vers son lit en répétant dans sa tête chaque détail de ce qu'elle avait vu par la fenêtre. Chaque chose qui pouvait faire du bruit ou être à l'origine de formes avait maintenant une explication logique dans sa tête. Quand elle fut couchée et qu'elle se retourna vers la fenêtre, elle reconnut chacune des branches de l'arbre dans les ombres qui dansaient sous ses yeux. Fière d'elle et de son intelligence, elle se recoucha en se répétant que rien ne saurait lui faire du mal. Dehors il n'y avait qu'un arbre, un vélo, et un lampadaire. Un arbre, un vélo, et un lampadaire. Un arbre, un vélo, et un lampadaire.
Un arbre immense au tronc robuste avec de petites branches fines en haut, alors qu'en bas ses branches étaient larges et solides. Cet arbre elle le connaissait, il lui était arrivé de tenter de grimper dessus. C'était amusant. Ses parents lui avaient dit d'arrêter parce qu'elle risquait de se faire mal. Un arbre qu'elle voyait tous les matins en regardant par la fenêtre, gorgeant ses yeux de verdure juste avant qu'elle ne se lève en vitesse pour aller à l'école. Un arbre qui rayonnait alors de bonté et de gentillesse.
Un vélo. Un vélo abandonné. Le vélo du voisin, un garçon qui aimait aller partout avec son vélo parce qu'il n'aimait pas marcher, et aussi parce que ça lui donnait une occasion de se moquer des autres. Un vélo qu'il avait oublié dehors parce qu'il était rentré à toute vitesse chez lui pour goûter. Un vélo qui avait passé la nuit dehors et qu'il retrouverait tout mouillé, parce qu'il avait plu au début de la nuit. Un vélo qui était bien. Elle avait déjà eu l'occasion de le piquer pour faire un tour, et c'est comme ça qu'elle avait appris à faire du vélo. C'était amusant. C'était un bon vélo, un vélo rempli de gentillesse.
Et puis il y avait le lampadaire. Un lampadaire. Un lampadaire éteint.
Malgré elle, elle ouvrit les yeux, stupéfaite. Un lampadaire éteint en pleine nuit. Ce n'était pas normal. Normalement il devrait éclairer légèrement sa chambre.
Il pouvait y avoir mille raisons pour que le lampadaire soit éteint. Une ampoule pétée, une coupure de courant… Pourtant elle songea tout de suite au pire. Et si toute lumière avait disparue du monde ? Et si on revoyait jamais aucune lumière ? Et si le jour ne se levait plus ?
Elle consulta son réveil. Il était deux heures du matin. Elle ne pouvait pas se permettre de rester éveillée toute la nuit pour voir si le soleil se lèverait. Après une longue hésitation, elle se recoucha, fermant les yeux, la tête dans l'oreiller. Elle se poussa à dormir aussi fort qu'elle le pût. Elle n'y parvint pas. Bientôt, elle dut sortir sa tête de l'oreiller pour ne pas finir étouffée. Prise d'une soudaine colère dont elle ignorait la cause, elle bourra le coussin de coups de poing avant de s'allonger sur le dos en contemplant le plafond. De petits tremblements agitaient ses membres de temps à autre. Elle ne savait pas si c'était la peur, le froid, ou la fatigue. Elle s'enroula dans sa couverture et s'en recouvrît la tête.
C'était apaisant de se retrouver dans ce monde chaud et odorant qui se cachait sous sa couette. Tout doucement, elle essaya de voir comment elle pouvait s'endormir de cette manière, restant ainsi protégée de toutes les choses de la nuit. Elle avait l'impression qu'ils étaient là, invisibles, à l'affût, et qu'ils se jetteraient sur elle comme une meute de loups si elle sortait un orteil de sous sa couette. Des créatures de ténèbres devaient roder par-ci par-là, des créatures qui avaient pu faire disparaître la lumière du lampadaire pour pouvoir se manifester dans l'obscurité.
Sous sa couverture, en tremblant, elle joignit les mains et essaya de prier. Elle se rata. Elle essaya encore, mais elle ne savait pas comment faire alors elle se contenta de joindre les mains en prenant bien soin d'orienter ses doigts vers le haut elle demanda à Dieu de la protéger.
Il s'écoula bien une demi heure durant laquelle, s'ennuyant, elle joua avec ses mains sous la couette. Finalement, elle sortit sa tête de là dessous lorsque l'atmosphère commençait à s'y faire trop étouffante pour être supportée. Elle lança un regard vers son réveil, et bailla. Aussitôt, une vive joie s'empara d'elle. Si elle bâillait cela voulait forcément dire qu'elle allait pouvoir dormir. Elle s'allongea avec un sourire las.
Cependant elle garda les yeux ouverts, et elle commença à réfléchir à des choses. Est-ce que Dieu existe ? S'il existe est-ce qu'il surveille tout le monde en permanence ou est-ce qu'il faut le prier pour qu'il nous protège ? Est-ce que ça veut dire qu'il protège seulement ceux qui croient en lui ? Dans le doute elle recommença à prier, et demanda cette fois que tout le monde sur Terre soit protégé, pas seulement elle. Puis elle recommença à penser, se demandant pourquoi Dieu avait créé les pays, les continents, et le monde; et les humains tiens aussi. À quoi ça lui servait Dieu ? Est ce qu'il a créé les humains pour qu'ils le vénèrent ? Non, sinon il les aurait créé de sorte à ce qu'ils le vénèrent tous d'emblée sans avoir besoin qu'on leur explique. Pourquoi alors avoir créé les humains de telle sorte qu'ils aient un doute sur son existence ? Elle ne voyait que deux explications: soit Dieu n'existe pas, auquel cas, qui a créé le monde ? soit Dieu a créé les humains mais il n'y accorde aucune vraie importance. Dans les deux cas c'était plutôt effrayant. Elle recommença à prier en demandant qu'au moins tous les enfants de la Terre puissent être protégés. Les adultes eux ils n'étaient pas menacés par les choses de la nuit.
Elle regarda à nouveau son réveil. Il était déjà trois heures passées. Mécontente de voir qu'elle n'avait toujours pas dormi, elle se replongea la tête dans son oreiller.
Elle retira son visage du coussin quelques minutes plus tard. Elle s'étouffait.
Elle se retourna, puis se retourna à nouveau, puis se retourna encore et contempla le plafond une fois de plus. Les créatures de la nuit n'avaient pas l'air de s'approcher encore. Elle décida tout de même de rester sur ses gardes.
Son réveil sonna sans prévenir. Elle se réveilla en sursautant. Elle ne se rappelait pas de quelle manière elle avait fini par s'endormir. Elle bondit hors du lit, arrêta le réveil et, comme si elle était poursuivie, se rua sur son placard à vêtements, se changea en vitesse et se dirigea vers la porte.
Elle lança un regard vers sa fenêtre. Les rideaux écartés révélaient un ciel bleu et les branches délicates de l'arbre qui se balançaient joyeusement devant sa vitre. Les feuilles vertes imprimèrent leur image au fond de son esprit. C'était un arbre bon. Un arbre débordant de gentillesse.
Cette vision mît un sourire sur son visage ce matin là. Puis elle jaillit hors de sa chambre, comme une fusée.

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