Témoignage Florian Hanotte

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2e jour du procès, 11h10

― Florian, tu es le meilleur ami de Ren. A ce titre tu ne prêtes pas serment. Mais ce n’est pas parce qu’on ne prête pas serment que l’on ne dit pas la vérité, d’accord ?

 L’adolescent hoche la tête, se dandinant sur place, peu à l’aise dans son costume trop grand pour lui. Il n’avait jamais songé qu’en un an, il aurait à le revêtir autant de fois, surtout pour des occasions pareilles…

― Nous t’écoutons, poursuit la Juge.

 Il est méconnaissable avec ses cheveux gominés à la cire qui lui donnent plusieurs décennies supplémentaires. A le voir ainsi, il ressemble à son père de profil. Exceptionnellement, il n’a pas mis de lentilles de contact colorées. Droit comme un “i”, Ren l’observe le souffle court. Le pauvre Florian est comme un lapin pris dans les phares, ça lui rappelle ses oraux désastreux de l’année dernière et ses passages au tableau où il se sentait stupide devant une équation. Son cerveau peine à fonctionner sous l’afflux d’adrénaline qui tend ses muscles, les raidit. Il ne sait pas par quoi commencer, il a peur de se foirer : et si à cause de lui Ren est envoyé en prison, et s'il dit n’importe quoi à cause du stress ? Et puis il les fait attendre tous ces gens massés dans le tribunal qui résonne, la Juge va s’impatienter, est-ce qu’elle va lui crier dessus comme Madame Desforges quand elle l’avait interrogé sur un devoir qu’il n’avait pas fait ? Non, ça serait bien pire : ici on ne plaisantait pas, on ne s’en tirait pas avec une observation à faire signer par ses parents ; ici on mettait des gens en prison.

― Si tu le souhaites, tu peux commencer par nous dire comment tu as connu Ren, lui indique la Juge avec bienveillance.

 Bien sûr qu’elle perçoit son stress, il tremble comme une feuille et sue à grosses gouttes depuis son arrivée. A cet âge-là, ce n’est pas facile de passer devant un tribunal. Florian bégaie d’abord puis se racle la gorge pour se reprendre. Il entame un court exercice de respiration pour calmer son poul furieux, puis lorsque sa voix ne tremble plus, répond :

― J’ai rencontré Eliott et Ren en fin de primaire. On s’est découvert une passion pour la musique, j’ai donc pris des cours avec eux quand on était au collège. Tous les deux, c’étaient des génies M’dame, vous auriez vu comme ils jouaient, je m’en lassais pas. Ren avait tout d’un meneur, on voyait qu’c’était l’aîné parce qu’Eliott ne jurait que par lui. On a monté un groupe il y a bientôt trois ans avec Julien et eux. On voulait devenir musiciens pros mais M’dame Kimiko voulait pas que Ren joue.

 Il se tait. Voilà, ça y est, il l’a fait. Il a répondu à une question. Est-ce qu’il s’est planté ? Il essaye de sonder le regard de la Juge et de ses assesseurs mais ils restent impassibles et silencieux. Peut-être veulent-ils qu’il développe ? Oui mais quoi dire ? Il cherche, se creuse les méninges, ça fume là-dedans au point où l’on peut presque apercevoir de la fumée s’échapper de ses oreilles. Mais c’est le trou noir, les mots s’emmêlent à nouveau dans sa tête. Il se sent ridicule et bête.

― Et tu sais pourquoi elle ne voulait pas ?

 De nouveau, elle lui tend la main, l’accompagne dans sa réflexion. Ses idées s’ordonnent, c’est plus simple quand on lui pose des questions précises.

― Eh ben…Elle voulait pas parce qu’elle mettait beaucoup de pression sur lui, elle avait peur qu’il réussisse pas son Bac.

― Pourtant, de ce que je vois et de ce que l’on m’a décrit, Ren est brillant.

 Il embraye tout naturellement :

― Ouais, mais elle aimait pas qu’il lui désobéisse. Elle était très sévère avec lui… Parfois elle faisait peur.

― C’est-à-dire ?

― Eh ben… Ren et Eliott, on les accueillait souvent à la maison parce qu’elle les frappait.

 Un nouveau silence ponctue l’aveu. Ren lui en voudra peut-être d’avoir dit ça mais c’est son meilleur ami, c’était pas sa faute tout ça ! Alors si ça pouvait lui éviter la prison, il est prêt à tout déballer au risque de perdre son amitié.

 La Juge reprend la déposition de Florian enregistrée au commissariat : il l’avait effectivement signalé lors de sa deuxième audition. Maintenant restait à savoir si les propos du garçon étaient corroborés. Elle reprit donc sa main pour l’emmener vers le chemin de la confidence :

― Elle les frappait, donc. Tu peux être plus précis ?

― Eh ben elle les battait. Une fois, ma mère a dû les accueillir en pleine nuit parce qu’elle les avait blessé gravement. Ren avait une grosse marque dans le cou, comme si on l’avait étranglé et Eliott il a eu le nez pété.

― Et tu es sûr qu’il s’agissait de leur mère et pas de leur père ?

Évidemment, pensa Ren qui écoutait attentivement son ami. Florian s’attendait à ce genre de remarques, même les flics ont essayé de lui faire changer d’opinion quand il leur en avait parlé : Et tu es sûr de toi ? Parce que des femmes qui tapent leurs fils, c’est pas banal. Tu es certain que ce n’était pas plutôt son père ?

― Bien sûr que j’suis sûr ! rétorque Florian avec assurance cette fois-ci. J’connais M’sieur Kimiko, il ferait jamais ça. Et puis Elie me le disait : “Maman nous tape parfois, quand elle est en colère”.

― D’accord. Tu évoquais un incident particulièrement grave : te souviens-tu quand cela s'est produit ?

― Ca remonte un peu, mais je crois que c’était peu avant les vacances de Noël de l’année dernière.

― Tu es sûr de toi ?

― Oui parce qu’ils sont restés à la maison toute une semaine et c’était au moment où je révisais mon oral de Français.

 La Juge fait signe à la greffière, seule personne dont on n’a pas encore entendu la voix depuis le début. Celle-ci acquiesce et s’empresse de taper à une vitesse phénoménale sur son ordinateur. Son témoignage concorde avec celui de l’enseignant de la veille. Elle chuchote quelques mots aux assesseurs qui acquiescent à leur tour.

― Florian, tu es conscient que ce que tu avances est grave ? Et que si tu mentais cela aurait de très lourdes conséquences pour toi et pour ton ami ?

― Oui, M’dame la Juge, je le sais, mais je mens pas. Vous pouvez poser la question à ma mère, elle vous le dira.

― Très bien. Je valide ton témoignage et souhaiterais entendre ce que ta maman aura à dire sur ce sujet. Cela vous arrivait souvent de les accueillir ?

― Sur les derniers mois, oui. Eliott avait vraiment peur pour Ren parce qu’elle semblait s’acharner sur lui.

― Et tu sais pourquoi ?

― Non. Ren en parlait pas. Vous savez, il est du genre à encaisser sans rien dire.

― Et pour ce qui est d’Eliott ? Il t’a confié quelque chose ?

― Non, M’dame. Mais vous savez pour moi c’est impossible que Ren lui ait fait quoi que ce soit, il l’aimait trop. Ils s’étaient engueulés c’est vrai, mais moi aussi je m’engueule parfois avec mon frangin, c’est pas pour autant que je lui ferai du mal.

― Merci Florian.

― Il faut l’aider, M’dame, pas l’condamner. Ren a beaucoup souffert, beaucoup trop. Il a jamais accepté ce qui est arrivé et s’il dit qu’il s’souvient plus, c’est que c’est vrai. J’aimerais qu’on l’aide. C’est tout c’que je veux parce que j’l’ai vu sans Eliott. Il s’est laissé crevé parce qu’il s’en voulait mais j’sais qu’il a rien fait.

 La Juge acquiesce et le renvoie. Elle lui laisse le choix de partir ou de rester : naturellement, Florian reste. Lorsqu’il passe à côté du box, il adresse un regard plein d’empathie à son ami, un regard un peu désolé aussi parce qu’il a trahi un secret. Mais Ren ne lui en veut pas, bien au contraire, il le gratifie d’un hochement de tête reconnaissant. Il a du mal à contenir ses émotions, ses yeux luisent comme deux billes polies. Les derniers mots de Florian résonnent en lui, dévastateurs et salvateurs à la fois, c’est inqualifiable.

 Alice est appelée à témoigner dans la foulée. Elle aussi s’est apprêtée pour l’occasion d’une robe à manches longues bleu nuit et a attaché ses cheveux en un chignon soigné. Devant l’assemblée, elle appuie les propos de son fils avec assurance. La Juge y sembla réceptive car elle décréta une pause pour échanger avec les assesseurs après ces révélations.

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