Le dérapage

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 Je décuvais tant bien que mal après avoir vidangé mon estomac en urgence dans les toilettes. Une petite partie des invités étaient rentrés, mais une plus grande s'affairait à enchaîner les jeux d'alcool tandis que d'autres comataient ça et là au rez-de-chaussée. Par sécurité, je décidais de faire le tour du propriétaire afin de m'assurer qu'il n'y avait pas eu de dégâts dans les étages supérieurs. On avait beau avoir invité un petit comité que l'on connaissait bien, la perspective de repayer de la décoration et de nettoyer de fond en combles les étages m'ambiançait peu.
 J'entamais mon circuit par le jardin où la plupart de mes amis s'était regroupé et discutait en fumant ou en somnolant. L'air s'était considérablement rafraîchi, me faisant regretter d'être en t-shirt, mais l'alcool m'aidait à ne pas tenir compte des aiguilles froides de la nuit. Pas de débordement à déplorer, hormis le camélia de ma mère. Je me notais mentalement de le remplacer avant son retour. La buanderie était déserte, la cuisine un peu moins. Cinq lurons bien imbibés tentaient de se servir des verres d'eau au robinet. Je reconnus Ben dans son sempiternel jean chemise, chargé de les remplir. Emma se tenait derrière lui et faisait office de passe-plat. Je fus surpris en revanche de trouver Alex et Alicia qui me saluèrent de la main en me voyant passer. Erica quitta ses comparses, me stoppant avant mon entrée dans le hall, d'un tapotis timide sur l'épaule.

― Salut ! Ca faisait longtemps qu'on ne s'était pas croisés, commença-t-elle.

 Erica s'était laissée pousser les cheveux depuis la dernière fois qu'on s'était vus. J'étais toujours aussi admiratif de sa tignasse flamboyante qui réveillait les traits de son visage en diamant et ressortait la profondeur de ses iris chocolat. Ca lui allait bien, cette nouvelle coupe, je ne pus m'empêcher de le lui confier. Son sourire éclaira la pièce.

― Tu voulais me parler ?

― C'est à propos de Raph... T'en as eu des nouvelles ?

 Je lui récapitulais ce que Julien m'avait confié un peu plus tôt ce qui dessina une moue peinée sur ses lèvres roses.

― Je comprends mieux. Il ne répond plus à personne depuis plusieurs jours et Ju refusait de nous dire quoi que ce soit...

― Il faut leur laisser le temps de digérer, ça se comprend.

 Elle haussa les épaules, l'air affectée. J'ignorais à quel point elle connaissait Lise mais je me doutais que la situation de Raph la touchait ; Erica était comme cela après tout. Un peu comme Elie, du genre à pleurer davantage pour les autres que pour soi-même.

 En parlant d'Elie, il débarqua joyeusement à la tête d'une chenille, mon père toujours aussi ivre le talonnant. La file indienne chantait à tue-tête "Pose les deux pieds en canard, c'est la chenille qui redémarre, en voiture les voyageurs la chenille part toujours à l'heure". Visiblement, la playlist était partie en vrille. Leur joie contagieuse raviva Erica qui se fit alpaguer par Paul, mon ancien voisin de table de Seconde. Je déclinais l'invitation lorsqu'il voulu m'entrainer pour gravir l'escalier et commencer mon inspection. Des gars s'étaient réfugiés dans la pièce qui nous servait de débarras et s'amusaient à jouer aux dames, loin de l'agitation de tout. Comme quoi, les introvertis peuvent s'amuser aussi. Quelques bières trainaient un peu partout mais lorsqu'ils s'aperçurent de ma présence, ils m'assurèrent de leur bonne volonté à nettoyer tout ça. Je les laissais à leur partie pour continuer mon inspection, ouvrant chaque chambre, bureau et salles de bains jusqu'à tomber sur un spectacle qui me sidéra. Se tenait devant moi Arthur, torse nu, embrassant à pleine bouche un autre gars qui s'affairait à dézipper son jean. Le renflement que je percevais de là me terrorisa. Ma stupeur se mua alors en colère : ni une ni deux, je fonçais les séparer en leur hurlant de dégager de chez moi. Arthur affichait une mine choquée qui ne m'arrêta pas. Leur simple vue me dégoûtait, et dire qu'ils s'apprêtaient à faire..."ça" ici ! Eurk !

 Mes cris durent couvrir les festivités car bientôt des invités s'amassèrent tandis que les deux traîtres ramassaient leurs affaires à la volée sous mes rugissements. Bientôt Eliott débarqua, catastrophé, en me demandant ce qu'il se passait.

― Ce qu'il se passe c'est qu'ils s'apprêtaient à faire "ça" ici, sous notre toit ! Tu te rends compte ? Allez, barrez vous d'ici, vous n'êtes plus les bienvenus ! Et allez vous faire soigner, crachais-je à leur attention alors qu'ils se faufilaient sous le regard hébétés de nos camarades.

 La honte publique, c'est ce qu'ils méritaient ces erreurs de la nature ! Si maman apprenait ça... De Arthur en plus ! Moi qui lui faisais confiance et qui l'avais invité à la maison pour nos anniversaires ! Comment j'avais pu ne pas le voir ?

 Arthur me foudroya du regard, prêt à me mettre une droite. Mais il fut arrêté par l'autre dans son geste, qui le tira vers les escaliers.

 J'entendis Eliott s'excuser auprès d'eux ce qui attisa ma rage.

― De quoi tu t'excuses au juste ? aboyais-je.

― De ta connerie, rétorqua-t-il du même ton.

― Alors c'est ça ? On va les laisser souiller notre maison sans rien dire ? Tu sais très bien ce qu'en pense maman, comment est-ce que tu peux tolérer cela ? Tu ne les aide pas à retrouver le droit chemin...

― Mais quel droit chemin Ren ? Hein ? Lequel ?

― Celui de Dieu ! Ce sont des erreurs de la nature qui sont malades !

 Eliott se rua sur moi et me gifla avec une force que je ne lui soupçonnais pas. Son geste me laissa coi. De toutes nos engueulades, on n'en était jamais venus aux mains. Je ravalais mes larmes face à Eliott dont le visage était méconnaissable. J'y lisais une haine qui me troubla. Il tremblait de tout son corps, la mâchoire serrée.

― Traite encore une fois mes amis d'erreurs ou de malades et je te fous mon poing dans la gueule, t'as compris ?

 Je me surpris à hocher la tête, la joue irradiant, alors que mon père débarquait à son tour, refoulant les invités qui étaient aussi choqués que moi. Il fit reculer Eliott qui se laissa faire et lui demanda de nous laisser en tête à tête. Je regardais mon jumeau, celui que je pensais connaître sur le bout des doigts descendre comme une furie en ayant le sentiment coupable de l'avoir profondément blessé. Pourtant je ne voyais pas le mal dans mes paroles, c'était un fait. Maman disait que ça se guérissait ce genre de choses, ce n'était pas une insulte, c'était comme si je disais qu'ils avaient un rhume. Un rhume ça se soigne bien après tout. Pourquoi Elie interprétait tout de travers ? Pourquoi était-il si en colère ?

― Ren ? Tu m'écoutes ?

 Mon regard se reposa sur mon père qui en dépit de son ivresse semblait plus réveillé que jamais. Son air stoïque était revenu.

― Sèche tes larmes mon garçon et va t'excuser auprès de ton frère.

― J'ai rien fait de mal ! C'est eux qui...

― Je ne veux rien savoir, trancha-t-il d'une voix sans appel, Ren, tu fais ce que je te dis : va t'excuser immédiatement auprès de ton frère. Et auprès d'Arthur et de son...camarade.

― Alors là, hors de question ! Eliott passe encore, mais pas eux !

Papa m'attrapa le bras et m'entraina à sa suite jusque dans l'entrée où les deux récupéraient leurs dernières affaires, apparemment sur le point de partir. Lorsqu'ils me virent, Arthur se mit devant son "camarade" comme pour faire barrage, me toisant d'un regard noir. Mon père me poussa devant lui, attrapa ma tête et m'obligea à m'incliner, tout en m'imitant.

― Excusez la bêtise de mon fils et acceptez mes plus plates excuses !

 J'enrageais. L'humiliation à la japonaise, ça faisait longtemps que je n'y avais plus eu le droit. La dernière fois, ça devait être quand j'ai insulté tante Maiko.

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