Chapitre 55 : Dès à présent.

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Ils détalaient comme des lapins dans la nuit noire. Elle, surtout, n’avait jamais couru aussi vite de toute sa vie. Des flashs de cette main appelant à l’aide, la poussait plus loin. Soudain, tout se ralentit. Sous l’eau, elle faisait du surplace. Celle-ci s’infiltra dans son nez, s’engouffra dans sa tête, dans sa gorge, privée d’air.

  • Kimi ! Attends-moi !

Un poids lourd s’écrasa contre son dos, deux bras l’enlaçant. Aussitôt, elle se stoppa, le déluge continuant sur ses joues. Elle hurla, pliée en deux.

  • Non, tais-toi. Ne crie pas.

Tiger avait placé sa main sur sa bouche.

  • Ce n’est pas ta faute… Non, ça ne l’est pas. Écoute-moi, elle a glissé. On ne l’a pas vu. Tu n’y peux rien.

Elle s’effondra dans les bras du garçon. Quand il l’embrassa, elle ne vit plus rien. “Ce n’est pas comme si on ne l’avait jamais fait.”

La pression de ses lèvres sur les siennes l’empêchait de respirer. Kimi se débattit de ses mains qui la malmenaient. En le repoussant, Tiger essaya de l’entraîner avec lui. Dans ce gouffre où il tombait au ralenti, d’où une silhouette d’enfant émergea et l’entraîna dans les abysses.

***


D’un coup sec, Kimi se releva dans son lit. Elle fixa le mur en face, les yeux exorbités et les mains accrochées à sa couverture.

  • Putain, soupira-t-elle, soulagée d’avoir cauchemardé.

Elle était en nage, la nuque mouillée, ainsi que le bas de son dos. Estomaquée, elle leva ses fesses et passa ses mains contre le matelas. Il était trempé. Aussitôt, elle vérifia l’heure sur son téléphone.

  • C’est pas vrai…

Les cours allaient bientôt débuter.

  • J’en ai marre… Bordel ! J’en ai marre ! s’écria-t-elle en envoyant valser sa couverture.

Adieu la douche matinale, en deux-deux, elle enfila les vêtements de la veille, attacha ses cheveux en une queue approximative et s'abattit sur son bureau pour récupérer les cahiers du jour. Elle récapitula : deux heures de français, deux heures de maths, en bref, une horrible petite journée… Comme si elle avait le temps, Kimi s’arrêta sur le tableau accroché à son mur. Une petite journée où elle verrait chacune de ces têtes. Les souvenirs s’y accumulaient, les nouvelles photos se mêlant aux anciennes, à celle qui datait du Lycée Gordon. Qu’est-ce qu’elle aimait ses amis. Elle pourrait toujours compter sur eux, mais… Avec une pointe au cœur, elle attrapa une photo de leur bande à Saint-Clair. Comment en était-elle arrivée à s’éloigner ?

Machinalement, Kimi souleva une feuille punaisée dans le liège. Elle révéla un cliché de ses parents, de sa mère et de son père, heureux dans le passé.

Le passé... Elle s’y noyait.

Elle se reprit, recouvrant le souvenir avant de débouler dans le couloir.

  • Merde. Mes chaussures.

***


En sortant de l’internat, Kimi ne fut pas surprise de trouver la ville déjà éveillée, le ciel étant habituellement sombre au moment où elle prenait le petit-déjeuner, mais pas le temps de manger ! Elle s’empressa de rejoindre le portail de l’école. Habilement, elle se faufila entre la grille et le mur sur lequel celle-ci s’apprêtait à se refermer. Ce fut moins une. À la vision de la secrétaire qui abaissa ses lunettes de vue depuis son bureau, Kimi prit la fuite. Pire encore, sur son chemin, elle tomba sur le directeur qui se baladait en chantonnant. Il n’avait que ça à faire de bon matin ?

  • Oh, bonjour, Kimi quand vas-tu ?
  • Pas le temps ! s’écria-t-elle en le dépassant.
  • … Le portrait de sa mère, dit-elle en soupirant. Comme sa mère avant elle.

Subjuguée d’avoir posé un lapin à Monsieur Xavier, elle détala jusqu’à sa salle de classe dans laquelle les élèves finissaient de s’engouffrer. Le dernier lui garda la porte ouverte, ou plutôt : la dernière. Capturée par les prunelles ensoleillées de Jena, elle mit le frein. Face à elle, Kimi se sentait… Il n’y avait pas de mot exact.

  • … Merci.
  • Angoisse pas, le prof est parti faire des copies !
  • Ah… Super… répondit-elle maladroitement.

Ce jour n’était qu’une course. Elle traversa la classe, son regard voyageant d’un ami à l’autre. Elle les salua un par un. Même Sky. Dans son dos, elle entendit Jena s'installer à ses côtés.

“Tu veux aller voir quoi au ciné cette aprem’ ?”

Elle perdit aussi vite la ferveur qui l’avait amenée jusqu’à sa place, à côté de Laure, qui la regarda à peine. Cependant juste assez pour constater le trouble qui l’avait envahi, à l’image d’une vieille promesse qu’elle craignait voir se réaliser.


***


Tous les mercredis, Michael et Elliot se donnaient rendez-vous à l’office de ce dernier. La salle de réunion où les Richess avaient réglé leur compte leur servait de QG. Spacieuse et rectangulaire, elle offrait son lot de luminosité, des fenêtres longeant tout un mur.

Le roux lisait le journal tandis que Michael travaillait sur son ordinateur.

Tout deux buvaient un café.

  • Tu ne trouves pas qu’il fait drôlement calme en ce moment ? lança Elliot, machinalement.
  • … Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Michael en levant ses yeux de l’écran.
  • Bah. Par rapport à tout ce qui s’est passé récemment. On a enchaîné crise sur crise, et maintenant, plus rien.
  • Tant mieux, non ? dit-il après réflexion.
  • Tant mieux, mais…

Michael pouffa.

  • Tu n’as jamais aimé ça, toi, le silence. Je me rappelle de notre première rencontre et…
  • Ce que tu es nostalgique, mon bébé !
  • … Et tu avais déjà cette manière d’être…
  • Quelle manière d’être ? He ! Réponds !

Ce dernier l’imita, lui envoyant un clin d'œil. Depuis qu’il avait quitté sa femme, Michael se sentait plus libre de le côtoyer. Ils se charriaient, comme à la belle époque, bien que tout avait changé. Chacun dans leurs pensées, il dut se faire à l’évidence :

  • C’est vrai qu’il fait calme.
  • C’est le plat après la tempête, j’imagine. Entre l’annonce de ton divorce, celui d’Eglantine, et celui de Blear, le pays a été pas mal secoué.
  • Sans oublier le procès que vous vous coltinez à cause des parents de Kat’...
  • Quelle affaire… Mais si on y perd, on y regagnera par-derrière. J’ai ma boîte aujourd’hui, et heureusement qu’on a trouvé une solution pour Katerina.
  • Leur projet avance bien avec Marry ?
  • Je crois. Elle fait la cachottière, sauf quand il s’agit de montrer ses nibards à Alex Stein…
  • Quoi !
  • Je plaisante. C’est que le petit est sur le coup aussi, donc forcément, il la voit passer en sous-vêtements. Il reste très pro. Ça se voit que c’est un passionné. Par contre…
  • Qu'y a-t-il ?
  • Je m’inquiète pour leur couple… Avec Faye, je veux dire. Ils se disputent fort. C’est tout le temps la même rengaine. Ils ne se font pas confiance, et malheureusement, c’est la clé d’un couple. Au contraire, Selim et Nice semblent vraiment stables.
  • … Je suppose… Elle ne l’a jamais invité à la maison, donc je n’ai jamais eu réellement l’occasion de les voir ensemble.
  • C’est vrai… je voulais te demander si ça te dérangeait ?
  • De quoi ?
  • Le fait qu’elle soit la plupart du temps chez nous ? Vu qu’on reçoit Alex souvent, on essaye de faire de même pour Nice. Pour que nos deux ados soient contents, mais peut-être que…
  • Non, détrompe-toi. Ça me rassure beaucoup. Je sais que chez vous il y a une ambiance qui lui permet d’être mieux qu’à la maison. J’aimerais qu’elle soit bien chez nous, mais ce ne sera pas possible tant que je ne serai pas partie.
  • … Si je comprends bien, tu laisses la maison à Stella ?

Michael lui donna raison.

  • Après ce que je lui ai fait… C’est la moindre des choses. C’est un des arrangements que nous avons trouvé à travers le divorce.
  • Où irais-tu ? Tu as des plans ?
  • Je pensais… Faire construire une maison,…

Doucement, ses oreilles se tintèrent de rouge.

  • Avec Eglantine, nous aimerions avoir notre chez nous. En attendant, j’irais sûrement chez elle, vu que son mari à déserter.
  • Petit coquin. Tu as tout prévu, hein !

Il devint pivoine.

  • Oui, enfin, le truc, c’est que… Je crains que ça ne crée encore des conflits. Je crois que Loyd est disposé à m’accepter, mais en ce qui concerne Nice vis-à-vis d’Eglantine… C’est plus compliqué. Je vais lui en parler et je ne l’obligerais à rien. Si elle veut rester chez sa mère, je comprendrais. Seulement, je ne veux pas m’éloigner d’elle.
  • Commence par lui annoncer et lui dire que c’est important pour toi. Elle est compréhensive, et s’il faut l’accueillir pour lui remonter le moral, je suis sûr que Katerina se fera une joie. Elles s’entendent bien. Je pense que se confier à elle lui permet de mieux appréhender ce genre de nouvelles.
  • … Merci. Je vous dois beaucoup à tous les deux, lui répondit Michael, ému.
  • Pas de problème, bichette, ça me fait plaisir de savoir que vous vous lancer pleinement.
  • Encore quelque chose qu’on doit à Katerina pour lui avoir remonté les bretelles ! Elle avait tout à fait raison. Nous avions tellement peur de nous montrer, peur… d’être découverts comme auparavant, que nous nous sommes cachés, mais c’est ce qui a créé les conflits. Nous avons donc décidé d’être transparents. Vis-à-vis des élections, c’est aussi ce qu’il y a de mieux à faire. Si nous prenons les gens pour des cons, ça ne fonctionnera pas.
  • C’est vrai, les élections… Tout le monde est très occupé. C’est pour ça qu’on a l’impression qu’il ne se passe rien. Blear aussi est sur le projet avec les filles. Quant à Chuck…

Une courte réflexion envahit les deux hommes qui se tournèrent ensuite l’un vers l’autre en même temps.

  • Tu as des nouvelles de Chuck, toi ? demanda Elliot.

***

  • He non ! Aucune nouvelle ! Zéro !

Sur ses grands chevaux, Marry fit valser ses boucles en arrière. Elle ne tenait pas en place, occupée initialement avec les stocks de sa boutique.

Remontée, elle plaqua ses deux mains sur son bureau :

  • Tu y crois, toi ? Cet abruti ne m’a plus téléphoné depuis… Depuis la dernière fois qu’on a couché ensemble ! Il se moque de moi ! Ah, je peux te dire qu’il va en prendre pour son grade quand on se reverra… Si on se revoit un jour, marmonna-t-elle. Tu sais quoi ? Il mérite que je lui rende la monnaie de sa pièce. À partir d’aujourd’hui : traitement par le silence, et je te prie d’arrêter de rigoler !

Tel un arbre de vie, Eglantine, plantée devant sa copine, s’amusait gaiement de la situation.

  • Excuse-moi, se reprit-elle, son ton doux caressant la bête dans le sens du poil. Tu es tellement adorable quand tu es amoureuse…

La pauvre feuille que Marry tenait en main subit un pire sort que la broyeuse.

  • Amoureuse ?! Comment pourrais-je seulement être amoureuse d’un homme qui ne me donne aucune nouvelle ! Il ne mérite pas mon amour !
  • Et pourtant, tes yeux brillent à chaque fois que tu parles de lui, chantonna Eglantine, les mains rassemblées. Même dans la colère…

Une grimace effaça la beauté de la blonde qui remonta son nez de dégoût.

  • Qu’est-ce que tu peux être gnangnan parfois…
  • C’est le pouvoir de l’amouuuur, fit-elle en tournoyant sur elle-même, avant d'atterrir entre les mains de Marry. Houp !

Cette dernière lui montra un visage désespéré et la secoua, sa chevelure ondulant le long de son manteau blanc.

  • Qu’est-ce que je vais faire ?? Il me rend dingue. Nous nous étions retrouvés et il avait promis qu’on trouverait une solution et depuis… Silence radio. Peut-être qu’il a changé d’avis ?
  • N’oublie pas qu’il y a deux faces à une pièce. Pourquoi ne lui poses-tu pas la question ?
  • … J’ai trop peur de la réponse. Tu sais, je lui ai dit que je l’aimais, se confia-t-elle. Alors que c’est si difficile pour moi. J’ai l’impression d’avoir été trompée.
  • Marry, je suis certaine qu’il y a une bonne raison à sa distance…
  • Tu es au courant de quelque chose ?
  • Nooon, mais…
  • Il faut se méfier de toi, maintenant. T’es la reine des mystères.
  • Marry Stein ! Je t’assure que je n’en sais rien, mais il doit y avoir une explication. Peut-être devrais-tu faire un pas vers lui ?
  • Il peut toujours courir.

Eglantine abandonna face à son caractère bien trempé. Elle l’entoura pour l’encourager, lui ayant fait part de ses meilleurs conseils.

  • Tu t’en vas ? s’étonna Marry qui la vit récupérer son sac à main.
  • Oui, j’ai un petit rendez-vous en ville. À très vite. Ah ! Et n’oublie pas, la clé, c’est la communication, finit-elle en beauté.
  • Va-t-en d’ici !

Les rires saupoudrés d’Eglantine lui valurent d’être snobé. Irrité, Marry, s’enferma dans ses pensées. Sans doute avait-elle raison.

***


À la première pause, Kimi fut une des dernières à sortir de la classe. Elle se plaça dans le couloir, attendant quelqu’un.

  • Tu viens pas, mi ago ? la questionna Selim, en route avec les autres.
  • Si, j’arrive, mais…
  • Encore des excuses, siffla Laure.

Cette guerre la tuait à petit feu. Désarmée, Kimi ne trouva rien à redire. Il y avait eu trop de disputes… Peut-être qu’il n’existait pas de retour en arrière ? Son passé vint la hanter quand Tiger la rejoint.

Sur le chemin à la recherche d’un endroit tranquille, ils tombèrent sur le duo infernal et leur jouet. Au ralenti, ils passèrent à côté de Kenji qui marchait à contre-sens, le regard écrasé, Kyle accroché à son épaule. Toujours de son air sympa, Steve lui octroya un signe, arrêté de suite par le journaliste.

  • Qu’est-ce que tu fais ? lui cala-t-il avec un coup de coude.

L’Asiatique marqua un arrêt. Voir le désarroi prendre ce grand gaillard, ajouta à sa silhouette encore plus de finesse. Désapprobateur, il plongea ses prunelles dans celles de Kimi. Cette dernière se demanda pourquoi il traînait avec les méchants ?

***

Alors que les étudiants de Saint-Clair récoltaient l’énergie de leur première collation, la ville autour s’animant, le réveil frappa tardivement dans le foyer Makes.

Blear avait fait une grasse matinée bien méritée. En se levant, elle n’avait pas osé toquer à la chambre d’ami. Devant, hésitante, elle émit un cri quand Dossan en sortit.

Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus vu son visage endormi. Quand, encore dans ses rêves, il lui offrit un regard tendre, Blear s’émoustilla. Il s’approcha pour l’embrasser. Elle n’avait rien imaginé. Tout était réel. À tâtons, Dossan vint chercher ses lèvres. Le petit baiser s’approfondit à la manière dont ils s’étaient embrassés toute la nuit. Ce fut seulement au moment de dormir, qu’ils se séparèrent.

Discuter à tête reposée viendrait plus tard. En attendant, ils prirent un petit-déjeuner, comme ils n’y avaient jamais goûté. Durant de longs instants, ils se regardèrent avec convoitise. La cuillère de son yaourt en bouche, Blear l’observait, de temps à autre, les souvenirs difficiles de la veille l’envahissant. Elle s’en débarrassait à chaque fois qu’elle se rendait compte de sa présence à ses côtés.

Alors, quand il fut temps pour lui de rentrer, Blear s’agita. Tout en l’accompagnant jusqu’à la sortie, elle tortura chacun de ses doigts. Reviendrait-il ? Était-ce éphémère ? Au moment de se dire au revoir, Dossan ressentit sa crainte, la peine dans ses yeux. Voilà ce qu’il avait perdu pour avoir fauté. La confiance. Il tâcherait de la regagner.

Un sourire doux aux lèvres, il lui attrapa la main, mettant fin à son attente.

  • Dis-moi, est-ce que tu aurais… du temps la semaine prochaine ?

Au fond, elle avait toujours su, mais son intérêt, inchangé au fil des années, l’émerveilla.

  • Nous pourrions aller boire un café ? lui proposa-t-il.

Cela lui décrocha un rire. Les pommettes hautes, elle se dandina.

  • Et qu’est-ce que c’est… ? demanda-t-elle.
  • Hum, fit-il mine de réfléchir, un rencard ?
  • Tu n’es pas sûr de toi ? Dans ce cas, peut-être que je ne vais pas venir, dit-elle en croisant les bras.
  • Ce que, ce n’est pas une option, répondit-il en se rapprochant de son visage.

Enivrée, elle se laissa aller pour lui donner un baiser. Ses yeux s'agrandirent quand il déposa un doigt sur sa bouche.

  • Un baiser avant le premier rencard ? N’est-ce pas risqué, Mademoiselle Makes ? Ou devrais-je dire, Madame.

Blear retomba des années en arrière. Les souvenirs émergèrent telles des fleurs. Il lui avait dit que ce serait pour toujours. Après ces nombreux bisous échangés, elle se fit violence, acceptant avec joie la proposition de tout recommencer.


***


La course qui incombait Eglantine Akitorishi se trouvait à Saint-Clair. Elle croisa un tas d’élèves la dévisageant sur son chemin vers l’école. Bien différente de celle qu’elle était adolescente, la Richess gardait la tête haute, marchant d’un pas léger.

Devant le portail, elle trouva au milieu de la cour un petit groupe qui discutait. Les membres ne tardèrent pas à se retourner.

  • Loyd… Il y a ta mère, chuchota Selim.

Instantanément, Laure se recoiffa, totalement remuée par la nouvelle.

  • Ma…quoi ?

Quand Loyd vit cette dernière pénétrer dans l’enceinte, il n’en revint pas. Les problèmes arrivaient définitivement. Nice était à côté de lui, figée, les traits serrés, un air féroce dessiné, la petite souris envolée. Son premier réflexe fut de rapprocher ses doigts des siens. Ils se frôlèrent, le simple geste apportant à Nice l’ancrage nécessaire. La vision de la femme la fit déglutir. Elle détailla sa chevelure parfaite et le visage angélique qui l’accompagnait. Faye et Alex se transformèrent en garde du corps, couvrant ses arrières tandis que Selim attrapa totalement sa main. Ils savaient que c’était trop tôt. De son côté, Laure partagea un regard vif avec son amoureux. Elle non plus, ne s’était pas préparée à la voir.

Une fois à quelques pas, Loyd raccourcit davantage la distance avec Eglantine :

  • Maman ? Qu’est-ce que tu fais ici ? l’accueillit-il, nerveusement.

Avant toute chose, cette dernière l’embrassa, balayant les ados dans son dos. Elle n’avait jamais vu sa petite amie d’aussi près. De même de la fille de Michael. Nice avait les billes profondes de sa mère et l’aura méfiante de son père.

En la voyant l’analyser, Loyd préféra prendre les choses en main :

  • Tu es venu… parler à Nice ?

Elles se fixèrent.

Eglantine lui accorda une douce esquisse.

  • J’espère que nous aurons d'autres occasions à l’avenir.

Prête à rétorquer, Nice n’en eut pas le temps.

  • Mais en réalité, j’aimerais parler à Kimi, annonça-t-elle à la grande surprise générale.
  • À Kimi ? lâcha Laure.

Cela lui avait échappé.

Le petit rire de la mère de Loyd la déstabilisa, ses joues virant au rose.

  • Elle n’est pas là à ce que je vois. Est-ce que tu sais où je peux la trouver, chéri ?
  • Pourquoi tu veux… ?
  • Si, elle est là, fit Alex. Là-bas, dit-il en la pointant du doigt.

***

  • Tu te prends trop la tête !
  • … Tu crois ? souffla Kimi.

Affligée, la blonde marchait au même rythme que Tiger vers la sortie. Une discussion s’était imposée entre les deux après le fameux “accident”. À terme, elle avait fini par lui raconter ses cauchemars et s’ouvrir à propos de ses problèmes amicaux, de sa difficulté à faire la part entre Gordon et Saint-Clair.

  • Bien sûr que oui. Si tu veux passer du temps avec eux, comme tu en as toujours eu l’habitude ici, ne réfléchis pas. On ne va pas s'envoler. À la base, on ne devait même pas être là.
  • Je sais, mais le truc, c’est qu’il y a eu tellement de conflits…
  • Et alors ? C’est ça ton problème, ma belle. Tu restes trop bloquée sur ce qui a pu se passer avant et pas assez à ce que tu pourrais faire maintenant. C’est la même chose pour les Wolfs.

Ils sortirent du bâtiment principal.

  • Oui, ils sont toujours une menace. Oui, ça pourrait exploser à tout moment, mais… Tu ne peux pas te bouffer la vie tous les jours à cause de ça… Ah.
  • Qu’est-ce qu’il y a ??

D’un geste, il montra le groupe de Richess, Eglantine ayant remplacé l’absence de Sky.

  • Quand on parle du loup.
  • Ce n’est pas drôle… dit-elle, un mauvais pressentiment l’attrapant.
  • Bonne chance.

Qu’est-ce que la mère de Loyd faisait à Saint-Clair ? En les rejoignant, elle reçut réponse à sa question.

  • Vous voulez me parlez ? tomba-t-elle des nues.
  • Exact. Je me demandais si tu accepterais de manger un petit bout en ma compagnie ce midi ?
  • Euh… Je… Est-ce que je peux savoir pourquoi ? la questionna-t-elle, mal à l’aise, le poids du regard jaloux de Laure sur les épaules.

Elle devait en avoir assez. Assez que ça tourne toujours autour de sa personne. Après les mystères avec son père, d’autres naissaient avec la femme qu’elle avait craint de rencontrer, inquiète de ne pas lui plaire. De même pour Nice. Elle ressentait l’envie d’être à sa place, malgré le fait qu’elle l’ait longuement fuit. Pourquoi est-ce que ça tombait toujours pour sa pomme ?

  • Il y a quelque chose dont j’aimerais discuter avec toi. En privé, si ça ne te dérange pas ? essaya-t-elle de la rassurer de son ton apaisant.

Tout bien réfléchi, elle pouvait très bien dire :

  • Non.

À nouveau, le groupe la dévisagea de surprise. Le cran ne lui manquait pas.

Kimi secoua la tête.

  • Non… Je ne veux pas.
  • Oh, fit Eglantine. Bien, je ne voulais pas…
  • Me mettre dans une position délicate ? dit-elle frustrée, les sourcils arqués par la peine.
  • Non, bien sûr que non.
  • Pourtant, c’est ce que vous faites. Je n’aime pas me sentir à cette place. Tout ce que je veux…

Son cœur palpitait.

  • Honnêtement, tout ce que je veux, c’est aller manger une pizza avec mes amis, et peut-être même… Allez boire un smoothie, ensuite, dit-elle, la gorge nouée. Si je vous accompagne, je vais juste encore loupé une occasion de passer un bon moment et ça… Ce n’est pas négociable.

Le petit nez de Laure se remua, marqué par une terrible envie de pleurer. Nice, au contraire, souriait. Face au groupe d'amis qui souhaitait seulement être tranquilles, Eglantine devint nostalgique. La relève était assurée.

  • Je comprends.
  • … Que vouliez-vous me dire ?
  • Oh, c’est… Je pense que c’est quelque chose que je ne devrais dire qu’à toi.

Kimi la fixa droit dans les yeux. Elle haussa les épaules, les pouces attachés aux lanières de son sac. Ainsi, la jeune blonde ressemblait à sa mère de son temps d’adolescente.

  • Je finirai par leur répéter, de toute manière, déclara-t-elle, ses amis honorés.
  • … Es-tu certaine ?

Il y avait un petit quelque chose dans son regard, différent d’une tempête, un feu brûlant, grandissant qui la convainquit.

  • D’accord, mais d’abord, je dois te dire que les personnes avec qui je travaille ne voulaient pas que tu sois mise au courant.
  • Vous êtes… pharmacienne, c’est ça ?

Elle rit, tandis que Loyd fit les gros yeux.

  • Oui et non. Je travaille en laboratoire, dans une cellule cherchant le traitement à certaines maladies rares ou incurables.

Le choc la rendit muette.

  • Je pense que tu l’as compris, mais nous avons trouvé un traitement adapté pour ton père.
  • Louis, la reprit-elle, automatiquement.
  • Louis, oui, répéta-t-elle. Le traitement fonctionne et…

Elle devint sourde également. Le mauvais pressentiment se concrétisait. Alors qu’elle venait de retrouver l’énergie. Soudain seule au monde, en sentant le volume de l’eau monter, enfouir son corps, Kimi tenta de garder la tête à la surface. Elle se noyait. Encore. Cette fois, ce n’était pas un cauchemar. Incapable de se débattre, la panique la quitta une fois surplombée par les vagues. Les courants marins l’emportèrent. Il n’y avait plus rien à faire. Plus rien, sauf d’accepter de se noyer dans le passé.

Accepter.

Le mot explosa dans sa tête, comme une évidence. L’eau disparut dès lors, absorbée. Kimi retrouva la terre ferme.

  • Et alors ? Pourquoi vous me dites ça ?
  • Je sais que ton passé avec Louis a été… plus que difficile, mais j’estimais que tu avais le droit d’être au courant.

Le passé, c’était le passé. Elle gronda. La terre. Elle se fissura, une chaleur jaillissant de ces nouveaux cheminements qui se dressaient devant Kimi.

  • C’est vrai.

Elle était sincère envers la Richess.

  • Merci. De me l’avoir dit.

Reconnaissante d’avoir compris que tout ce qu’elle devait accepter, c’était le passé lui-même. Le ressasser ne servirait à rien, si ce n’est les souvenirs, car c’est ainsi qu’elle décida de vivre. De manière authentique.

Au présent.

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