Chapitre 40 : "Secret Life" - Part I.

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Vrrr… Vrrrr…

Selim fut interpellé par la vibration de son téléphone.

  • Ah, on m’appelle… Deux secondes, dit-il en attrapant l’appareil dans sa poche, puis en levant son doigt pour marquer un temps de pause.

C’était Nice.

Le fait qu'elle lui téléphone un samedi lui parut étrange. Il décrocha rapidement.

  • Oui, ma belle ? Je suis…
  • Selim… Est-ce que tu peux… venir me chercher ?

Elle pleurait. Pour qu'elle l'appelle par son prénom, cela devait être urgent.

  • Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es où ?
  • Viens juste… S’il te plaît…

En entendant sa voix craquer, il devint plus que sérieux.

  • Ok. Mais dis-moi où tu es ?
  • Je ne sais pas… Je… Je suis juste partie de chez moi et…
  • Comment ça tu es partie de chez toi ? Pourquoi ?? s’affola-t-il.
  • Je n’en peux plus ! Je veux plus le voir… Je peux plus… Je veux juste être près de toi et… arrêter de penser à tout ça…
  • D’accord. Je viens te chercher, mais il faut que je sache où exactement. Il n’y a pas un endroit où tu peux demander… ?

Un silence marqua son temps de réflexion. Selim eut mal au cœur en entendant sa respiration saccadée.

  • Si, je peux… regarder via mon téléphone.
  • Alors on fait ça. Envoie moi l’adresse par sms. Je vais venir avec mon chauffeur, ça va ?

Il eut en réponse un gros reniflement.

  • Nice ? Dis-moi si c’est bon pour toi ?

Le mince “oui” qu’elle décrocha chargea ses poumons en air. Quand il raccrocha, il soupira et balaya sa crinière noire en arrière avant de réserver le même sort à l'entièreté de la pièce. Dans son salon, sa mère se montrait inquiète :

  • Selim, que se passe-t-il ?
  • Rien c’est… Enfin si, c’est Nice, elle… Est-ce qu’elle peut venir ici ? Je sais que ce n’est vraiment pas le moment, mais…

Les larmes lui montèrent. Katerina chercha une réponse dans les yeux d’Elliot qui était accroché à ses côtes. Perplexe, il n’avait rien contre. Lui-même renvoya la question à sa fille. Entre les fauteuils, Faye était debout, alerte. Elle s’était levée dès l’instant où elle avait compris que le problème concernait son amie.

Katerina se lança :

  • Nous avons encore… des choses à nous dire, c’est certain, déglutit-elle. Mais peut-on mettre nos différends de côté pour le moment ? Faye ? Est-ce que ça te dérange si elle vient ?

La grande rousse mangea d’abord l’intérieur de sa joue.

  • Je ferai n’importe quoi pour Nice. C’est clair que je préfère qu’elle vienne, si ça ne va pas, marmonna-t-elle en évitant de la regarder.

Une espèce d’apaisement prit Elliot qui souffla un bon coup. Jusque-là, il n’y avait rien d’anormal au tableau, si ce n'était la présence d’Alex qui changeait la donne au milieu de la famille recomposée. Leur positionnement à chacun laissait deviner qu’ils étaient en pleine discussion avant cet appel, et pas des moindres, la drôle d’atmosphère qui les entourait en témoignant. Le blond étant à l’origine du conflit s’était retrouvé au milieu des deux familles Fast et Hodaïbi.

Il se leva de sa place pour soutenir Selim qui commençait à perdre pied. La panique le gagnait doucement, comme il était sensible.

Alex entoura son épaule :

  • Ça va aller ? Qu'est-ce qu'il se passe avec Nicette ?
  • Je… ne sais pas, mais en ce moment… ça ne va vraiment pas.

Vu les précédents événements, il le croyait sur parole.

***

Loyd aurait-il dû trahir sa mère plutôt que Nice ?

Le dilemme l’avait obligé à repousser la révélation. Il regrettait amèrement sa manœuvre au vu de la manière dont son amie le regardait. Les liens du sang ne pouvaient être brisés, mais l’amitié, si. Il avait peur de la voir autant en colère. Peur de la perdre… alors qu’elle avait une place spéciale dans son cœur. Nice ne l’avait pas abandonné quand il allait mal. Elle l’avait même soutenu. C’était aussi la raison pour laquelle il avait voulu lui dire la vérité, à l’instar du fait qu’il n’était pas non plus arrivé à lui avouer. Qu’adviendrait-il de leur relation maintenant que leurs parents se retrouvaient ?

Toutes les justifications qu’il apporterait ne l’aideraient sûrement pas à l’apaiser, mais il lui devait au moins des explications :

  • Je comptais t’en toucher un mot.
  • … M’en toucher un mot ?

Dès cet instant, Loyd comprit qu’ils ne s’entendraient pas. En même temps, c’était trop gros. Elle avait compris toute seule de son côté que son père trompait sa mère avec Eglantine. Le choc l’avait tellement prise qu’elle avait l’impression que son cerveau ne fonctionnait plus.

  • … Je devrais t’en remercier ? Quelle intention, Loyd… Je te remercie d’y avoir pensé. Non.

Elle leva la paume quand il essaya d’en placer une. Le fait de détourner la tête lui permit de mieux réfléchir. Nice avait eu en effet des doutes que la femme en question était bel et bien la mère de Loyd. Elle n’avait eu que son intuition et l’histoire des Richess pour y croire, mais maintenant, elle avait sa réponse. Ce fut bien parce que chacun des enfants autour de cette table savait pertinemment quels sentiments devaient la traversée qu’ils tombèrent tous dans le silence. La boucle était bouclée. Tous leurs parents avaient eu une relation, sans exception. C’était une malédiction.

  • Comment as-tu su ? l’interrogea-t-elle, du dédain la gagnant.

Cela lui fit trop mal au cœur et il ne sut quoi lui répondre. S’il lui donnait la vraie explication, il faisait plonger Laure également.

  • J’ai trouvé une photo d’eux dans les cartons de mon père, intervint cette dernière à sa grande surprise.

Loyd la remercia d’un regard amoureux qu’il perdit quand elle retourna dans ses travers :

  • Le jour où Kimi est venue chercher les photos de ses parents… ou plutôt le jour où elle est venue négocier avec mon père.

Encore une pique bien placée. Kimi, blessée, prit sur elle tandis que Nice dégringolait de mille étages. Ce n’était pas le moment.

Mal à l’aise, le traître poursuivit :

  • Elle a… d’ailleurs tout de suite voulu te le dire, mais je lui ai fait promettre que non, parce que je voulais d’abord en parler moi-même avec ma mère. Pour voir ce qu’il en était et quand je lui ai montré la photo… Elle n’a pu qu’avouer.
  • … Qu’elle avait eu une relation avec lui ? Et quand a-t-elle dit qu’elle le voyait toujours, quand soi-disant passant, ma mère se faisait cocu,...
  • Nous en avons discuté.
  • Oh… c’est tout ? “Vous en avez discuté ?”, super. J’aurais aimé être au courant.
  • Je te jure que j’allais te le dire. Laure aussi, alors ne lui en veut pas.
  • Oui, ça va ! J’ai compris, balaya-t-elle ses paroles.
  • … Vraiment, ne lui en veut pas. Je voulais m’en occuper, moi.
  • Sauf que tu ne l’as pas fait.
  • J’allais le faire, parce que ce sont nos parents… Je ne savais juste pas comment…

Elle devint toute rouge.

  • Mes “parents”, ce n’est et ce ne sera toujours que mon père et ma mère !

Nice rejetait tout en bloc.

  • … Oui, je sais… répondit-il, déstabilisé par son entêtement. C’est certain, je voulais dire que…
  • Si tu crois que je vais l’accepter, Loyd, tu te trompes. Ce qu’ils ont fait… fit-elle en appuyant férocement son index sur la table. C’est im-par-don-nable.

Il ne put qu’acquiescer. Elle avait raison, mais au fond, il pensait qu’elle pouvait comprendre. Le calme qui s’exigea lui donna du fil à retordre.

  • Je ne veux pas que tu leur pardonnes…
  • Que veux-tu alors ? Choisis bien tes mots, parce que tu peux être certain que je ne…
  • Que tu comprennes, souffla-t-il en aplatissant ses deux mains ensemble. Je ne veux pas que tu détestes ma mère.
  • C’est trop tard.
  • Tu ne peux pas…
  • Si je peux !
  • Nice, s’il te plaît…
  • Ta mère, ta mère, ta mère ! Je m’en fiche de ta mère, cria-t-elle en se levant de sa place. Tu as pensé à la mienne ? Est-ce que tu sais dans quel état elle est ? Je ne l’ai jamais vu aussi malheureuse ! Ça me…

Un hoquet lui coupa la parole.

Nice s’énerva contre elle-même, secouant sa tête, avant de reprendre :

  • Non. Je ne veux pas comprendre.
  • Pourtant, je suis sûr que…
  • Non.
  • Mais nous vivons la même chose ! s’écria-t-il à son tour.
  • Je m’en fiche !
  • Ils s’aiment !
  • Tais-toi ! Je te dis que je m’en fiche qu’ils s’aiment ! Et je n’accepterai ni leur relation, ni ta mère parmi nous ! S’il faut que je ne t’accepte pas toi non plus… Eh bien, tant pis ! Mais moi, je suis une personne de valeur !

Était-ce déjà trop tard pour leur amitié ?

Loyd avait les yeux mouillés.

  • Je suis désolé, émit-il d’une voix faible. Je comprends.

En le voyant baisser sa tête, la fureur de Nice s’envola. Une grande peine vint la lacérer à la place. Elle hésita.

  • Non, tu ne comprends pas… J’en ai marre. C’est toujours comme ça.
  • … Comme ça quoi ? demanda Laure, qui prit le relais, son amoureux n’étant plus capable de dire un mot.
  • Tout ça ! s’exclama-t-elle en montrant l'entièreté du groupe. Tous ces secrets… C’est tuant. On pensait que nous ne pouvions être amis, alors on l’était pas, jusqu’à ce qu’on se décide à faire quelque chose d’illégal, mais en fait, on se faisait du mal pour rien puisque nos parents l’étaient aussi. Pire encore, on pensait que nous ne pouvions pas être amoureux, mais là aussi, même scénario. Durant des années, on s’est cassé la tête alors que… - elle n’arrivait plus à finir ses phrases - ... Et maintenant, on apprend que… qu’ils ont été ensemble, aussi ?? On se fout de notre tête !

Laure semblait particulièrement d’accord, les bras croisés, concentrée sur la colère qui rongeait sa copine. Il y avait aussi de la peine, qu’elle comprenait parfaitement.

  • J’avais peur et… j’ai encore peur tous les jours de ne pas pouvoir finir ma vie avec Selim et… eux… ils se remettent ensemble comme si de rien était, ils s’envoient en l’air… ? C’est ça le problème Loyd. Qu’ils s’aiment…

Elle avait tout de même du mal à avaler la pilule.

  • Je sais ! Je sais ce que ça fait ! Mais qu’ils trompent ?! Elliot et Katerina n’en sont pas arrivés là, eux au moins !
  • Parce que…

C’était trop dur de riposter, car il ne pouvait que lui donner raison. Nice s’essoufla.

  • Au moins, eux, ils ont été respectables… Ils n’ont fait de peine à personne.
  • Oui, enfin, tout est relatif.

L’intervention de Faye eut l’effet d’une claque. Nice ne sut quoi dire. Selim fit de grands yeux. Alex se mangea les lèvres. Le reste attendait la suite.

***

La maison Hodaïbi avait regagné en calme avec le départ de Selim et son chauffeur, Mélane. Stratégiquement, Elliot avait pris à part Alex dans la cuisine, laissant Faye et Katerina seules dans le salon. Le malaise était palpable.

  • Pouvons-nous… parler à tête reposée ? demanda la plus adulte qui vint se loger sous l’éclat d’un lustre et dont le bruit des talons attira l’attention de la rousse.
  • … C’est bon. Ce n’est pas la peine de me parler comme ça, la rejeta-t-elle en se détournant.
  • … Je ne veux pas te brusquer plus que je ne l’ai déjà fait. Je comprends tout à fait que tu sois en colère. Pour toi, je suis… Ta belle-mère et… Nous n’avons jamais vraiment… parler de tout ça d’ailleurs, mais… j’ai pris une place dans ta vie qui n’est déjà pas évidente…

Faye se tendit. Elle devint raide comme un piquet et ses joues se creusèrent. Furtivement, elle défia Katerina de continuer sur sa lancée. La femme était à toute épreuve.

  • Je ne me sens pas toujours à ma place, lui avoua-t-elle. Vis-à-vis d’Alice…
  • Ce n’est pas le moment pour…
  • Je crois que si. J'aimerais t’en parler. J’ai de la peine de penser que j’ai… pu… pas remplacer, loin de là, mais venir m’immiscer…
  • J’ai déjà dit que j’étais contente pour papa et toi !

Katerina aussi se rigidifia. Elle avait beau le crier, elle lisait aussi dans les yeux de Faye une grande tristesse. Cette dernière ne savait plus où donner de la tête.

  • Pourquoi tu me parles de ma mère ? se fâcha-t-elle. Ce n’est pas le problème ! Le problème, c’est que…

***

  • Je ne pense pas qu’une femme respectable poserait en sous-vêtements devant mon mec.

La réunion prit de ce pas une autre tournure, Nice se rasseyant sur sa chaise, vidée d’énergie. Selim, qui faisait toujours attention à sa petite copine, ne put rien faire que de la délaisser pour les prochaines minutes.

  • Attends… Tu parles de ma mère, là ?

Il ne comprenait pas : son mec, donc Alex ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire de sous-vêtements ?

  • Hein ? fit-il en parfaite incompréhension.
  • Oui. Je parle de Katerina. Tu ne savais pas ? Désolée, je change de sujet, mais…
  • Non, c’est bon, souffla Nice qui n’en pouvait plus.
  • Je la rejoins quand elle dit que c’est tuant de garder des secrets. Moi aussi, j’en peux plus d’apprendre un truc par ci, un truc par là, comme le fait que… Tiens, mon mec dessine des sous-vêtements pour ma belle-mère.
  • Quoi, mais ?!

Selim attrapa sa tête entre ses mains. Les fils ne se touchaient toujours pas.

  • Ce n’était pas un secret, fit Alex. C’est un projet et tu ne m’as pas laissé l’occasion de t’expliquer…
  • Parce qu'il n'y a rien a expliqué, se braqua-t-elle.
  • Si, j’ai besoin de…
  • De quoi ? devint-il plus sec.

Ils se regardèrent un moment dans le silence. Laure tortilla une mèche autour de son doigt, alors que Sky se nécrosait de plus en plus.

  • Pourrait-on connaître l’histoire ? S’il vous plaît ?
  • Oh, oui. Vas-y, Alex. Raconte.

Ce dernier se sentit plus bas que terre, parce qu’elle le descendait ouvertement. Seulement, tiré hors de son contexte, il trouvait que Faye avait toutes les raisons de lui en vouloir. Il soupira.

  • Ma mère… (Laure leva un sourcil instantanément)... m’a proposé de prendre part à un de ces projets. Vous savez que le week-end passé Katerina était chez moi avec vos mères, dit-il en se référant à Loyd et Sky. Eh bien, elles ont toutes les deux décidé de se lancer dans une collaboration. Une collection de lingerie, pour laquelle elles poseront toutes les deux. Puisque j’étais là, ma mère m’a demandé mon avis sur le modèle qu’elle avait déjà fait et… J’ai changé quelques trucs sur le dessin, dit-il évasivement, comme si cela ne demandait aucune réflexion. Elle a bien aimé, donc elle m’a dit que pour la semaine prochaine elle voulait trois modèles, donc j’ai accepté, et oui, le modèle est Katerina. Mais c’est tout.

“C’est tout”, ces mots rendirent l’ensemble perplexe. Laure plissa les yeux. Cela signifiait qu’il se lançait dans la mode ? Selim décrocha ses mains de sa tête et chercha d’abord dans les yeux de Faye si c’était bien réel. C’était le cas. Il prit appui sur la table de ses deux mains, choqué :

  • Mais mec… C’est ma mère ! Et par rapport à Faye, c’est… ! Tu peux pas… Tu peux pas faire ça, mec. Ça veut dire que tu dessines ma mère quand elle est…
  • Non, je ne l'ai pas vu à poil ! s’énerva-t-il à son tour, ce qui calma directement son meilleur ami.
  • … Ah, ouais… ? fit-il, d’un air incertain.
  • Ouais.

Il était excédé.

  • Par contre, tu dessines des sous-vêtements…

Le petit sourire de Sky qui essaya de jouer la carte de l’humour ne lui plut pas du tout. Il l’avait craint… le fait que ses copains se moquent de lui. Alex se referma sur lui-même et devint dur comme une pierre.

  • Ça ne me fait pas rire.
  • Oh, je plaisantais, c’est bon…
  • Rigole tout seul. Je m’en fous. De toute manière, c’est comme ça. Je dessine des sous-vêtements ? Vous trouvez ça marrant ? Vous acceptez pas ? Très bien. Passez votre chemin.
  • … Quoi ? s’estomaqua Faye.
  • T’as bien entendu.
  • … Tu fais une connerie et c’est nous, c’est moi, qui pâtissons…
  • Je n’ai fait aucune connerie.
  • Mais bien sûr que si ! C’est normal que je m’énerve quand j’apprends que tu dessines des sous-vêtements pour des femmes, s’élança-t-elle, d’une voix criarde. Et en plus pour Katerina, alors que c’est la mère de Selim, de mon meilleur ami et ma belle-mère ! C’est la femme qui… !
  • Arrête ! Tais-toi ! J’en peux plus de tes crises !

Faye fut toute retournée du ton qu’il employa.

  • Quand je dis… commença-t-il en pinça les doigts, que je n’ai vu aucune femme en sous-vêtements, c’est vrai. Et oui, peut-être, que dans le futur, ça arrivera. Il va falloir faire avec.
  • Je ne…
  • Si tu ne comprends pas que pour moi ça ne veut rien dire et que je m’en fous de voir une femme en petite lingerie, quand je t’ai toi, je peux plus rien faire pour toi. Soit tu acceptes, soit c’est plus mon problème.

Tout le groupe fit des yeux ronds. Ces mots étaient forts.

  • J’en ai marre de ta jalousie, sortit-il enfin.
  • Mais…
  • C’est trop, en fait. Je n’ai pas accepté pour voir des femmes à moitié à poil. J’ai accepté parce que…
  • … Parce que quoi ? demanda-t-elle, l’expression serrée et prête à pleurer, mais elle se retenait par fierté.
  • Car ça me tient à cœur.

Une larme coula sur sa joue malgré elle.

  • Vraiment.

***

Depuis la cuisine, Alex l’entendait hausser le ton. Elliot s’efforçait de rester accrocher au plan de travail. Calé entre ses paumes, il le serrait, le dos courbé. Ce n’était pas facile tous les jours d’être père. Les deux s’inquiétaient pour Faye. La plupart du temps, elle ne montrait pas grand-chose, à part des sourires. Elle pouvait certes passer du rire aux larmes et quelques fois, montrer une colère exacerbée, mais ce qu’elle ressentait vraiment, elle ne l’exposait que rarement.

Elliot prenait sur lui. Il leva la tête au plafond et expulsa le plus d’air possible de ses poumons. Alex jeta un coup d'œil dans sa direction.

  • Vous êtes nerveux ?

Il le vouvoyait, car ils ne s’étaient pas encore rencontrés assez pour lâcher du lest. Le grand roux ne dit rien le temps de le dévisager. Sa fille sortait avec un sacré apollon et ce même apollon dessinait des sous-vêtements pour l’amour de sa vie. Il ne cédait pas à la jalousie, parce qu’il avait le recul d’un adulte, mais il comprenait que ce soit le cas de Faye.

Il prit appui au meuble :

  • Tu sais… Elle est plus fragile qu’elle n’en a l’air.
  • … Je sais.

Il enfonça son regard dans le sien. Elliot se sentit défié. En tant que père, il prit de la hauteur et glissa ses mains dans ses poches tout en s’approchant. Il était plus grand, mais de peu. Alex ne faillit pas, malgré sa carrure importante qu’il lui imposait, ainsi que son visage près du sien, cherchant une faille.

  • … Oui ? fit le gendre.

Ce gamin avait un aplomb d’enfer.

  • Dis-moi… Est-ce que tu l’aimes vraiment ?

La réponse tardait.

  • Monsieur Fast, j’ai toutes les filles que je veux à mes pieds et c’est une Richess. Vous pensez vraiment que passerai au-dessus de ces deux choses, si je ne l’aimais pas “vraiment” ? Je suis fou d’elle, rectifia-t-il, en s’avançant, lui aussi, mains dans les poches.

Il vit son père étirer un sourire sur le côté.

  • Je l’aime, dit-il de son plus beau ton de voix, mais le problème, c’est qu’elle ne le voit pas.

Ce fut Elliot qui le vit sourire à son tour, mais amèrement.

  • Elle ne comprend pas qu’il n’y a qu’elle et ça me…

“Fait souffrir”, Alex se garda de le dire. En contrepartie, Elliot déposa une main sur son épaule et la serra fermement. Il le secoua légèrement pour lui montrer toute sa compassion et vint ensuite le bousculer de la sienne.

  • Je vais veiller à ce qu’elle le voit.
  • … Comment ? demanda-t-il, d’un ton assez désespéré.
  • Tu es le bienvenu ici quand tu veux, répondit-il en lui faisant un clin d'œil. Nous pouvons aussi organiser des réunions ici avec Marry. Cela soulagera peut-être Faye de voir les dessous de votre travail ? Tu ne crois pas ?

Cela se vit peu sur son visage, mais Alex était touché. Il travaillait sur ses émotions.

  • Merci, Monsieur…
  • Elliot.
  • Elliot… répéta-t-il en souriant. Merci.
  • Bon, ça n’arrange pas notre souci majeur…

En effet, dans le salon, leurs femmes respectives n'en étaient pas encore à l'entente. Katerina y mettait pourtant du sien :

  • Que puis-je faire pour que tu te sentes mieux ?
  • … C’est quand même logique, non ? Ne pas poser pour mon mec.
  • Je n’ai encore jamais posé pour lui. C’est Marry qui s’occupera de la confection, Alex s’occupe du dessin.
  • Mais même…
  • Pourquoi ne lui fais-tu pas confiance ?
  • Parce que… !
  • Tu sais que c’est lui qui m’a sonné pour qu’on se rencontre aujourd’hui ? Parce qu’il voulait avoir une discussion avec toi et te prouver qu’il n’y a rien de malsain…
  • C’est malsain.
  • Faye. Je suis désolée. Mais tu dois avoir confiance en lui.

Un sanglot la prit. Elle se couvrit le visage d’une main pour se cacher.

  • Je n’y arrive pas, s'essouffla-t-elle. Je sais qu’il m’aime, mais je… Il est tellement…
  • Tu as peur qu’on te le vole ? C’est ça ? lui demanda-t-elle en réduisant considérablement la distance entre elles.
  • … Oui, éclata-t-elle en pleurs.

Katerina connaissait ce sentiment pour être sortie de son temps avec l'un des garçons les plus prisés de Saint-Clair. Hésitante, elle longea son bras le long du sien jusqu'à gagner sa main, même si cela ne faisait pas partie de ses habitudes. Ce contact déstabilisa la rousse. Il lui rappela la douceur de sa mère, qui n’existait plus. Elle pleura davantage fort. Elliot et Alex en profitèrent pour sortir de la cuisine. Le premier laissa les choses se faire, Alex prenant la place de Katerina. Il entoura Faye à son tour. L’avoir contre lui fit perdre de ses forces. Elle se laissa tomber dans ses bras.

  • … Je t’aime, lui souffla Alex à l’oreille, amoureusement, d’un si bas volume qu’il n’y avait qu’elle qui pouvait l’entendre. Même en dessinant des sous-vêtements, tenta-t-il un peu d'humour avant d'attraper son visage entre ses mains. Je t’aime.

Il voyait, non pas le doute, dans ses yeux, mais l’envie d’y croire fermement. Faye bafouillait, en piteux état.

Elle lâcha une grande plainte :

  • Je ne veux pas encore perdre quelqu’un…

C’était trop dur. Elle avait déjà perdu sa mère. Au jour le jour, la peur qu’Alex l’abandonne grandissait de manière irraisonnée. Elle était terrifiée à cette idée. Pour lui montrer qu’il était là, il la serra plus fort.

La porte d'entrée s’ouvrit.

Selim était de retour.

Avec Nice, sa petite amie secrète, que Katerina n’avait encore jamais rencontrée.

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