Chapitre 34 : Un brin de soleil.

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“Je sais que des parents qui n’aiment pas leurs enfants, ça existe. Mais je connais aussi des parents qui ne savent pas comment s’y prendre face à leur ados et des jeunes gens comme toi qui n’arrivent pas à communiquer avec les adultes. Si tu y réfléchis à deux fois avant de parler, peux-tu vraiment m’affirmer que tes parents ne t’aiment pas ?”

***

Il y avait quelque chose de vraiment énervant pour Sky de se réveiller avec les paroles de Dossan en tête. Il avait espéré débuter sa semaine d’école d’une autre manière. Dans le parfait cliché de l’ado fixant son plafond un lundi matin, il faisait fort. L’envie de rester au lit tout en introspectant sur sa vie était alléchante. Il aurait pu, sa position lui donnant l’avantage de se trouver des excuses, mais il n’avait pas envie de devoir se rendre des propres comptes. Un roi devait se montrer présent pour sa cour. Ce mode de pensée l’envahissait. Le premier Richess avait l’obligation de faire bonne figure.

Ce dernier roula des yeux en se défaisant de sa couverture. Tout engourdi par les heures de sommeil, il se planta devant sa fenêtre et écarta le rideau d’un geste las. Dehors, il faisait encore sombre, la cour entre les quatre bâtiments de l’internat ne lui inspirant guère une promenade. En grand dormeur, le réveil n’était jamais évident pour Sky. Encore moins lorsque des pensées parasites s’ajoutaient à la musique agaçante que produisait son téléphone.

La réunion de sa mère avec celles de ses copains l’avait plongé dans un état de méditation intense. Cette image lui paraissait étrange, voire irréelle. Encore plus de penser à ce que leurs parents avaient vécu dans leur jeunesse, sachant que cela ressemblait en tout point à leur situation actuelle. Sky avait conscience de faire partie d’une génération plus extravagante en termes de vision de l’amour. L’obligation matrimoniale n’allait plus de pair avec la pensée globale. En tant que Richess, il n’en restait pas moins soumis à ces lois. Elles l’enchaînaient, comme elles l’avaient fait pour la précédente génération. Malgré l’époque différente, cela paraissait évident que leurs jeunes parents n’avaient pas dû vouloir de ces mariages. Il pensait à leurs secrets et leurs mensonges. Cela l’emprisonnait dans une colère sourde.

Dossan

Si le culot avait porté un prénom, il lui aurait donné le sien. Comment pouvait-il avoir confiance en ses conseils vis-à-vis de sa famille alors qu’au même instant il s’était bien gardé de lui parler de sa relation avec sa mère ? C’était normal d’être en colère en apprenant cette bombe. C’était même justifié à ses yeux de l’avoir empoigné. Bon, peut-être pas, mais ça avait été plus fort que lui. Sky avait ensuite été forcé de mettre de l’eau dans son vin. Il s’était excusé sincèrement envers Dossan, mais la rancune restait gravée en lui. Il n'avait certes pas menti, mais l’omettre revenait au même. Ce monsieur, à l’air innocent, était sorti avec sa mère. La femme qui lui avait donné naissance. La plus puissante des Richess. Un bon nombre d'informations lui échappaient : Comment cela avait-il été seulement possible ? Le simple fait de les imaginer ensemble lui paraissait improbable vu le caractère froid de Blear. En contrepartie, Dossan lui avait donné l’impression d’être un homme sage et chaleureux. Peut-être s’était-il trompé sur son compte ?

De là, il doutait de sa sincérité, bien qu’en poussant la réflexion, il l’aurait mal imaginé profiter de ce moment pour lui confier l’inavouable. Dans ce cas, n’aurait-il pas dû simplement se taire ? Sans doute qu’il avait cru que la vérité ne sortirait jamais ou bien qu’il avait toujours été préparé à l’affronter en temps voulu. Le cœur de Sky vacillait entre la haine et la pitié, car il avait passé un temps merveilleux chez Dossan. Ce temps d’échange de foyer l’avait même rendu envieux : c’était donc à cela que ressemblait une vie “normale”. Mais pouvait-on encore parler de normalité dans son cas ? Cet homme qu’il croyait simple aux premiers abords portait de nombreux secrets. C’était un simple citoyen, mais un citoyen qui avait Chuck Ibiss pour meilleur ami et Blear Makes comme ancienne petite amie. Il s’était créé une place parmi les Richess, existant parmi eux. Même s’il n’était pas mis en avant par les médias auprès de la première génération, dans les coulisses de leurs enfants, il devenait un sujet de conversation au même titre. Non, il ne devait pas considérer cet homme là comme quelqu’un de banal. Quand bien même il pouvait se montrer gentil, il ne devait pas effacer Dossan de l’équation "Richess". Et puis pour couronner le tout, de tous les pères du monde, il avait fallu que ce soit celui de Kimi… !

En pensant à cette dernière, son estomac se noua. Lui aussi avait eu du culot. Sky jeta un œil à son lit dès qu’il eut enfilé à moitié son pull. Il avait encore le menton coincé dans le col de celui-ci quand il se remémorait leur soirée ensemble. Il basculait sur ses lèvres. Et pas qu’un peu…

Avec volupté, sa bouche se mêlait à la sienne.

Sky étendit son cou comme pour s’obliger à sortir de cette impasse. La collaboration président et sous-présidente s’annonçait compliquée. Finalement, une gifle c’était pas si mal. Il lui aurait bien fallu ça pour que son visage rougisse. En replaçant son bataillon de cheveux, il eut un rire nerveux. À contrario d’avoir les joues teintées, un guili titilla le bas de son ventre. Il y positionna sa main avant de se bouffer nerveusement la lèvre inférieure. Un air strict envahit ses traits. Il trépigna à peine, mais assez pour marquer son mécontentement :

  • Fais chier, marmonna-t-il tout bas.

***

Personne ne dupait Loyd Akitorishi, pas même sa malicieuse et astucieuse petite amie, alors encore moins le garçon qu’il connaissait par cœur, alias son meilleur pote. Dès l’instant où le Richess avait pointé le bout de son nez à sa porte, Loyd avait compris que quelque chose lui cramait la cervelle. La mince salutation de Sky le guida directement dans le couloir. En fermant sa chambre à clé, il lui répondit simplement :

  • Ça te va ?
  • Ça va, répondit le brun dont la chevelure était une séduisante pagaille.

Avec autant de fatigue que dans sa voix, Sky s’amollit, laissant son épaule s’écraser contre celle de Loyd. Il le harponna de son bras.

  • Mal dormi ? demanda ce dernier en se rattachant à sa taille, sa mallette pour les cours dans son autre main.
  • … Hum, ouais.
  • À cause de quoi ?
  • J’ai trop joué à la play, grimaça-t-il en même temps qu’il prononça ce mensonge.

Derrière cette gueule de tombeur et de mec indifférent, Loyd devinait sa petite humeur. Il ne pouvait rien lui cacher, insensible à son jeu d’acteur. Il lisait en lui comme dans un livre ouvert. Ce fut bien pour cette raison qu’il ne se tenta pas à le questionner. Encore moins de si bon matin. Il aurait été fou de chauffer le taureau dès les premières heures. Sans compter qu’il ne s’agissait pas de leur priorité. Attachés l’un à l’autre, les garçons se rendaient au réfectoire pour prendre leur petit-déjeuner. La langue de Sky se délierait sans doute d’elle-même au fur et à mesure de la journée ou dans celles à venir, au pire des cas. S’il lui laissait le temps, les mots finiraient par sortir directement de sa propre bouche. S’atteler à les lui arracher était peine perdue. Contrairement à certains de leurs amis, le forçage ne fonctionnait pas du tout sur Sky.

Quant au groupe, la plupart des Richess restaient chez eux le dimanche soir et se faisaient conduire le lendemain par leurs chauffeurs respectifs. Cela dépendait des fois, mais ce matin-là, la paire de potes eut droit à un moment en tête à tête. C’était de plus en plus rare. Ce moment de calme, ou presque, leur fit du bien à tous les deux. Presque car la quiétude disparut en même temps que les élèves du Lycée Gordon arrivaient.

  • Ces gens-là ne connaissent pas le silence ? pesta Sky dans ses dents en entendant un léger fond de musique.

Leur présence donnait une autre couleur aux lieux. Chaque étudiant avait bien évidemment la sienne, essence de sa personnalité. Cependant, chaque établissement scolaire possédait sa propre identité. Saint-Clair se montrait riche, droite, élitiste, avec des élèves assidus, alors que ceux appartenant au Lycée Gordon étaient tout l’inverse. Ils avaient une attitude brouillonne, une nonchalance déconcertant pour des nouveaux arrivants. Le fait de débarquer en groupe avait sauvé certains de l’isolement. Il ne fallait pas croire qu’ils étaient tous à l’aise de se confronter à ce nouveau monde. Le croisement des deux prendrait du temps. Arriveraient-ils seulement à s’entendre un jour ou l’autre ? Au plus il y avait une différence de pouvoir entre les élèves, au moins ce serait évident pour eux d’entretenir de bons rapports. Il n’y avait rien d’étonnant à ce que Sky, éduqué dans les formes, se montre dur envers eux et réticent à l’idée de les accepter dans l’antre où il était le plus haut dans la hiérarchie. Le matin, il appréciait le calme. Leurs rires l’agaçaient tandis que Loyd se délectait de son irritation.

  • Ne sois pas vilain, mon amour, l’embêta-t-il, son nez se fronçant en même temps qu’il lui lançait un sourire narquois.
  • T’y mets pas toi…
  • On se détend, dit-il en léchant la cuillère de son pudding.
  • … Je demande que ça, mais ses potes là… répondit-il en levant sa main d’un geste agacé.

Il y avait de ça aussi… Ce n’était pas seulement de simples intrus. La plupart d’entre-eux avaient un lien avec Kimi, son ancien groupe d’amis créant un certain engouement. Paradoxalement, une harmonie se dégageait de cette clique désorganisée.

  • Ce n’est pas bien d’être jaloux.
  • … Tu me cherches… ?
  • Ah non, pas du tout, s’outra faussement Loyd qui pinça les lèvres, mort de rire sous ses airs innocents.
  • Je te vois, hein.
  • Moi aussi. J’ai mes lentilles.

La pichenette que Sky lui mit en se penchant complètement sur sa table attira l’attention des présents. Le retour cuillère le fit se rasseoir immédiatement, les deux mains sur son front.

  • Sois plus laxiste avec eux… Ils ne font rien de mal, à part… étudier et loger au même endroit que nous ? réfléchit Loyd, un doigt sur les lèvres.
  • … T’es pas encore plus précieux qu’avant depuis que tu es avec Laure ? À se demander qui porte la culotte…

Le regard de l’éternel numéro trois s’étira, une lueur dans ses prunelles. Sa posture changea, du garçon qui touchait sa bouche du bout des doigts à un ado dont le dos de sa main vint soutenir narcissiquement son menton. Il n’avait aucun problème avec le fait qu’on puisse croire que Laure avait du pouvoir sur lui. Il y trouvait même de la fierté. Dans un premier temps, parce que ce n’était pas faux et dans un second temps, car cela n’était pas totalement vrai non plus. Loyd plierait toujours le genou pour elle, mais à partir du moment où elle acceptait de lui donner sa main, cela signifiait que Laure lui laissait le gré de mener la danse. Ils dansaient bien ensemble, comme deux fleuves se réunissant pour se jeter dans la mer. Le couple ondulait, générait des vagues, tranquillement et pourtant d’une force exquise. Loyd en particulier savait comment l’obliger à se laisser porter, car oui, Laure il fallait la forcer à lâcher prise. En douceur, il adorait la capturer dans ses filets sans qu’elle ne s’en aperçoive pour éveiller ses sens. Ce petit jeu quotidien les animait énormément.

  • Je veux pas savoir… lâcha Sky qui dévia son regard en plongeant ses mains dans les poches de son jeans.

Grave erreur, sachant qu’Ulys tomba dans son viseur. Ce dernier entrait dans le réfectoire, une veste en jeans noire sur les épaules. Il avait un bas de la même couleur et de la même matière, pour une fois, avec une simple paire de basket. Ses cheveux habituellement relevés tombaient devant ses yeux, les côtés fraîchement déblayés de manière à ce que ses piercings soient encore plus visibles. Il en jetait par sa taille, son sourire spontané : tout le monde n’avait d’yeux que pour le mannequin. Il fit des heureux en se plaçant près de ses amis de Gordon et fondre des cœurs par quelques éclats de rire. Sky faisait la tronche. Cela aussi l’agaçait. Depuis qu’il avait retrouvé ses compatriotes au sein de Saint-Clair, il pensait que ce dernier se la jouait encore plus. La sensation de devenir transparent lui glaça le sang. C’était tout ce qu’il avait. Sky déglutit. Il vit Loyd l’observer. Lui aussi avait gagné en charisme. Il le trouvait bien plus confiant qu’auparavant.

  • On y va ? proposa-t-il en se levant pour éviter de vivre pleinement son émotion.

Sans broncher, son meilleur pote le suivit. Il prit subitement conscience à quel point ce dernier avait changé durant leur quatrième année. Où en était-il lui ? Entre ses copains, tous en couple ? Ils se retrouvèrent rapidement dans leur coin habituel de la cour. D’abord, entre mecs. Il restait du temps avant que la cloche sonne. Alex restait sage, sa crinière dorée reluisant, à côté de Selim qui rayonnait aussi fort que le beau soleil matinal. Les rayons tapaient sur leurs joues, entre deux zones d’ombres provoquées par la hauteur des bâtiments. Faye arriva avec confiance, ensoleillée de la tête au pied, suivie de Nice qui trottina pour la rattraper. Celle-ci avait une petite mine, mais à chaque fois que les deux filles se retrouvaient le lundi, elles donnaient l’impression de s’être quittées depuis des lustres.

L’Ibiss ne tarda pas à se montrer, son sac à main écaillé entre ses doigts. Elle remuait les épaules dans l’espoir de chasser la petite fraîcheur qui se logea sous son fin blazer. Elle ne tarda d’ailleurs pas à trouver de la chaleur auprès de son amoureux qui logea une main sur sa taille. Ces deux-là s’accordaient parfaitement. À côté, le couple de nains roucoulait de bon matin, la main de Selim rassurant sa petite-amie. Faye et Alex étaient aussi intenses et cool qu’à leur habitude. Quelle était sa place parmi ses amis lorsqu’ils se retrouvaient en binômes ? Sky ne se sentit pas de trop. Il savait ce qu’il représentait au sein du groupe : le premier Richess des sept familles, mais surtout un ami. Cependant, le seul qui ne vivait pas d’histoire d’amour. Quel drôle de sentiment de se sentir seul lorsqu’on est au-dessus de l’échelle sociale. Mais là était le problème.

  • Toujours en retard, se marra Alex à voix basse.

Pour cette même raison, Sky avait décidé de mener sa vie en solo. Quitte à vivre une existence forcée, autant gérer ce problème de manière indépendante. Quelle ironie de chercher sa liberté à tout prix, tel les femmes en quête d’égalité, quand celles-ci faisaient remuer l’organe sous son torse.

Au-delà du portail, Kimi et son frère descendaient de la voiture noire de leur père. Celui-ci prenait toujours le soin d’en sortir pour les enlacer l’un après l’autre. Ils se saluaient toujours chaleureusement, comme on s’y attendrait d’une famille heureuse. Le sac à dos sur une épaule, la blonde la plus intrigante de Saint-Clair s’enfonçait dans la cour, lâchant quelques gestes de salutation à son passage. Le soleil sur ses arrières, Kimi se dirigeait à grande enjambée vers les Richess, les lèvres mordues et la brise automnale dégageant sa chevelure entremêlée en arrière. L’attitude qu’elle montrait laissait deviner qu’elle était dans ses petits souliers, offrant un regard fixe à Sky dont elle se détacha la seconde d’après. Elle lui fit la bise en premier pour se débarrasser de cette corvée, sa poitrine se soulevant inconsciemment en sentant la douceur de sa joue sur la sienne. Le malaise était palpable.

Tandis qu’elle accaparait l’attention de ses amis en les embrassant, celle des autres étudiants se dirigea vers l’entrée principale. Dans la chaleureuse lumière qui inondait l’école, le dessin d'une silhouette éclatante émergea, les jambes qui lui appartenaient provoquant des vertiges par leur longueur. Un pas après l’autre, les bottines noires qui soulevaient avec légèreté cette paire de fines cuisses, s’écrasaient avec aplomb sur le sol de Saint-Clair. Enrobées d’un jean sombre qui lui collait à la peau, elles attiraient l’attention, du chemin qu’elle prenait. Sky releva la tête. Les coins de ses lèvres s’étirèrent vers le bas, un bruit géant tabassant sous son torse. Elle était là. Le menton haut, il prit les devants en se plaçant en amont du groupe. Ce ne fut pas conscient de sa part de bloquer le champ de vision de Kimi, mais pas pour le moins anodin. Cette dernière se décala légèrement. Autant que ses compagnons, elle fut irradiée par tant de lumière. Elle était là. L’adolescente brune, dont le sourire coquinait tous les regards, s’arrêta, telle une diva prenant la pause, devant le plus puissant des Richess. Sky, qui cachait ses mains dans les poches de son sweat, les sortit pour en déposer une franchement sur son épaule. Il lui dit bonjour en même temps qu’elle étendit son cou, une forêt aux couleurs de l'automne illuminant ses yeux :

  • Salut, beau gosse.
  • Salut, Jena.

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