Chapitre 27 : Au sommet - Part II.

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Lorsque John-Eric avait décidé d’annoncer à Blear qu’il souhaitait se séparer, dans le but d'une vie meilleure, ce dernier avait pu calculer les difficultés que ce choix engendrerait. Que ce soit l’annonce aux parents ou aux enfants, ainsi que les dispositions à prendre, il était assez conscient pour comprendre que cette situation serait lourde à gérer et à assumer. L’impact sur Blear surtout, par son statut de Richess et les responsabilités qui pesaient sur ses épaules.

John avait aussi pensé qu’ils continueraient de former une équipe et c’était exactement ce qu’il se passait. Cependant, il n’avait pu prévoir l’état actuel de sa coéquipière. L’accumulation de tous ces éléments l’avait mené à une colère sourde qu’elle avait enfin laissé exploser en sa compagnie. Bien qu’il avait trouvé que ce soit une bonne chose, il n’avait pas pu la laisser tenir certains propos. Les derniers événements familiaux ayant poussé Blear à critiquer ses enfants, pris entre deux feux, il avait tenté de batailler contre cette femme qu’il respectait plus que tout au monde :

  • Écoute, je comprends que tu sois en colère contre eux et que leur réaction… te fasse du mal, avait-il essayé une énième fois de la calmer ce matin-là. Mais je pense qu’il faut aussi que tu les comprennes. Tu les connais… Bien sûr que ça les a touchés, ils ne veulent juste pas le montrer et puis, ça a été soudain. Laisse leur du temps et à toi aussi. Si c'est trop difficile pour toi de les confronter ce week-end...
  • Alors je suis censée faire quoi ? Partir de chez moi ? Qu'ils retournent à l'internat, dans ce cas.
  • Je ne peux pas te laisser avoir ce discours. Ce sont nos enfants…
  • Certes. Mais pourquoi serait-ce à moi de partir ? Ils me… brisent le cœur… et je dois encore m'en aller de ma propre maison ? On me chasse… avait-elle rétorqué, la main plantée sur sa poitrine.
  • Je ne te chasse pas, avait-il répondu d'un ton ferme. Ici, j’essaye de te conseiller parce que je constate que c’est vraiment difficile pour toi. Tout ce que je propose, c'est que tu te changes les idées. Tu as besoin de prendre du recul. Qu’est-ce que tu penses que j’ai fait toute cette semaine à l’hôtel ?

Blear avait laissé échapper un immense soupir avant de venir appuyer ses doigts sur ses tempes.

  • … Je ne sais plus où j’en suis… lâcha-t-elle, la voix énervée.
  • Raison de plus. C’est pour ça que tu dois t’aérer l’esprit, sortir un peu de la maison…
  • Et je sors avec qui, hein ?! J’ai une tête à avoir des copines, moi ??
  • Blear…
  • … Tu le sais mieux que moi ! Je n’ai aucune amie !

***

Faux. Blear Makes avait bel et bien des amies. Cela faisait simplement longtemps qu’elle ne les avait plus contactées. Après avoir enfilé un jean qui traînait depuis des années dans son dressing, ainsi qu’une paire de bottes et un chemisier, Blear descendit dans le salon. Charles la regarda passer comme une fusée dans la maison, obnubilé par sa chevelure qui rebondissait en même temps qu’elle faisait des allers-retours.

  • Vous cherchez quelque chose… ? osa-t-il demander, les bras croisés dans son dos.

Elle le foudroya sur place.

  • Mon té-lé-phone, articula-t-elle, les nerfs à vif.
  • Je l’ai remis dans votre sac, qui est… dans votre bureau… eut-il à peine le temps de finir sa phrase qu’elle s’y rua. Eh bien, laissa-t-il échapper en haussant ses épais sourcils.

Pas de quartier. En trouvant son sac à main, Blear le retourna sur la table. Une fois l’objet en main, elle jeta sa crinière derrière son épaule d’un grand mouvement de tête et fouilla à l’intérieur. Elle n’y trouva pas ce qu’elle souhaitait. Insatisfaite, elle claqua sa langue sur son palais et se laissa tomber sur sa chaise, puis attrapa son clavier d’ordinateur. Tapant dessus à toute vitesse, elle n’entendit pas John-Eric la rejoindre.

  • Qu’est ce qui se passe ? l’interrogea-t-il, plus inquiet que jamais après ses pleurs du matin.

D'un mouvement vif, elle le fit taire. Elle déposa son index sur ses lèvres en amenant le téléphone à son oreille. De loin, lorsque ce dernier entendit un incessant “bip” se répéter, il se demanda bien qui elle pouvait appeler.

Blear dut s’y prendre à plusieurs fois pour que la personne à l’autre bout du fil décroche :

  • Oui… bonjour ?
  • Katerina… C’est Blear, annonça-t-elle d’un ton timide.

Un étrange silence s'ensuivit. Elle devina la surprise de sa vieille amie.

  • … Blear… Ah, je… excuse-moi… Je suis juste étonnée que tu m’appelles…
  • Je ne te dérange pas ? s’assura-t-elle.
  • … Hum… Non, dis-moi ?
  • Tu es certaine ? demanda-t-elle ayant le sentiment de la déranger.

Lorsque celle-ci insista pour qu’elle lui raconte, Blear se lança :

  • En fait, en ce moment… débuta-t-elle. Comment dire… Personne n’est encore au courant, sauf la famille, mais… Je vais divorcer de John et j’aurai voulu… en parler avec quelqu’un qui a vécu la même chose… Est-ce que tu serais d’accord que l’on partage un café ensemble pour en parler ? Ou que l’on se rejoigne quelque part ? J’aurai besoin de quelques conseils… Je pense.

À cette demande qui venait pourtant du cœur, alors que Blear n’appréciait guère de quémander de l’aide, cette dernière ne reçut aucune réponse.

  • … Peut-être que c’est déplacé ? se ravisa-t-elle, gênée.
  • Non. Je réfléchissais. Donne-moi deux secondes.

Bien que cette réponse lui indiqua qu’elle était ouverte à cette proposition, elle fut mal à l’aise de son manque de réaction. En l’annonçant, elle aurait pensé que Katerina aurait eu de l’empathie. À la place, elle trouva le silence, puis quelques chuchotements qui lui firent regretter son appel. Elle n’aurait peut-être pas dû…

  • Pardon ?!! Fait-là venir ici tout de suite !! entendit-elle subitement une voix stridente s’exclamer en arrière-plan.
  • Pas la peine de hurler ! s’écria Katerina avant de se manifester à nouveau. Blear ? Excuse-moi, en fait, je ne suis pas chez moi. Je suis chez Marry…
  • Dis-lui de venir où c’est nous qui débarquons !
  • C’est ce que je suis en train de faire, laisse-lui au moins le temps de répondre…
  • Blear, tu n’as pas le choix ! lui cria Marry dans le micro.
  • Tu veux bien me laisser lui parler !!

Le tumulte qu’elle entendit au téléphone laissa deviner à Blear que les deux femmes se bagarraient gentiment. À son bureau, très calme, elle imagina bien Marry se ruer contre Katerina pour essayer de lui piquer sa place, comme durant leurs disputes d’antan. Elle esquissa un léger sourire, le regard plein de nostalgie, sans même se soucier de la raison qui les avaient réunies, parce qu’elle serait bientôt des leurs :

  • Kat… ? Katerina, tu m’entends ?
  • Oui ? répondit-elle, légèrement essoufflée.
  • Envoie-moi l’adresse exacte par sms et dis-lui que j’arrive.
  • … Parfait. À tout à l’heure.

Cette fois, Blear entendit à sa voix qu’elle était heureuse de la savoir en route. L’idée de revoir ses copines eut l’effet immédiat de l’apaiser. Elle était maintenant pressée de s’y rendre, car la dernière fois qu’elle les avait vues, ce fut pour leur grande réunion de Richess. En ce jour, elle aurait le temps de discuter avec Katerina et Marry.

  • Alors, que fais-tu ? la sortie John de ses pensées, les mains à plat sur le bureau.

Dès lors honteuse du comportement qu’elle avait eu envers lui, Blear se leva tout de même assez déterminée :

  • Je vais rejoindre les personnes que l’on m’a toujours interdit de côtoyer… répondit-elle, fièrement. Quoi ? Tu m’as bien conseillé de prendre l’air ? Eh bien, voilà, déclara-t-elle en lui trouvant un rictus.
  • Oh, mais je n’ai rien dit, lâcha-t-il en levant ses deux mains pour se dédouaner de toute chose.

***

Dans sa chambre familiale, Loyd avait récemment fait l’acquisition d’un immense bureau. Ce dernier ne touchait pas le mur, de manière à ce que depuis sa chaise, il puisse parfaitement accéder au meuble qui y était accroché : une longue étagère s’étendant à l’horizontale et séparées en plusieurs cases.

Son esprit logique l’avait obligé à réfléchir à la meilleure disposition de son espace de travail afin d’être le plus productif possible. Ainsi donc, dans la première case, il avait disposé ses classeurs de l’année scolaire précédente et dans la deuxième, à hauteur de son champ de vision, ceux de cette nouvelle année. Juste à côté, il avait entassé les nombreux projets auxquels sa famille participait, ainsi que ses propres inventions, comme des archives à absolument garder. La dernière case, tout à sa droite, comportait des ouvrages de juridictions et au-dessus du long meuble s’empilait des livres sociologiques et philosophiques. Les tiroirs de son bureau en étaient également truffés.

Sur sa table-même, il avait installé deux casiers de rangements où il glissait les papiers et dossiers qui l’occupaient dans un temps proche.

Très tôt dans la matinée, après une bonne douche, Loyd y était penché, des documents éparpillés sous son regard. Assis confortablement sur sa chaise en cuir, un pied glissé sous son postérieur, ce dernier étudiait pour la énième fois le fonctionnement de son pays. Dans la constitution, qui en explicitait l’organisation, un passage l’avait renvoyé à la charte à laquelle étaient tenus les Richess. Il s’agissait d’un ancien document, survivant aux siècles et de l’ancienne noblesse. Loyd avait aussi épluché l’historique de leurs familles, espérant y trouver un quelconque faux pas, une amourette entre Richess, ainsi que la potentielle envie d’un des membres de changer les lois, mais il n’y trouva rien. Il devina quand même que si scandale il y avait eu, ceux-ci avaient sûrement été gentiment effacés.

Depuis des générations, les sept familles se voyaient obligées de respecter les lois inscrites dans cette charte dans le but de préserver la richesse du pays. Si la population les honorait pour cette tâche centrale, ils n’étaient en fait rien d’autre que des sacrifices, et si à l’époque, leurs rôles avait un sens, Loyd jugeait qu’ils n’en avaient plus dans leur société actuelle. Il fut d’ailleurs outré qu’ils durent attendre le vingt-et-unième siècle pour que la loi encadrant la naissance des héritiers soit changée.

Cette première bataille fut gagnée par l’avant-dernière génération : de dix-sept ans pour enfanter, ils étaient passés à vingt-ans. Sa mère en avait donc fait partie. En juridiction, puisqu’à l’époque la majorité sexuelle équivalait à dix-huit ans, le conseil s’était vu obligé d'accéder à cette demande pour des raisons éthiques. Quant au délai de deux ans, il s’agissait d’une marche de manœuvre pour laisser aux Richess l’opportunité de faire des études supérieures.

Parmi ces lois, il était très clairement inscrit que les héritiers des familles ne pouvaient se marier entre eux. Loyd y voyait une première faille. Ils pouvaient donc être ensemble. Mais ils devaient se marier et produire un enfant avec un prétendant qui apporterait richesse à la famille. Donc, il y avait quand même la contrainte du mariage. Sa question principale résidait à savoir comment sa mère comptait briser cette loi, tout en sachant qu’accèder à la tête de la Suisse lui prendrait un temps fou.

Comment allait-elle s’y prendre ? Puisque la Suisse s’étendait en plusieurs morceaux, appelés “cantons” et chacun gouverné par ses propres ministres, il lui paraissait logique qu’elle devait d’abord conquérir celui dans lequel ils habitaient, c’est-à-dire celui de Genève. La première étape était donc de devenir en quelque sorte la porte-parole de ce canton afin de pouvoir atteindre l’étage supérieur.

Pourtant doué en politique, Loyd avait conscience que de nombreux éléments le dépassaient, mais il avait décidé de s’investir aux côtés de sa mère. Avec plusieurs questions en tête, il quitta sa chambre et traversa les couloirs jusqu’à celle d’Eglantine, à pieds nus. Il aimait particulièrement sentir le carrelage sur sa peau, ayant l’impression de faire corps avec la terre. Dans sa demeure lumineuse, Loyd ressemblait à un prince plein de bonnes volontés. Il s’immisça directement dans la chambre de sa mère quand il vit que la porte était ouverte :

  • Maman… l’interpella-t-il doucement.

Celle-ci ne l’entendant pas la première fois, il l’observa se dandiner joyeusement dans une longue robe. Elle chantonnait, en train de décorer ses oreilles de jolies boucles devant le miroir de sa coiffeuse. Tous ses meubles étaient fait en bois de chêne blanc. Eglantine s’y fondait particulièrement bien. Quand elle se tourna, il la trouva pomponnée subtilement.

Elle rayonnait :

  • Oh, chéri ! Tu étais là, gloussa-t-elle un peu gênée. Tu veux me demander quelque chose ? devina-t-elle aux documents qu’il avait emporté avec lui.

À la voir aussi heureuse, une idée désagréable naquit dans sa tête. Embêté, il lui partagea tout de même :

  • Oui, mais… ça peut attendre. Tu t’en vas ? Tu vas… “le” voir ? l’interrogea-t-il rapidement, Eglantine ayant à peine le temps d’acquiescer.

D’un regard curieux, elle s’arrêta de gigoter et comprit où il voulait en venir. D'une expression coupable, elle secoua alors la tête pour le rassurer, sa chevelure flottant le long de son corps. Mais Loyd resta dubitatif, car il avait constaté qu’elle lâchait toujours ses cheveux quand elle allait voir Michael en cachette. Ça, elle n’avait jamais eu besoin de lui avouer, pour qu’il le comprenne. Elle insista, une esquisse douce aux lèvres :

  • Non, mon lapin, dit-elle en embarquant son sac à main jusque-là abandonné sur son grand lit, puis en l’invitant à quitter sa chambre. Aujourd’hui, je vais voir mes copines ! s’exclama-t-elle, ne contrôlant qu’à moitié son excitation.
  • Tes copines… ?

Tout en poursuivant leur chemin dans la maison, Eglantine ne pouvait s’empêcher de sautiller légèrement dans sa démarche et de lâcher des petits rires. Ses grands yeux bleus étaient remplis d’étoiles :

  • Mes copines d’adolescence… Tu sais, les “Richess”, chuchota-t-elle en lui lançant un clin d'œil avant de faire un petit tour sur elle-même et embarquer ses affaires pour partir. Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer. À tout à l’heure, mon ange, l’embrassa-t-elle ensuite, une main déposée sous son menton.

Une main sur les côtes, Loyd la regarda s’en aller d’un air trépidant, son âme d’enfant l’emportant ailleurs. Lui aussi laissa échapper un pouffement. Voir sa mère aussi guillerette lui mettait du baume au cœur.

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