Chapitre 53 : Le septième ciel.

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Le ciel lui était tombé sur la tête. Cette expression prit tout son sens au plafond qui s'était abattu sur la raison de Blear. Celui des Makes n’étant pas des moindres, elle n’eut pas le temps d’esquiver la chute. L’éboulement l’avait entraîné de force, ailleurs. Dans un endroit où plus aucun objet n'eut porté de couleurs. Si loin que le sol s’était dérobé sous ses pieds. Dans des profondeurs qui avaient dépassé l’obscurité. Autour de Blear, lilliputienne, des murs colossaux, tapissés de vide, avaient chuté en quatre, à la manière dont l’on décortiquerait une boîte. Ils laissèrent place à une vaste étendue lumineuse. Plus rien d’autre n’existait ou n’avait d’importance. Tout avait disparu.

Tout, sauf lui.

Sa silhouette ne lui était jamais apparue aussi nette, tache noir au milieu du tableau. Elle l’observa, longuement : sombre et démolie. Il n’avait plus de face. Plus que l’audace d’amener la pluie dans son néant. Celui-ci vrombit. Les parois se mettant à onduler, menaçantes. Dilatées, elles se réprimèrent, se rapprochèrent les unes des autres avec la ferveur d’irradier jusqu’à la dernière miette de vie. Avant de le voir disparaître, Blear lui éclata le nez, ajoutant du rouge à la toile.

***

Enroulée dans son peignoir, Blear pleurait, assise sur le bord de son lit. Elle ruminait, les cheveux trempés, des gouttes s’écrasant dans son dos. Celles aux bords de ses cils finirent par sécher avec les coups de chaud qu’elle envoya dans sa chevelure. Face au miroir, elle se trouva en piteux état, les yeux bouffis, rougis, d’être partie en éclat.

Elle l’avait abandonné en bas, cédant une bonne fois à la colère. Les mots de Dossan en tête, elle s’agita à nouveau : “Je culpabilise de l’avoir fait, parce qu’à cause de ça, Alicia est morte, mais je regrette tout simplement, vis-à-vis de toi.”

Blear avait craqué, ayant la sensation de cracher sur une défunte. Elle aurait voulu qu’il la cite en première. Tout le reste pouvait attendre derrière ses excuses. De plus belle, elle atterrit sur le matelas où elle récolta ses morceaux, le cœur saigné, piétiné, balancé à la mer. Elle n’aurait jamais cru qu’ils en arriveraient là. Que ce serait dans ses bras que Dossan aurait trouvé réconfort, mais finalement, elle y voyait une certaine logique. Voilà que son côté terre-à-terre la rattrapait.

Il avait prétendu, que lui non plus, ne s’y était pas attendu. Rien n’avait été calculé. Deux personnes en souffrance firent la fête un soir et les choses - Non, elles n’avaient pas dérapées - simplement, cela était arrivé. Cela la répugnait. Comme des abats dans une poêle, ses tripes se retournaient à chaque fois qu’elle les imaginait coucher ensemble. Elle ruminait, verte : ce plaisir-là, elle n’y avait eu droit qu’une seule fois.

Penser à la scène de crime qui avait suivi la rendait également malade. Malade à cause d’un mélange, à ne pas reproduire chez soi, entre la satisfaction et la honte. Blear serra les pans de sa robe de nuit quand elle versa d’autres larmes, coupable de la préférer morte. “Bien fait pour elle”, cela lui avait frappé mille fois l’esprit. Autant de fois qu’il lui fallut le courage pour s’aventurer à nouveau au rez-de-chaussée.

Une heure plus tôt, elle avait planté Dossan dans son salon en lui ordonnant de foutre le camp. Avec une telle énergie qu’il avait certainement dû s'exécuter. Elle s’était ensuite enfoncée sous la douche, avec l’espoir de se laver de toute saleté. Frénétiquement. Elle s’était frottée au point que sa peau la brûle, noyant sa peine dans des cris sourds. Vu son ton obligeant, Dossan avait dû déguerpir, et bien vite. Après tout, il n’avait attendu que ça. Dès son entrée dans la maison, il lui avait pondu toutes les excuses possibles pour ne pas qu’ils se revoient, Alicia étant la dernière en date.

Pourquoi serait-il resté ?

***

“Pourquoi ?” ; Assise sur le canapé, Blear avait interrogé l’homme à ses côtés, sans intention réelle de découvrir la réponse. Une autre question l’écorchait sans cesse : comment arriverait-elle à lui pardonner ?

L’idée s’évanouissait aussi vite que son envie de s’éloigner s’élevait. Avec savoir-vivre, ses paupières se mouvant telles les ailes d’un papillon emprisonné, la Richess s’envola de sa place. Jamais, elle ne s’était sentie aussi pauvre qu’à cet instant, suffoquant sous son masque glacial.

  • Réponds.

Un court temps, elle apprécia le trouver en mauvaise posture, une pointe de pitié la traversant ensuite quand il attrapa son visage sous sa chevelure noire. Qu’il s’en veuille, seulement. L’agacement la travailla au corps à la réponse qui se fit attendre. Elle recroquevilla ses doigts sur le bord du meuble dans son dos, entre chandeliers et pots de fleurs.

Les mains aplaties au niveau de ses lèvres, Dossa se lança :

  • Je ne suis… essaya-t-il.
  • Tu as donc une langue.

Elle espérait le voir souffrir sous la sienne, mais n'éprouva aucun plaisir de le voir se plier à l’interrogatoire.

  • Je ne suis pas sûr de comment je devrais te répondre, avoua-t-il enfin, déglutissant. Il n’y a pas réellement… de raison valable.

À l’intérieur, Blear gronda. Elle s’en aurait explosé les mâchoires, retenant la marée qui grimpait à ses trop jolis yeux. S’estimant plus forte que cela, un pli se forma le long de l’arête de son nez.

D’un mouvement de tête, elle envoya sa chevelure en arrière et croisa les bras :

  • Je ne savais pas qu’il existait des raisons valables pour coucher avec une amie, mais si tu es du genre à te lancer sur un coup de tête…
  • Ce n’est pas…

Il se retint, laissant place à un applaudissement.

  • Tu peux être fier de toi ! C’était quand ? Quand on était ensemble, peut-être ? s’agita-t-elle de plus en plus.
  • Non.
  • Alors, quand !?

Le besoin de savoir devint irrépressible.

  • Non, je comprends, s’empressa-t-elle de parler à sa place. Tu préfères le garder pour toi. Tu as raison, ça vaut mieux…
  • C’était… - il capta son attention - … quelques semaines avant que…

La poitrine bombée, Blear se tut à son tour, devinant la suite à contre-cœur.

Comme si cela excusait tout.

  • Avant qu’elle ne meure.

Dossan se mit à grignoter son pouce. Que croyait-il ? Le décès d’Alicia l’avait autant touché que leurs amis, quand bien même leur drôle de relation, mais ensuite ?

  • Tu penses que ça change quelque chose ?
  • Absolument pas, répondit-il durement.
  • Alors, quoi ? le prit-elle de haut. Tu cherches à m’attendrir parce qu’elle est décédée juste…

Blear réfléchit. Son regard chercha celui de Dossan qui le garda scotché au sol, les lèvres retroussées.

  • Elle est décédée juste après, chuchota-t-elle, le regard nébuleux.

Il y avait tellement de choses que cette dernière ignorait, mais elle en devina une infime partie. En silence, Dossan acquiesça péniblement. Ils avaient couché ensemble. Les regrets instantanés les poussèrent à garder ce secret, mais ils ne le tinrent pas longtemps. Dossan s’était rendu chez Alicia avec l’espoir de pouvoir en reparler, trop coupable vis-à-vis de son ami. Sauf qu’en arrivant, il entrevit ce dernier par la fenêtre, un couteau à la main. Kimi à terre, il passa par la porte arrière afin de le prendre par surprise et le maîtrisa, constatant les dégâts qu’il avait déjà laissés derrière lui : la petite éventrée et du sang s’écoulant de la gorge d’Alicia. Au regard que Louis lui lança, il sut. Elle lui avait avoué et il était devenu dingue.

Sans retenue, l’envie n’y étant pourtant pas, il lui flanqua un coup assez brutal pour qu’il ne fasse plus de vagues. La famille évanouie, Dossan appela les secours. Kimi avait survécu. Pas Alicia. Louis finit incarcéré dans une cellule psychiatrique. Cette dernière partie de l’histoire, Blear la connaissait. Les détails, il lui raconterait plus tard, si elle en lui laissait l’occasion, conscient qu'aucun amoindrirait l’acte qu’il y avait eu avant.

  • Je suis désolé, dit-il, d’un ton peu fier.
  • C’est tout ce que tu as à dire ?

Cela aurait été trop simple de justifier leur coucherie par le fait qu’ils traversaient tous les deux une très mauvaise passe. La bougeotte s’attaqua à ses jambes. Il se leva, se dégourdit, les doigts rameutés dans ses paumes, et se plaça ensuite contre un meuble à l’opposé de Blear. Il aurait souhaité se complaire en explications, mais le cap avait été franchi. Ce soir-là, il s’était bourré la gueule pour oublier sa solitude et il avait trouvé une place confortable là où il ne l’aurait pas dû. Sans attaches, sans réelle envie, une erreur qui lui aura coûté, mais moins qu’à sa partenaire.

  • Tu te remémores les bons souvenirs ? le piqua Blear, froissée par son manque de réaction.

Cela lui fit mal.

  • Ce n’est pas un bon souvenir.
  • Parce qu’elle est morte ?
  • Non. Ça n'a jamais été un bon souvenir, déclara-t-il en bravant son regard, sûr de lui. Je sais que ce n’est pas crédible et que tu ne me croiras pas, mais à aucun moment… Je n’avais imaginé qu’on en arriverait là et à aucun moment, ça ne m’a plut. C’est pour ça que je crois qu’il n’y a rien que je puisse te dire qui te rassurerait. À part que… Je m’en veux. Je regrette. Tellement d’avoir…

Blear plissa les yeux. Elle aimait l"entendre, mais comment pouvait-elle le croire ?

  • Jusqu’à la dernière seconde…
  • Vraiment ? le coupa-t-elle, resserrant ses bras, le nez en l’air. Mais c’est chose faite. Alors, pourquoi, hein ? Dis-moi pourquoi, Dossan !

Le chandelier dans son dos atterrit dans sa main. Il perdit sa bougie, coincée dans la deuxième. Ça y est, elle avait perdu patience, alors qu’elle ne perdait jamais le contrôle. La respiration forte, elle essayait encore, mais tout chez elle inspirait l’explosion.

  • À quoi ça te sert de me dire que tu n’y croyais pas ?? Tu l’as quand même fait !
  • … C’est… C’est vrai, confirma-t-il, écrasé. Mais je…
  • Mais quoi ? Vas-y dis-moi, le défia-t-elle avec la bougie, menaçante depuis sa place. Ose me dire comment tu… as pu…

Une fois que les larmes débouleraient, ce serait trop tard. Blear le savait. Elle n’arrivait plus à garder la face. Appuyée au meuble, sa tête dodelina. Elle n’arriva plus à se retenir. Les sanglots qui percèrent ses poumons obligèrent Dossan à baisser la sienne.

  • Comment tu as pu faire ça… C’est horrible. Comment tu as pu !!! hurla-t-elle, tel un spectre, le visage déformé par la colère.
  • … Je suis…
  • Je m’en contrefiche ! Tu peux pleurer ! cria-t-elle en serrant sa bougie. Tu peux me dire que tu es désolé, ça ne changera rien ! Mais alors rien, au fait que tu as couché avec Alicia ! Avec Alicia, tu te rends compte ?! s’affola-t-elle. De toutes les personnes avec qui tu pouvais coucher, tu ne pouvais pas te choisir une autre fille !
  • C’était la personne dont j’étais le plus proche à ce moment, dit-il, tel un enfant, une larme roulant sur sa joue.
  • Je ne veux pas savoir à quel point vous étiez proches !!!
  • Tu me l’as demandé…
  • Je m’en fiche !!

Dossan se replia. Il ne pouvait que faire en fonction de Blear. En fonction de ses questions, de ses rejets, de sa peine, … Cette dernière enfonçait ses ongles dans la cire, effectuant les cent pas. Morte de jalousie, la colère moussait.

  • Et alors… C’était bon ?

Il tomba des nues.

  • Arrête… souffla-t-il à peine, torturé.
  • Tiens, tu ne veux pas me le dire ?
  • Arrête Blear !
  • Réponds-moi !
  • Non, je ne veux pas te répondre !
  • C’est que c’était…
  • Ça ne l’était pas ! se fâcha-t-il, décollant de son meuble à lui.

Offusquée, Blear le regarda ahurie, avant de se bouffer les lèvres.

  • Tu oses me crier dessus ? dit-elle d’un ton faible, le visage barbouillé de larmes et de haine.
  • Parce que tu cries aussi.
  • Bien sûr que je crie, il ne manquerait plus que ça ! Tu m’as trompée !!

Tout de suite, elle prit conscience de ses propos. Le regard rond, Dossan se décomposa. Ce n’était pas vrai. Il ne l’avait pas trompée, mais même lu pensa que c’était tout comme. Blear ravala ses sanglots, les bafouilla, en cascade. D’un geste prompt, elle refixa le chandelier. Tout était flou, mais principalement sa vision.

  • Va-t'en… murmura-t-elle.. Va-t’en d’ici ! Tu m’entends ?! lui cria-t-elle. Je ne veux plus te voir !! Plus jamais… Je…

L’envie de fuir la prit à la gorge, mais fuir de chez soi… D’une traite, elle emprunta l’escalier qui menait à l’étage.

  • Si tu es encore là quand je redescends, je te préviens…

En entendant Dossan l’appeler, elle hurla par-dessus le balcon :

  • Fous le camp !!!

***

Blear ouvrit l'épaisse porte en bois sculptée avec moins de violence qu’elle ne l’avait précédemment fait. Juste assez pour marquer sa présence. La nervosité s’empara de toute sa poitrine. Il ne devait plus être là. Certaine, elle décida d’avancer d’un pas confiant.

Depuis le palier, elle obtient une vision globale sur le salon : il était bel et bien parti. Ça lui fit tellement mal, mais une seconde seulement. Elle vit sa tignasse emmêlée dépasser de l’accoudoir. Recroquevillé au sol derrière celui-ci, Dossan tourna légèrement la tête, les yeux dans le même état que les siens. Derrière l’obscurité qui s’en dégageait, ses prunelles étaient perlées de lumière. Quand celles-ci la détaillèrent, Blear descendit les escaliers, d’un air pincé, sa main glissant le long de la rampe et traversa le salon, c’est dire sur la pointe des pieds, tellement elle ressentit le besoin de se pavaner, de se faire plus grande.

  • … Je ne t’avais pas demandé de partir ? siffla-t-elle, tel un vent d’hiver.

La porte à battant de la cuisine se balança après son passage. Dossan replongea sa tête entre ses bras, y jetant un souffle désespéré. En tâtant le carrelage de ses orteils, Blear se rendit compte qu’elle n’avait rien à faire dans cette pièce, ne ressentant aucune faim. Sauf peut-être celle d’en découdre. Pour dire, elle se remplit un verre d’eau et se planta devant la porte de la cuisine, mais du côté salon. Tout en sirotant sa boisson, peu impressionnante, comparé à l’air qui se dégageait de son visage, elle toisa Dossan.

Ce dernier fit de même, sans aucune amertume, depuis sa place. Blear s’agaça de le trouver désolé. Encore, elle rumina, fit tourner l’eau dans son verre, comme elle avait l’impression de se faire tourner en bourrique.

  • Est-ce qu’on peut parler ? demanda Dossan, d’un ton qui souhaitait la paix.
  • Tu veux dire… débuta-t-elle. Comme des personnes civilisées ?

Il soupira légèrement lorsqu’il se releva. Debout, Blear déglutit. Il était bien plus proche que durant la première partie du combat. Ses narines se gonflèrent. Elle ne se connaissait pas une telle fierté. Quelque chose l’empêchait de redescendre en pression. Elle continuait à bouillonner. Sans le regarder, elle prit une gorgée, puis se racla la gorge.

  • Vas-y, je t’en prie.

Dossan manquait de mots. C’était bien un homme. Pourtant, il s’agissait de l’une de ses qualités, mais face à Blear, après ce qu’il avait commis, il n’y aurait que les actes qui fonctionneraient. Le souci étant qu’il n’arrivait pas à aligner un pas vers elle.

Elle l’impressionnait.

  • Euh… Excuse-moi, lâcha-t-il, confus, en se grattant l’arrière de la tête. Maintenant que c’est calme, je me sens… Un peu perdu, pour être honnête.
  • Tu ne sais pas quoi dire ? lui lança-t-elle en retour, entamant une ronde vers l'autre moitié du salon, la longueur du fauteuil les séparant dès lors. Dans ce cas, réponds à mes questions.

Cette partie du jeu fut celle que Dossan craignait le plus. Le regard de Blear avait changé du tout au tout , brûlant.

  • C’était bon ? le défia-t-elle.

Pourquoi était-ce si important ?

  • … Si tu parles de l’acte en lui-même, dit-il en clignant des yeux. Si je suis honnête… Oui. J’ai voulu occulter cette partie-là pour te dire, car tout le reste n’a été que… regrets et douleurs.

Tendue, Blear se tordit les doigts.

Elle acquiesça, digérant les propres tortures qu’elle s’infligeait.

  • Tu n’as pas couché avec elle parce que… Tu l’aimes ?

Dossan eut carrément un rire nerveux tellement ça lui parut évident.

Quelle question.

  • Bien sûr que non. Tu sais bien que… non ? la questionna-t-il à son tour.
  • Je ne sais pas, répondit-elle en le foudroyant sur place. Depuis que tu es arrivé ici, tu m’as sorti tellement d’excuses…
  • C’est parce que je…
  • Tu t’es senti obligé, je comprends.

En rien. Il fronça les sourcils.

  • Pour ne pas trop me blesser avant de me sortir l’excuse parmi les excuses…
  • Blear, de quoi est-ce que tu parles ?
  • Ce n’était pas des excuses peut-être quand tu as mis nos enfants sur le tapis tout à l’heure ?
  • … Si, c’est vrai… mais quel est le rapport avec…

La façade tomba à nouveau, ses épaules avec, ainsi que sa fierté et le volume de sa voix.

  • Pourquoi est-ce tu t’es senti obligé de me le dire ?
  • J’aurais dû te le cacher… ?

Blear aurait aimé répondre par l'affirmative, mais cela revenait à mentir. Silencieusement, les larmes ne cessaient plus. Elle tenta de les essuyer, mais il n’en tombait que plus. Le dos tourné, elle gémit.

  • Tu ne te rends même pas compte à quel point… ça fait mal !

Si. Il s’en rendait compte et c’était exactement la raison pour laquelle il avait gardé ce secret aussi longtemps.

  • Je ne pouvais pas te mentir droit dans les yeux.
  • À quoi bon ?? lui fit-elle face, démolie par la peine. Pour que tu me sortes une excuse pareille ?!

Mais quelle excuse ?

  • Alors que je voulais juste… Je voulais juste qu’on… recommence quelque chose…
  • Blear, se reprit-il, ce n’est pas une excuse.
  • Si, ça en est une ! Si ! insista-t-elle face à son air béat. Sinon, tu n’agirais pas comme ça !

Pointé du doigt, il déposa ses deux mains sur son torse.

  • À me dire que tu ne sais pas comment t’excuser, que quoi tu diras, ça ne changera rien. Mais elle est morte, Dossan ! Si elle est morte, pourquoi tu… ! Et même si elle était vivante ! Si tu étais vraiment désolé, tu ne dirais pas ce genre de chose et ça prouve bien que tu… que tu ne m’aimes pas.

Il n’en revint pas. Qu’est-ce qu’elle disait, déjà ? Le plafond tomba sur la tête de Dossan. Le monde autour de lui devint blanc. Lui, il ne l’aimait pas ? Cette femme-là ? Dont le cœur hurlait contre lui, le corps saignant de larmes. Il ne l’aimait pas ? Son faciès se déforma autant que celui de Blear qui de désespoir regardait le ciel inexistant. Lui, par une incompréhension douloureuse, elle, par la déception de voir tous ses espoirs s'effondrer.

  • J’ai attendu ce moment… toute ma vie ! Et quand il vient enfin, quand tu es enfin devant moi, ce n’est même pas pour me dire que tu m’aimes !

Elle toussa, une main portée à la gorge, le visage rouge vif d’être trop plissé et sa voix s’écorchant. L’impression qu’elle allait mourir, elle remonta son regard dans le sien. Pourquoi est-ce qu’il ne réagissait pas ? Une rage la prit au corps.

  • Dis-moi que tu m’aimes, bon sang !!!!!

Aux pied de Dossan, atterit tout juste un des coussins du canapé. Touché, il devint aussi léger qu'une plume.

  • J’ai attendu ça… bredouilla-t-elle en se laissant aller. Toute ma…

Il atterrit devant Blear. Ah. Les papillons. Ils s'envolèrent jusqu’au plafond. La bouche de Dossan mêlée à la sienne, elle perdit le contrôle de ses jambes, de sa tête, de son esprit, électrisée. Son visage attrapé entre ses mains, il l’embrassa dans l’urgence. L’urgence de la tenir, enfin. De caresser ses mâchoires avec ses pouces, de sentir ses lèvres, de les prendre entre les siennes. Il prit une profonde inspiration en s’en détachant, retrouvant son parfum léger. Transcendée, et pliée sous la surprise, Blear se sentit monter dans d’autres contrées. Elle appuya sur la pointe de ses pieds, n’attendant que leurs regards se croisent qu’une seule seconde. Extatique. Ce fut ainsi que Dossan se sentit quand il réceptionna son corps, qu’il sentit ses bras s’enrouler autour de son cou. Il ne s’était jamais connu une telle envie de possession, la poigne dans ses cheveux se resserrant. Même la crainte de la brusquer ne lui traversa pas l’esprit vu la ferveur avec laquelle elle répondait à ses baisers. Elle le poussait. Il fit de même, la bloquant contre le canapé. Quelle frénésie. Il mourait d’envie de la dévorer, calant ses hanches entre ses jambes quand il la plaça sur le dossier. Tout fonctionnait. Ses mains sur son torse, sur son ventre qui gondolait à l’avance. La passion avec laquelle elle le recevait. Tout l’emmenait à cette extase de la retrouver tant d’années après l’avoir imaginé en boucle. Au septième ciel.

  • Non…

Frôlant à nouveau ses lèvres, il serra gentiment une de ses épaules pour l’écarter et se retint de lui croquer l’oreille.

  • Non, Blear… Arrêtons…

Elle répondit en se collant plus. En s’accrochant.

  • Pourquoi… ? Tu ne veux pas… ? Parce que tu ne m’ai…
  • Si, la stoppa-t-il, totalement. Si, justement, c’est parce que je…

Toujours entre ses cuisses, le torse débraillé, il abaissa les yeux, quand il s’accapara de chacune de ses mains. C’était difficile. Si difficile d’avouer une nouvelle fois ces sentiments. Blear, fébrile, attendait. Elle tremblait, d’adrénaline, d’impatience, de peur… Elle ne lui avait jamais vu un visage aussi sérieux, aussi séduisant, quand il réunit son courage pour conquérir son regard.

  • C’est parce que je t’aime.

Le chuchotement la fit frissonner entièrement. Sa voix était si douce, mais grave de sens. Il posa son front contre le sien.

  • Je veux bien faire les choses, parce que je tiens à toi. Je te chéris plus que quiconque, dit-il en y glissant un baiser. Et je rêverai de continuer, mais… Pas aujourd’hui. Pas comme ça. Pas quand je t’ai fait aussi mal, là…

Un doigt déposé au milieu de sa poitrine, il ferma les yeux en sentant les larmes lui venir. Blear eut un hoquet, l’émotion la gagnant. Elle emprisonna Dossan à la force de ses jambes, ce à quoi il répondit en l’attrapant dans ses bras. Il l’étreignit fort avant de réclamer d’autres baisers. Réclamation acceptée. Elle se sentait partir, non pas dans les cieux, mais au moins, il était bien là.

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