chapitre 35

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Une incohérence précise, parmi les autres, tracassait Adelina alors qu’elle revenait dans le salon :

— Vincent, à quelle heure t’ont-ils appelé pour venir la chercher ?

— Je ne sais plus… je me préparais à aller me coucher : je dirais vers vingt-deux, vingt-trois heures. Je n’ai pas compris tout de suite qui c’était. Ils ont trouvé mon numéro dans son calepin.

Le menton pointa encore sa soeur.

— J’ignorais qu’elle l’avait.

— Je n’ai jamais eu ton numéro de téléphone, murmura Évelyne en réponse.

— Elizabeth, coupa Adelina, à quelle heure a été constaté le décès ?

Celle-ci reprit le formulaire, posé sur les genoux d'Evelyne :

— Attendez… À six heures vingt-cinq du matin, par le docteur Mouton.

— C’est mon docteur, remarqua à nouveau Évelyne.

Elle ponctuait la conversation, comme elle se serait rattrapée à des aspérités pour ne pas glisser sur une paroi trop lisse. Ade comprit qu'elle n'en intégrait pas les enjeux. Vincent, par contre, avait saisi le sens de ses questions. Il précisa :

— J'étais reparti à cette heure-là. Je n’ai pas croisé de médecin sur place, je suis formel. Rien n’avait été fait pour Évelyne. Ils ne l’avaient même pas nettoyée.

Adelina fusilla Vincent du regard, alors qu’elle préparait sa question suivante. Mais il n’y avait pas de bonne façon de l'amener. Elle se pencha et s’enquit doucement :

— Évelyne, ce docteur Mouton... Avait-il quelque chose à voir avec vos soirées privées ?

La jeune femme sembla avoir reçu une gifle et rougit violemment. Elizabeth, à sa droite, garda les yeux baissés sans broncher. Elle était au courant de cela aussi, nota Adelina au passage, avec un peu d’amertume. Vincent et Paulette, eux, paraissaient estomaqués. Mais Évelyne se redressa, fière, elle cria presque :

— Oui. Oui, il y était ! Et alors ? En quoi étaler ma vie privée vous apporte-t-il quoi que ce soit ? Je fais ce que je veux de mon corps, chez moi, avec mes amis. Ça dérange votre morale bourgeoise coincée ? J’ai tué quelqu’un, ça ne vous suffit pas, à vous tous ? Il faut en plus que j'apparaisse comme une putain ?

La gifle, la vraie, sèche, sonore, arriva de sa gauche, de la main de Paulette :

— Tu te calmes tout de suite, fillette. Nous sommes là pour t’aider. Nous avons fait un long chemin, alors tu vas nous respecter et regarder la vérité en face.

— Mais je ne comprends pas. Qu’est-ce que vous me voulez, à la fin ? Laissez-moi tranquille…

Malgré ses accents suppliants, Paulette poursuivit, implacable :

— Tu as été piégée, Évelyne. Cécile est peut-être morte mais c’était un accident. Ils en ont profité pour te supprimer du paysage et avoir le champ libre. Réfléchis donc, bon sang ! Qui t’a mise dans la drogue ? Qui t’a poursuivie au château ? Qui en a hérité ? Qui t’a fait passer pour morte ?

— Je ne te croirai jamais, jamais, jamais, jamais.

Elle hurlait à s’en faire dérailler la voix, debout, tendue, proche de la crise de nerfs. Elle s’enfuit en courant vers les escaliers, Elizabeth sur ses talons.

Après leur départ, les respirations étaient haletantes et l’atmosphère au maximum de la tension supportable. Paulette éprouva le besoin de se justifier :

— Voilà presque vingt ans que je la mets en garde contre ces gens-là. Elle ne veut rien entendre. Vous avez vu ?

Vincent tenta de fanfaronner, mais d’une voix mal assurée :

— Puis-je disposer maintenant ?

Adelina le remit à sa place :

— Te rends-tu bien compte que l’affaire est grave ?

— J’estime avoir fait plus que ma part. Je veux rester en dehors de ça.

— Mais ta sœur ?

— C’est son problème. Elle l’a bien cherché. J’avais trouvé une solution, vous m’avez fait passer pour un imbécile. Maintenant, débrouillez-vous.

La porte d’entrée claqua derrière lui. Elles se retrouvèrent en tête à tête. Paulette remarqua :

— Il n’a pas changé depuis que j’ai essayé de le mettre au piano avec sa sœur. Impulsif et coléreux. Bon élève, mais difficile.

Bien que mécontente du jugement de son invitée à propos de son garçon, Adelina encaissa. Cependant, ayant gardé en travers de la gorge la baffe donnée à Évelyne, elle se permit une discrète leçon de pédagogie :

— Laissons-le se calmer, il ne faut pas le prendre de front . En général, il finit par s’excuser. Cela dit, je suis d’accord avec vous : je n’ai pas du tout apprécié les Quenaille. Tenez, si je compte bien, entre vingt-trois heures et six heures trente du matin, il s’est passé environ huit heures ; huit heures entre le moment où ils ont appelé Vincent et celui où le médecin est arrivé… ils ont eu largement le temps d’arranger un scénario qui leur soit favorable. Quant au docteur, il doit être mouillé jusqu’au cou... et il n’y a peut-être pas que lui. Je vais essayer d’envoyer quelqu’un pour poser des questions et voir si ça bouge. Ils ne vont pas s’en tirer comme ça.

— C’est trop tard, Adelina. On ne peut plus rien faire sans accabler Évelyne. Ils ont réussi leur coup.

— Pauvre petite… Si seulement j’avais su ce qu’elle traversait. Comment a-t-elle trouvé la force de porter cette culpabilité pendant toute une année ?

— Il faut lui dire que ce n’est pas sa faute ! Elle doit comprendre qu’elle est, elle aussi, une victime.

— Ma bonne Paulette. Ce n’est sans doute pas si simple.

Adelina soupira :

— Je vais prendre un peu de repos si cela ne vous dérange pas, je ne tiens plus debout.

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