chapitre 38, épilogue

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Vincent m’a envoyé un sms ce matin :

À quel moment serais-tu disponible aujourd’hui pour que je t’appelle ?

Ni bonjour ni formule de politesse, c’est la marque de mon petit frère, mais comme je m’interrogeais sur la tournure étrange de la requête, je l’ai rappelé immédiatement. Il s’est enquis :

— Tu es seule ?

— Oui, je suis à ma table de travail, pourquoi ?

Il sait très bien que je ne cache rien à Steph, pourquoi ce mystère ?

Il a pris infiniment de pincettes pour m’annoncer que le maire de Laudun, en France, recherchait la famille d’Evelyne Rugani avant de transférer sa dépouille au cimetière communal… Les Quenaille souhaitaient vendre Lascours, et les nouveaux propriétaires exigeaient le déplacement de « mes » reliques. J’ai ri sans pouvoir m’arrêter. C’était un rebondissement digne d’un film de série B.

Plus de vingt ans après, le contact de Marco à la gendarmerie, avait fait remonter l'info. Vincent me demandait si je souhaitais qu’il se manifeste et « me » commande une pierre tombale. Je suis restée interloquée assez longtemps pour qu’il s’inquiète de mon silence. Finalement, je lui ai dit de ne rien entreprendre. Que ferait mon nom — mon ancien nom — sur la tombe de Cécile ?

Des souvenirs me sont revenus en vrac, mais vagues, lointains. Cet échange avec mon frère m’a donné envie de rouvrir le coffre où dort, enfermée, cette période : tout ce que je ne me suis pas résolue à jeter et qui a reposé là. Le petit cahier de l’hôpital…

J'avais oublié les dernières pages, celles où j'évoque le suicide, et où je voulais me rendre à la police. J’aurais nié les avoir écrites, si elles n’avaient été sous mes yeux. À quelles extrémités en étais-je donc arrivée… J’essaie de me rappeler… au moins de faire revivre une émotion surgie du passé : rien. La voix de cette femme qui était moi m’est devenue presque inconnue. Quel pouvoir que celui de la résilience !

Je tire de la malle quelques exemplaires de Lei et scrute l’image de la femme des années 80. Qu’est devenue cette mannequin-enfant ? De ma vie avec Adelina, j'ai gardé la boulimie des magazines féminins ; il serait temps, à plus de soixante ans, que je cesse de répondre à leurs diktats.

Mes dessins sont bien rangés dans une chemise.

Sur le dessus se trouve le portrait d’Adrian. Mon ami ! Je l’ai perdu de vue après quelques années. Ce premier titre que nous avions écrit ensemble lui a assuré un retour à la musique. J’imagine qu’il chante toujours, retiré dans son manoir irlandais, avec sa gentille épouse et ses quatre enfants, qui doivent être grands à présent. Il faut que je pense à lui écrire.

Mimi, Massimo, Adelina, mes chers disparus. Je dispose leurs visages sur mon bureau. Je vais les mettre sous verre et je les suspendre aux places laissées vides par le décrochage des bêtes empaillées dont j’ai dû me séparer : Stéphane ne les supportait pas et je dois avouer qu’elles avaient mal vieilli. J’ai même dû jeter Brutus, il partait en lambeaux.

Je m’attendris quand mon regard plonge dans les yeux de papier d’Étienne. Nos retrouvailles sont gravées en moi : sur un coup de tête, munie de ma nouvelle identité toute fraîche, j’avais emprunté l’antique voiture de sport d’Adelina. Parvenue à la nuit tombée au village, je m’étais garée un peu plus haut et avais descendu dans l’ombre le chemin familier. J’avais toqué discrètement. Papa avait ouvert. Il n’avait pas eu l’air surpris de me voir. Encore une indiscrétion de ma protectrice, avais-je compris. Il avait écarté les bras, ses bras comme des troncs.

— Viens-là, ma grande.

Son odeur, son gros ventre entre nous, ma joue sur sa poitrine moelleuse, il avait juste demandé :

— Tu as retrouvé Vincent ?

— Oui papa.

— C’est bien.

— Tu viendras nous voir ?

— Où ? Chez ton amie Adelina ? Quel personnage cette petite bonne femme ! Non, ma chérie, non, je ne ferai pas ça à ta maman. Mais tout ira bien. Ne t’inquiète pas, tout ira très bien maintenant. Vis ta vie, ma fille. Ne la laisse pas t’échapper. Elle part tellement vite…

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