chapitre 19

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Dans la chambre des petites, l’unique pièce que les soins acharnés des domestiques échouent à transformer en musée, une odeur d’enfant flotte. Les tapis aux couleurs vives recouvrent le parquet à la française. On dirait qu’un ouragan a dévasté l’agencement de la maison de poupée. Dans l'armoire, j'ai déniché un appareil radiocassette. Je suis devenue accro aux tubes passés en boucle à la radio. Ils s’accordent souvent à mon humeur. C’est d’autant plus paradoxal que j’avais décrété autrefois, au château, que seule la musique classique méritait mon estime. J’en avais banni toute influence qui n’entrait pas dans mon utopie culturelle.

Mon château… Il me manque plus que je ne saurais dire, plus qu’aucune personne de chair et d’os. J’ai parfois la certitude qu’il m’appelle, me suppliant de revenir terminer les travaux que nous avions planifiés. Il reste encore tous les extérieurs… l’entretien urgent des douves… mon grand projet pour la roseraie...

Je pousse le bouton on : Depech Mode, « Never let me down again »…Peut-être entendrais-je bientôt passer un morceau du groupe d’Adrian ? Ce gamin me manque, j’aimerais savoir ce qu’il devient.

MANQUE. C’est le mot que je note en majuscules au milieu d’une page du carnet. D’un chez-moi, de la France, d’un ami, d’une famille, de mes livres… d’une vie. J’ai dû tout laisser. J’étais en trop mauvais état jusqu’ici pour juger de l’immensité du sacrifice qui m’a été imposé. Pourtant aucune punition ne saurait suffire au regard de la faute que j’ai commise. Comment, pourquoi tout cela a-t-il eu lieu ?

Il faut que j’oblige ma mémoire à retourner à la source, que j’ose me contempler moi-même, avant de pouvoir me livrer à Elizabeth. Mais comment regarder en face la dépendance, l’humiliation, l’oubli de soi, la perversion ?

La vérité est que je plongeais résolument dans les interdits pour prouver à Michel que j’étais bien plus libérée que lui, avec ses minables aventures extraconjugales. J’intégrai le clan Quenaille, j’acceptai les joints qui circulaient et je participai au jeu des couples éphémères qui se formaient. Nous étions plusieurs recrues de l’été : Serge, moi et deux autres filles plus jeunes que nous. Notre initiation fut progressive. L’alcool, la nuit, les Doors, Hendricks… nous étions voués à notre seul plaisir, heureux et insouciants. Un noyau restreint de notre « bande » s’éclipsait chaque fin de semaine ; quelques élus dont il me tardait de faire partie. Je harcelai Louis-Paul pendant tout le mois de juillet où nous travaillions ensemble à l’étude , mais même s’il avait toutes les apparences du meneur, je soupçonnais que la décision ne lui appartenait pas. En effet, ce fut sa petite amie Patricia qui se présenta pour me tester sans en avoir l’air et poser les conditions de mon intronisation : solidarité, partage, confidentialité.

J’aimerais pouvoir dire que des scrupules m’ont effleurée, là où je n’ai ressenti que satisfaction et fierté. Le mois d’août commença : les vacances, la chaleur, le séjour annuel de Vincent en France, la migration vers la mer avec les nuits dans les voitures. Je passais de la marijuana au LSD, des soirées dans des garçonnières enfumées aux « partys » sur la plage. Silhouettes nues autour du feu de bois, brûlure du sable fin, vibration des guitares, caresse de l’eau saumâtre, évanouissement du temps. Je mangeais peu, je dormais peu, je me dissolvais dans une entité plus grande que moi. Pur produit de la contre-culture, et donc finalement pur produit des années 70.

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