chapitre 10

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Je suis sous le choc. Adelina vient de partir. Elle ne s’est embarrassée ni d’un bonjour ni d’un au revoir. Elle s’est assise, m’a asséné son monologue, la voix claire et les yeux dans le vague, puis a disparu. Au temps pour moi qui avais imaginé toutes les réactions possibles.

Ses révélations bombardent ma conscience :

Mon père était un Juste. Mes grands-parents auraient dû être sauvés eux aussi. Ma mère a passé six ans à Cecina. Mon père a souffert du manque de ses enfants toute sa vie. Adelina nous avait considérés comme ses neveux chéris. Ils ont tout tenté pour que maman reste auprès d'eux.

J’ai besoin d’aide. Je fais appeler le cabinet d’Elizabeth, qui promet de venir après sa journée de consultation, le lendemain.

Nouvelle nuit blanche.

Il est des interrogations naissantes que je repousse absolument. Je refuse de voir cet Enzo Agnesi autrement que comme celui qui a abandonné ma mère et m’a enlevé mon frère. Je ne veux pas remettre en question la place de mon papa Étienne, même en sachant qu’il a été le gardien des secrets. Avec l’épuisement, les époques se mélangent. Nos destins se confondent, celui d’Anna jeune et le mien : la fuite en pleine nuit vers l'Italie, est-ce maman, est-ce moi ? Nos visages qu’on dit si semblables. Je ne peux pas l’imaginer telle qu’Adelina la décrit, heureuse. Enzo… Vincent… nos geôliers, nos sauveurs ?

Au petit matin, avant même l’apparition de la première infirmière, Elizabeth fait irruption dans la chambre et m’ordonne :

— Habillez-vous, Évelyne, nous allons faire un tour.

Je trouve un short et un pull de la veille, des chaussettes et mes tennis. Elle me précède dans le couloir d’un air préoccupé. Le pas vif, elle sort, mais au lieu de prendre le chemin du parc désert, elle se dirige vers le parking. J'ai froid.

Elle engage sa voiture sur le port. L’activité qui y régne contraste avec l’absolu silence des rues en retrait. Elle nous arrête devant un bouge qui s’étire en profondeur. Le patron et les deux consommateurs nous scrutent jusqu’à ce que nous prenions place à une table pour deux, tout au fond près des cuisines. Une mélodie sirupeuse entrecoupée de pages de nouvelles s’échappe d’un transistor derrière le comptoir. Comme si elle avait fréquenté ce genre d’endroits toute sa vie, Elizabeth adresse un sourire au colosse en lui commandant deux cafés. Les trois hommes reprennent leur bavardage tandis que le percolateur ronronne. Je n’ai pas encore dit un mot. Elle daigne enfin me porter attention :

— Pourquoi m’avez-vous appelée ?

— Adelina est venue. Elle…

Je pose mon coude sur la table et me frotte vivement le visage, incapable de savoir par où commencer.

— J’ai besoin de… J’ai besoin de vous pour que ça s’arrête de tourner là-dedans !

J’ai crié. À nouveau, l’attention des piliers du comptoir. J’ébouriffe mes cheveux, des deux mains cette fois, sans plus parvenir à clarifier mes pensées.

— Évelyne. Évelyne ? Tout va bien.

Sa voix me calme un peu. Elle attend que le contact visuel soit rétabli entre nous et commence :

— Si vous me faites confiance, je peux vous aider. Toutefois, notre entretien d'aujourd'hui doit demeurer confidentiel. D’accord ?

J’acquiesce.

— À l’heure qu’il est, votre frère a tout organisé en ce qui vous concerne : il est prévu que je réalise votre évaluation finale avant un transfert à Milan. Mais je ne pense pas que ce soit la bonne approche. Il serait préférable que vous poursuiviez votre thérapie avec nous, à Piombino. Si vous êtes d'accord...

Je ne désire rien d'autre.

— À ma connaissance le seul moyen, c’est que vous fassiez une demande administrative afin qu’Adelina devienne votre tutrice. Ce dont elle a fait fonction pendant plus d’un mois avec d’excellents résultats. Je me chargerai de rédiger un rapport dans ce sens… C’est possible, j’ai vérifié : votre frère a été désigné comme référent par décision médicale, parce que vous étiez incapable de discernement, mais il n’existe aucune disposition officielle. Dans l’attente de la procédure, nous pourrions suspendre le transfert.

Elle s’enflamme et j’ai le plus grand mal à la suivre.

— Mais que dit Adelina ?

— Elle se dit résolue à vous garder. Sa lettre d’engagement est déjà prête, nous l’avons rédigée ensemble. Elle redoute beaucoup plus d’affronter la colère et l’inflexibilité de votre frère. En réalité, Évelyne, tout dépend de vous : si vous vous engagez dans cette voie, vous devrez rencontrer un expert-psychiatre qui évaluera le bénéfice de vous confier à Adelina. Il faudra le convaincre.

J’opine à nouveau. Tandis que les cafés refroidissent, Elizabeth énumère les arguments qui pourront me servir auprès du psychiatre. Un peu plus tard, elle me dépose sur le parking puis effectue son demi-tour sur les chapeaux de roues, afin d’arriver à l’heure pour ses premiers rendez-vous à Pise. Je n’ai plus que trois jours.

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