Vers la lumière

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Si, à son arrivée, Narcisse avait suscité l’intérêt par son irréprochable beauté, ce fut son talent artistique qui le désigna à l’admiration générale à partir du moment où Écho réussit à lui faire ouvrir son carnet en public. Dans les deux cas, sa popularité reposait sur une question d’image mais, sur le moment, Écho ne s’en était pas rendue compte. Elle avait été trop occupée à attirer Narcisse sous la lumière.

Au bout d’une semaine, en effet, elle en avait eu marre d’essayer de le convaincre et avait décidé de prendre les choses en mains. On était vendredi, la sonnerie de quatre heures venait d’interrompre Zinder dans un de ses célèbres monologues sur les raisons pour lesquelles les plus jeunes générations n’arriveraient à rien dans la vie et, si Écho ne l’avait pas interrompu, c’était que, pour une fois, elle avait décidé de ne pas écouter. Ça faisait vingt minutes qu’elle guettait le carnet qui, depuis qu’il lui avait été ouvert, n’avait plus jamais glissé du sac. Il était, à ce moment, bien à l’abri des regards entre les cours de la journée. Il lui fallait trouver le moyen de remettre la main dessus.

La moitié de la classe était déjà levée. Zinder avait capitulé et rangeait ses notes dans sa mallette d’un air mécontent. Si elle attendait plus longtemps, il serait trop tard.

- Tu as encore dessiné ?

Elle avait dit ça d’une voix forte, même pour elle. Narcisse la regarda d’abord avec surprise puis, sans répondre, glissa un regard affolé autour de lui. Quelques visages s’étaient tournés vers eux.

- Tu ne l’as encore montré à personne, c’est ça ?

- Montré quoi ?

Léanne s’était incrustée entre eux deux, juste derrière l’épaule de Narcisse. Évidemment. Elle n’allait pas rater une occasion pareille. Mais, pour une fois, cette peste allait se montrer utile.

- Narcisse dessine des portraits. Des trucs magnifiques. Mais il n’ose pas les montrer.

Le pauvre était au supplice. Il faisait un effort visible pour ne pas partir en courant mais n’arrivait toujours pas à ouvrir la bouche. Dans sa détresse, il n’avait même pas pensé à récupérer son sac. Il fallait juste à Écho un petit moment d’inattention et il n’y aurait plus d’échappatoire.

- Tu dessines ? Mais c’est génial, ça ! Je peux voir ? S’il-te-plait !

- Euh… Je ne sais pas… C’est pas si terrible, tu sais…

- Je t’avais dit d’arrêter de te faire prier ! Regarde si c’est pas dingue !

- Quoi ? Mais, non ! Écho, tu ne peux pas… Rends-moi…

Le carnet était sorti, ouvert à la dernière page, dans la main d’Écho qui avait profité de l’intervention de Léanne.

- Tu en as envie, Narcisse. Tu meurs d’envie de montrer ce que tu fais. Tu sais que tu as du talent mais tu ne trouves simplement pas l’occasion de le montrer. Voilà, c’est fait.

Toujours ouvert, l’objet était passé dans les mains de Léanne, puis dans celles de Sofia et, enfin, de Charles qui s’étaient approchés sans bruit.

- C’est extraordinaire ! Tu as des modèles ?

- Non. Il dessine d’imagination.

- Mais comment tu fais pour que ça ait l’air si vrai ?

- C’est… Je m’entraine, c’est tout. J’ai beaucoup dessiné, avant ces portraits-là. J’en ai beaucoup raté, surtout.

Il eut un rire brusque, nerveux. Mais il souriait. Le même sourire que le jour où il avait montré son travail à Écho pour la première fois. Là, c’était Charles qui admirait le portrait d’un garçon : quelques taches de rousseur, une mèche suspendue au-dessus du sourcil, le reflet des cils dans l’iris. Tout était parfait.

- C’est génial. Tu aurais dû nous montrer ça plus tôt, sérieusement.

- J’allais finir par le faire. J’étais juste un peu intimidé. J’aurais préféré attendre un peu plus.

Narcisse regarda Écho, l’ombre d’un reproche au coin de l’œil. Les autres suivirent son exemple. Léanne en profita.

- C’est vrai que j’aurais pas aimé être forcée comme ça. C’est privé, quand même…

Elle ne les écoutait pas, mais lui rendit son regard, sans honte mais bouillant de l’intérieur.

- Tu n’aurais pas attendu « un peu plus », tu le sais bien. Si je n’avais rien fait, tu serais encore là à attendre qu’on vienne te le demander.

Elle ramassa ses affaires et se dirigea vers la porte. Juste avant de sortir, elle se retourna.

- Je te laisse recevoir les compliments. Tu les mérites, sincèrement. Mais n’oublie pas : les compliments, c’est facile à donner. Moi seule te dirai la vérité.

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