Chapitre 2

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Lundi, 19h30, bar Freddy.

Le bistrot n’était pas aussi peuplé contrairement au weekend. Durant ces jours de semaines, la plupart venait pour discuter autour de quelques verres alcoolisés et donc évitait la piste de danse. La musique se faisait discrète afin que les clients puissent s’entendre, mais assez forte pour les divertir, certains bougeaient même la tête au rythme de la chanson.

Assise sur un tabouret du bar et loin de la foule, Kaylani révisait les notes qu’elle avait prises en cours. Bien que ce ne soit pas le meilleur endroit pour étudier, la brune trouvait ce lieu plus que convenable. Chez elle, le silence et la solitude ne lui permettraient en aucun cas d’ouvrir ne serait-ce qu’un livre ; aussi étrange soit-il, la musique, les claquements de verres et le bavardage des gens autour d’elle l’aidaient à se focaliser sur ses cours. Les examens arrivant à grand pas, elle ne voulait pas les rater comme l’année précédente.

Kaylani Hauata était âgée de 26 ans et au lieu d’obtenir son diplôme l’an dernier, elle dut doubler d’une année pour des raisons personnelles. En instance de divorce, ses parents passaient la plupart de leur temps à s’engueuler, se disputer et s’insulter, l’empêchant inconsciemment d’étudier. Perturbée par leurs conflits, Kaylani avait pris pour habitude de sortir tôt le matin et rentrer tard le soir. Ce fut en cette période difficile qu’elle découvrit Freddy et rencontra Josh et Karen. Cette dernière fut la première à écouter les plaintes de la jeune brune, puis, petit à petit, elles devinrent d’excellentes amies. Après, une fois que ses parents eurent mis fin à leur relation une bonne fois pour toute, Kaylani trouva refuge dans ce bar où elle avait commencé à y travailler juste après le divorce.

Le nez toujours fourré dans ses notes, elle ne remarqua pas la présence de Karen derrière le comptoir. Ce fut en lui posant un verre juste à côté d’elle que la brune releva la tête et en voyant son amie, elle ne put cacher sa joie ; un énorme sourire vint se dessiner sur ses lèvres pulpeuses.

« Je t’avais pas vu entrer. Commença l’étudiante en sirotant déjà son jus de fruit, elle ne buvait pas quand elle révisait, Karen la connaissait beaucoup trop.

-Avec ta tête qui était limite scotchée à tes cahiers, ça ne m’étonne pas du tout. »

Kaylani lâcha un petit rire avant de fermer ses notes et discuter avec la barmaid. Cette dernière, étant occupée à servir les nouveaux arrivants, abandonna son amie à ses études. La voyant immergée dans sa lecture, Karen se demandait encore une fois comment Kaylani pouvait s’intéresser à la littérature au point d’en faire sa carrière. Sur cette pensée-là, la jeune femme accueillit une autre cliente et que fut sa surprise en découvrant l’adorable Katherine.

« Je croyais que tu ne venais qu’un vendredi soir. Dit la barmaid, curieuse.

-Je m’ennuyais. Répondit simplement la blonde en prenant place sur un tabouret.

-Un White Lady ? Demanda Karen en levant un sourcil. »

Cette question arracha sourire à Katherine avant que celle-ci ne soupir. Inconsciemment, la barmaid venait de lui faire remarquer qu’elle ne passait ici que pour se soulager de ses déceptions amoureuses. Katherine ne buvait un White Lady que lorsqu’un homme lui brisait le cœur, et depuis son arrivée à Londres, il y avait plusieurs qui l’avaient fait. Cette pensée la fit sourire une nouvelle fois, ce qu’elle pouvait être naïve !

« Je voudrais quelque chose de nouveau ce soir. Répliqua la jeune blonde en posant son sac sur un autre tabouret.

-Je vois que ce n’est pas question d’hommes, cette fois. Plaisanta Karen en lui proposant la carte des collations.

-Je veux juste que les gens arrêtent de se foutre de moi juste parce que je m’habille et m’exprime différemment d’eux ! Lâcha-t-elle d’une traite. »

La femme au regard ténébreux se tut. Certes, ce n’était pas la première fois que Katherine se plaignait des moqueries de son entourage, mais le fait d’ajouter le mot « foutre » dans sa phrase n’était pas dans ses habitudes. Elle utilisait toujours des termes plus sophistiqués comme « se moquer », « montrer une désinvolture » ou même « se comporter sans équivoque ». Karen ne prit pas la peine de lui répondre, à la place, elle posa une bouteille de bière sous le nez de la blonde. Elle en avait grandement besoin.

Sans plus attendre, Katherine prit la bouteille en main et en avala le contenu en un seule souffle. Encore une fois, Karen fut surprise par son comportement. La barmaid appréciait le côté bourgeois de la blonde, son éducation avait été imposée depuis sa naissance et ne pouvait donc pas s’en détacher facilement. Cependant, ce côté d’indifférence lui donnait un charme « rebelle » qui, malgré son éducation stricte, elle en passait outre et se défoulait sur cette pauvre bouteille. Karen devait se l’avouait, elle aimait bien ce côté-là de la blonde.

« Ne me regarde pas comme ça. Commença Katherine en posant la bouteille vide sur le comptoir. J’ai bien le droit de me laisser aller de temps à autre.

-J’ai été prise de court, c’est tout. Ria Karen en lui servant une autre bouteille. Que t’ont-ils fais cette fois ? »

Katherine avala quelques gorgées, puis regarda la serveuse et avant même qu’elle ne put prononcer un mot, elle sentit une présence à sa droite.

« Karen, un autre verre de jus, s’il te plaît. Commanda Kaylani en tendant un verre vide vers la barmaid.

-Tout de suite. Répondit cette dernière en sortant une carafe de sous le comptoir, elle se tourna vers Katherine. Je t’écoute. »

Intimidée par la présence de la brune, la jeune peintre n’osa rien dire. Elle baissa ses yeux sur sa bouteille en verre tandis qu’elle sentait les regards des deux femmes se poser sur elle. Voyant son embarras, Karen lui assura que Kaylani était dans le même beau drap et jeta un coup d’œil à cette dernière. La brune ne comprit pas tout de suite, puis en lâchant un long « ah ! » elle se tourna vers la blonde.

« Tu es victime de discrimination, toi aussi ? Demanda-t-elle indiscrètement.

-Oui…Répondit Katherine avec une petite voix timide.

-Ah bon ? Je ne l’aurais jamais cru ! Pourquoi ? Insista Kaylani en s’asseyant sur le tabouret à côté d’elle.

-Tout simplement parce qu’elle fait partie d’une famille de bourgeois. Répondit Karen face au mutisme de la blonde.

-C’est une raison, ça ? Mon dieu, que le monde est stupide ! Soupira la brune en buvant son jus d’orange. Si ça continue comme ça, on peut dire au revoir à la maturité et l’ouverture d’esprit.

-Je me dis qu’à notre époque, les personnes au bon fond se font rares. Déclara la serveuse en surveillant les alentours au cas où un client souhaiterait lancer une commande.

-Autant vivre avec des hyènes. »

Karen et Katherine tournèrent la tête vers la jeune femme qui vidait son verre. Kaylani les remarqua et leur jeta un regard interrogateur.

« Qu’est-ce que vous vouliez dire ? Demanda timidement Katherine, curieuse.

-Ce serait super si tu parlais notre langue. Ajouta Karen, un sourire moqueur collé à son visage.

-Ba quoi ? En littérature, les hyènes sont le symbole de la méchanceté et de l’obscurité. Se vanta Kaylani avant de se tourner vers la jeune blonde. S’il te plaît ne me vouvoie pas, j’ai l’impression d’être vieille.

-Ça vous irez tellement bien, madame. Taquina Karen en s’esclaffant, suivie de Katherine, devant le regard noir de son amie. »

Un verre après l’autre, les trois femmes continuèrent à discuter. Puisqu’il n’y avait pas grand monde, Karen se permit de rester aux côté de Kaylani et Katherine. Ces dernières firent plus amples connaissances, par exemple, la jeune peintre apprit que la brunette était une passionnée de littérature et lui racontait quelques œuvres qu’elle avait particulièrement appréciées notamment La Parure de Guy de Maupassant et L’Histoire d’une Heure de Kate Chopin, bien sûr, sous les commentaires moqueurs de Karen.

Jetant un rapide coup d’œil sur sa montre, Katherine faillit s’étouffer en buvant sa dernière gorgée de bière, il était 20h passé et elle avait cours à 8h00 demain. La jeune femme s’empressa de saluer ses deux nouvelles amies, paya l’addition et quitta le bar d’un pas rapide. Tout ceci sous le regard amusé de Karen et de Kaylani.

« Je crois que moi aussi j’y vais. Déclara la brune en se levant du tabouret et sortant son portefeuille. Je dois me lever tôt demain.

-Tu ne travailleras pas ? Demanda la barmaid en lui tendant la main pour recevoir l’argent.

-Seulement l’après-midi, à partir de 14h. Et toi ?

-Tu sais que mon shift commence en début de soirée.

-Je ne comprendrais toujours pas comment tu fais pour rester autant éveillée la nuit et dormir toute la journée. Tu devrais sortir sous le soleil, la vitamine D est très bonne pour la peau tout comme pour les cheveux.

-Haha, je garderai ton conseil dans un coin de ma tête.

-Mouais, aller, à demain ! »

Kaylani rejoignit le coin du comptoir où étaient posées ses affaires, délaissées depuis un bon trois quart d’heures. Elle quitta le local en inspirant profondément, sentant la brise fraiche frôler son visage. De retour dans le bar, Karen débarrassa le meuble des bouteilles et verres vides avant de les envoyer à la cuisine où les plongeurs lavaient déjà une bonne partie de la vaisselle.

Etant donné que la soirée était déjà entamée et que peu de monde arrivaient au bar, Karen se permit une pause en avance, lorsqu’elle avait déposé les verres à la cuisine, l’odeur appétissante du plat que préparaient les cuistanciers lui avait donné l’eau à la bouche. Elle se dirigea donc vers une table isolée pour éviter de gêner les cuisiniers et entama son délicieux repas. La jeune femme n’eut pas le temps de fourrer la cuillère dans sa bouche qu’elle disparut de sa main, en relevant la tête, elle découvrit son collègues et ami d’enfance, Josh.

« Quelle courtoisie ! Commenta Karen en sortant un autre ustensile d’un tiroir qui se trouvait derrière elle.

-Tu joues la bourgeoise maintenant ? T’es à ce point influencée par cette femme ou quoi ? Se moqua le jeune homme en s’asseyant sur une chaise en face de son amie.

-Tu n’as pas de travail, toi ?

-Tu sais que durant les jours de la semaine, le bar est quasiment vide. Et puis, je te fais remarquer que toi non plus, tu ne travailles pas.

-Contrairement à toi, j’ai pris ma pause, je n’abandonne pas mon poste. »

Sur ces mots, Josh se leva d’un bond et alla, presque en courant, vers le mur où était accroché une liste emplie de cartes magnétiques avec des noms divers. Il prit la sienne et la déplaça vers l’écriteau « pause ». La propriétaire des lieux avait instauré cette habitude pour éviter la supercherie de certains employés qui demandaient une augmentation de paye alors qu’ils ne méritaient même pas le quart. C’est pourquoi Josh eut des sueurs froides en pensant que le directeur toucherait à son salaire au cas où il croirait qu’il faisait preuve de tricherie. Déjà qu’elle était « juste », le jeune homme refuserait une quelconque baisse.

De retour auprès de Karen, elle le regardait avec son air moqueur et éclata de rire lorsque son ami lui lança un regard noir. Elle sentit une impression de déjà-vu, lorsqu’elle était en compagnie de Kaylani et Katherine.

« Rigole, rigole, moi au moins j’ai pas peur-

-C’est méchant. Répondit la serveuse sans lui laisser le temps de finir sa phrase

-Quand est-ce que tu vas leur dire ? Interrogea Josh en coupant un bout de viande. La blondasse passe, mais tu connais Kaylani depuis plus d’un an maintenant.

-Je n’en ai pas envie, ma vie me plaît comme ça. Renchérit Karen, essayant de mettre fin à la discussion.

-C’est pas en vivant avec cette phobie que tu vas t’épanouir.

-Josh, ce n’est pas une phobie. Merci de t’inquiéter pour moi, mais ça va. Finit-elle en plongeant sa cuillère dans le plat. »

Le jeune homme ne rajouta rien de plus et se contenta de l’observer. Se portait-elle vraiment bien ? Ce fut la question qui tournait en rond dans sa tête. Ils se connaissaient depuis l’école élémentaire. Étant voisins, ils prenaient le chemin ensemble. Il espérait faire plus avec elle ; manger dans un fastfood et critiquer les gens qui passaient, faire du footing au parc, continuer à prendre le même chemin vers le collège, lycée et l’université. Seulement, après un évènement qui les avait tous dévastés, Josh vit la vie de la jeune femme se chambouler et personne ne pourrait y remédier

Parfois, la vie était tout simplement injuste.

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