L'heureuse épousée

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« Rien ne serait plus jamais comme avant. Il fallait cependant que je continue d’avancer. »

C’est ce que m’a murmuré ma sœur, la veille au soir. Et aujourd’hui, je repense à ses paroles. J’ai les mains moites, envie de vomir et la bizarre impression que mon cœur veut sortir de ma poitrine. Devant moi, l’entrée est pour l’instant fermée. J’aimerais presque qu’elle le reste. Un peu en retrait, mes demoiselles d’honneur gloussent. Évidemment, elles n’ont aucun stress, elles sont toujours célibataires, elles. La lourde porte en bois de l’église s’ouvre en grinçant et la musique d’un piano résonne. Mon père me tend son bras que j’attrape comme une issue de secours. Mais le traître, au lieu de reculer, s’avance lentement dans l’allée centrale et je suis bien obligée de le suivre. Regardant la chaire au loin, je fais mine de ne pas voir les invités me fixant de leurs yeux complaisants. Ils sont tous endimanchés comme pour une communion. On dirait une horrible farce.

Á quelques pas, le visage rond et souriant béatement : mon cher et tendre… mon futur époux. Bon, je ne vais pas non plus au purgatoire, je me marie à l’homme que j’aime ! Sauf que pour l’instant j’ai du mal à me rappeler mon grand amour pour lui. J’ai de plus en plus de difficulté à respirer, je sens ma poitrine se soulever au rythme de mon souffle saccadé. Vu mon gabarit, ce doit être un charmant spectacle pour tout le monde. Le prêtre m’observe avec mansuétude. Heureusement qu’il ne peut pas lire mon âme. Quand je pense à toutes ces heures à lui parler de mon avenir, de la manière dont j’envisageais notre merveilleux couple ! Que d’ennuis…

Et me voilà dans la maison de Dieu où l’on ne doit pas mentir et avancer bravement vers son destin. Le prêtre commence sa monotone litanie. Je devine les invités dans mon dos qui commencent à piquer du nez. Moi-même je lutte pour étouffer un inconvenant bâillement. Arrive le moment des échanges d’alliances. Alors que mon âme sœur doit me passer l’anneau au doigt, je me cache derrière mon bouquet, comme une ultime protection.

Le baiser… mon désormais mari m’embrasse fougueusement. Je réponds à son étreinte du mieux que je peux. Vu son visage rayonnant, j’imagine que mes lèvres ont largement réussi à le convaincre que je suis la femme la plus heureuse du monde.

Les invités se lèvent à notre passage. Une fois hors de l’église le soleil m’aveugle, je mets quelques instants à réaliser que ça y est : je suis mariée… pour de vrai ! Mon époux serre ma main. La sienne est moite, mais j’imagine que la mienne aussi. Nos sueurs mélangées, nos vies entremêlées… une pointe me pique le cœur.

Le parc entourant le lieu saint est splendide, un vieux puits avec une margelle en pierre y trône. Le cadre est parfait et c’est là que nous posons pour les photos. Sur le papier glacé les images sont magnifiques, aucun sourire ne parait factice ; avec les costumes et les belles robes, on se croirait tout  droit sortis d’un conte de fées moderne. Je ne me sens pourtant pas Cendrillon, mais plutôt desperate housewives sur le retour. Et je n’ai même pas d’enfant !

Justement, les  bébés, je n’en veux pas et lui oui. Après des discussions enflammées dignes du soap les Feux de l’Amour, il m’a promis qu’il m’aimait assez pour que cette absence de petit être dans notre quotidien ne ruine pas notre mariage. Je demeure quand même sceptique. Le reste de la journée défile à toute allure : vin d’honneur, repas, danse.

Puis la chambre pour notre première en tant qu’heureux mariés. Je file sous la douche de la salle de bains pour profiter de quelques bienfaisants instants de solitude. Dans le miroir embué, je distingue mon visage. Tournant la tête sur le côté, je regarde avec envie l’étroite fenêtre de la pièce. L’ouvrant, je sens l’air chaud du dehors sur ma peau. Je suis menue et me rends compte que je peux très bien m’enfuir par là. J’envisage l’idée quelques secondes et puis… la mets en application.

Je me retrouve dans la rue silencieuse que seuls quelques lampadaires éclairent d’une lumière jaunâtre. Par dessus ma chemise de nuit, je ne porte qu'un moelleux peignoir, mais pour la première fois de cette longue journée, je me sens vivante. Je sais que rien ne sera plus jamais comme avant.  Il faut cependant que je continue d’avancer. Et je suis certaine d’y arriver.

 

 

 

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