Valentin

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La Volkswagen de Sam file à toute allure en direction de l’adresse donnée par Bertrand Leclerc. Arrivée sur place, elle se gare le long de la voie ferrée, derrière les ambulances et les véhicules de la police technique. Le quartier n’a rien d’agréable. En bordure d’un chemin de fer, assez isolé et sombre. La maison qui renferme la scène de crime est froidement éclairée par des projecteurs trop puissants. Le TGV Paris-Nantes passe à toute vitesse, réveillant au loin un chien qui aboie son mécontentement. Elle rejoint ses collègues de la Crim ». Bertrand Leclerc, son boss, Olivier Demarco, son coéquipier depuis quelques semaines et Luc Marchand, un ancien de la brigade à qui on n’a plus grand-chose à apprendre. Il ne manque plus que Paul Martin, le coéquipier de Marchand.

— On va attendre que les gars de la Technique aient fini de baliser les lieux et qu’ils en aient terminé avec les relevés d’indices.

Leclerc a les traits tirés en disant cela. Olivier est blanc comme un linge propre, ou plutôt jaune comme un maillot de corps que l’on aurait porté trop longtemps. Sam pose la question :

— Il y a quoi dedans ?

— Ce n’est pas beau ! répond Demarco.

Il semble encore jaunir davantage. Le seul fait de repenser à la scène qu’il a aperçu quelques minutes plus tôt lui fait monter la bile aux bords des lèvres. Sam jette un œil par la fenêtre. Juste avant qu’un bonhomme en combinaison blanche, charlotte blanche et chaussons blancs lui cache le spectacle. Elle a juste eu le temps d’apercevoir un homme à moitié nu allongé sur la table à manger et une femme avachie sur sa chaise.

— Merde ! Mais c’est quoi ça ? s’estomaque Samuelle.

— Un môme a téléphoné pour signaler la mort de ses parents. La patrouille est venue voir et elle est tombée sur ça, explique Leclerc.

— Tu veux dire qu’il y a un enfant là-dedans ?

Leclerc souffle un bon coup, ayant beaucoup de mal à croire ce qu’il va dire.

— Oui ! On a retrouvé un petit de huit ans dans le salon, sagement en train d’attendre nos gars.

— Le tueur l’a épargné ? demande Samuelle.

— Apparemment, il serait le tueur, dit Marchand en passant une main dans sa barbe de trois de jour.

Tous les quatre se dévisagent. Chacun tentant d’imaginer un gamin de moins de dix ans massacrant ses parents. L’impensable, l’inimaginable ! Alors que le regard de Sam s’assombrit, Leclerc se frottent les yeux, comme pour se sortir d’un mauvais rêve et Olivier se penche vers l’avant pour laisser sortir le dégoût qu’il a dans les tripes.

Un enfant sort de la maison, sous l’escorte d’un médecin. On dirait un petit fantôme sous son drap blanc. Il serre sur son cœur la figurine d’un super héro. Il est amené à l’arrière d’une ambulance pour ensuite être transféré au CHU de Nantes pour examen. Les quatre flics le suivent du regard. Bertrand Leclerc organise la suite :

— Luc ! Tu accompagnes le môme à l’hôpital et tu cherches à récolter son témoignage. Tu y vas en douceur, on n’est encore sûr de rien… Paul te rejoindra sur place. Tu y restes le temps qu’il faut. Je veux avoir rapidement sa version des faits. Ok ?

— Pas de problème. Je ne suis pas mécontent d’échapper à ça… Par contre toi… fait-il en tapant l’épaule de Demarco. Bon baptême, mon gars !

Au même moment, un homme d’une cinquantaine d’années passe la tête par la porte d’entrée. C’est Ludovic Ronchi, le médecin légiste.

— C’est bon, on est prêts pour le débriefing de l’examen externe. Vous pouvez entrer, mais vous ne touchez à rien, on est encore en train de faire des prélèvements !

Les trois collègues se dirigent d’un même pas vers la scène de crime. Sam se sent rassurée d’être accompagnée par Bertrand et Demarco. Elle se prépare au pire. Un peu comme dans ces films d’horreur où l’on sait que le tueur va surgir par-derrière. On se dit : c’est bon, je sais… je m’y prépare. Pourtant, on sursaute quand même ! Et bien, de la même façon, elle avance vers ce qui, elle le sait, va être une scène horrible et pourtant, une fois devant, elle ne peut empêcher son sang de se glacer, elle ne peut empêcher son poil de se hérisser, elle ne peut s’empêcher de lâcher un juron, tant cela est insoutenable. Sur sa droite, Demarco sort précipitamment pour évacuer le peu qui lui reste dans l’estomac.

Samuelle se ressaisit. L’analyse des lieux est primordiale pour la suite. Elle ferme les yeux, se concentre pour que l’émotionnel laisse la place au professionnel, puis les ouvre pour détailler méthodiquement la maison de la famille Mace.

Ils sont dans ce qui sert de salon et salle à manger. Une pièce de 20m² tout au plus avec dans un coin, un vieux canapé, un fauteuil miteux et une immense TV, et de l’autre, une vieille table avec quatre chaises et un énorme buffet. Les lieux sont en désordre, mais aucune trace de lutte n’est à noter. Les meubles sont vétustes, des secondes, voire troisièmes mains. Seule la télévision semble récente et coûteuse. Un ensemble home cinéma flambant neuf qui fait tache dans le décor. Trois portes ouvertes laissent deviner une petite cuisine, une chambre et une salle de bain. Un escalier en bois monte à l’étage.

Sam se concentre sur la partie « salle à manger », car c’est là que se trouvent les deux corps, le père et la mère. La première chose qui saute aux yeux, c’est la nudité de l’homme avachi sur la table. Il fait face à la porte d’entrée. Il a conservé son sweat, mais il ne porte plus de pantalon ni de sous-vêtements. On devine aisément qu’il a été violé. La position de son corps parle d’elle-même. Face contre le bois de la table, les mains attachées dans le dos, chacune de ses chevilles est attachée à un pied de la table afin de le contraindre à écarter les jambes.

— C’est impossible que ce soit le gamin qui ait fait ça ! Non ? demande Bertrand Leclerc en s’adressant au médecin.

Ludovic Ronchi est loin de correspondre à l’image que l’on se fait d’un spécialiste de la médecine légale. Il est grand, très grand, au moins 1m90. On dirait une armoire à glace. Il semble prendre toute la place dans cette pièce exiguë déjà trop chargée en meubles. Il ressemble à un Depardieu en blouse blanche. Il répond :

— Non, en effet. Il faudra quand même vérifier avec les analyses ADN, mais je doute fort que le petit ait pu avoir la force d’immobiliser cet homme et cette femme en même temps, répond le médecin en désignant la chaise où repose le corps de la femme.

Elle aussi est attachée. Elle est assise, les mains liées dans le dos et les chevilles attachées aux pieds de la chaise. Un morceau de tissu sort de sa bouche. Elle porte des coups sur le visage et des plaies, probablement causées par une arme blanche. Le légiste commence à commenter la scène de crime.

— Tout d’abord, les causes de la mort. L’homme présente des blessures et des contusions sur le visage et les bras. On l’a probablement assommé avec un objet contondant, comme une batte de baseball, pour ensuite le rouer de coups, explique-t-il en désignant de son stylo les différentes lésions apparentes. On l’a hissé sur cette table. On lui a retiré son pantalon et ses sous-vêtements. Ils sont là dans ce coin. La scientifique va les mettre sous scellés pour analyse.

Ronchi fait une légère pause pour permettre à ses interlocuteurs d’enregistrer les premières constatations et éventuellement poser des questions. Mais tous restent sans voix tant la violence parait insurmontable.

— D’après l’examen du tronc, et au vu des lésions, je peux vous confirmer que l’homme a été violemment sodomisé. Là aussi, nous allons récupérer ce que nous pouvons pour analyse ADN. On l’a contraint en lui attachant les bras et les jambes. Regardez, les nœuds sont spécifiques… Ce ne sont pas des nœuds quelconques. À étudier, mais ces mêmes nœuds ont été reproduits à l’identique pour attacher la femme. On lui a enfoncé une chaussette dans la bouche pour atténuer ses cris. Comme il ne présente pas de signes de cyanose, on sait qu’il n’est pas mort étouffé. La mort n’a pas été causée par les coups non plus. Il a été égorgé, probablement avec un long couteau. Vu l’angle d’attaque, l’agresseur est probablement un droitier. C’est important, car la femme semble avoir été poignardée par un gaucher… J’estime l’heure de leur mort à quelques heures… Entre 22h00 hier soir et 4h00 ce matin.

Ronchi se dirige vers le cadavre volumineux de Mme Macé. De sa main gantée, il tâte son bras nu et le soulève.

— Son corps est tiède. Ses muscles sont raides et les lividités commencent à disparaître lorsque j’appuie dessus. Je dirais que son décès remonte à hier soir, entre 22h00 et 1h00… A confirmer, mais elle a probablement été tuée avant l’homme. L’altération des tissus me parait plus avancée sur la femme…

Maintenant, le doc’ revient vers Mr Macé.

— Quant à lui, sa mort est bien plus récente. Corps souple, sans lividités cadavériques… Je dirais qu’il a été tué entre 2h00 et 4h00.

Sam enregistre chaque information. Elle cogite déjà et imagine les différents scénarios possibles. Un rôdeur se serait introduit chez ce couple pour violer l’homme… Et la femme ?

— Est-ce que la femme a également été violée ? demande Samuelle Adams.

Le légiste revient maintenant vers le deuxième corps.

— Non ! Elle ne semble pas avoir été violée, mais on va attendre l’examen complet pour en être sûr. On l’a bien molestée, par contre. Elle présente des coups sur le visage et sur les côtes. On lui a aussi enfoncé une chaussette dans la bouche… On l’a attachée, avec le même type de corde et de nœuds que l’homme. Puis on l’a poignardée de plusieurs coups. Au moins dix, à vérifier. Certains coups sont francs et d’autres sont partiels… comme si le tueur avait hésité. Je vous disais tout à l’heure qu’elle a été poignardée par un gaucher.

— Est-ce que celui qui a tranché la gorge de l’homme de la main droite peut avoir délibérément utilisé sa main gauche pour planter la femme afin de brouiller les pistes ? demande Bertrand Leclerc, qui se remet lentement du choc.

— Oui, c’est envisageable. Dans ce cas, je dirais que notre coupable est plutôt droitier. Le coup porté pour exécuter l’homme est bien plus franc que ceux portés à la femme.

— Est-il possible que le petit ait pu le faire ? s’enquit le commissaire.

— L’enfant est gaucher… Il peut très bien avoir tué sa mère, comme il le prétend. Mais cela semble peu probable pour le père. J’en saurais plus après une analyse plus poussée.

— Est-ce que le tueur s’en est pris à l’enfant ? veut savoir Sam.

— L’enfant ne présente pas de traces de coups.

— Viol ? demande Samuelle pour préciser sa première question.

— Il faudra faire un examen pour le déterminer. Il dit que non. On l’amène au CHU pour vérifier…

— Putain ! C’est moche tout ça… conclut Demarco, qui prend la parole pour la première fois.

Olivier est pressé de quitter les lieux. Il préfère de loin étudier la scène de crime à travers l’album-photo que leur remettra l’équipe de la police technique. Il s’apprête à sortir quand Ronchi l’arrête.

— Ce n’est pas tout ! J’ai remarqué autre chose. Regardez comment est disposé le corps de la femme par rapport à l’homme. Elle lui tourne le dos. Et bien, d’après les traces laissées au sol par les pieds de la chaise, il semblerait qu’on l’ait poignardée face à l’homme. La direction des éclaboussures de sang en atteste, je suis formel. Ensuite, on a fait glisser la chaise pour la retourner. Le sang avait commencé à coaguler autour des pieds… Regardez !

Samuelle est la première à réagir à cette information.

— Une mise en scène ! Ce n’est pas un crime crapuleux… Rien n’a été dérangé. Les tiroirs sont fermés, la télé est encore là alors qu’elle doit coûter une blinde. La porte n’a pas été forcée…

— On a également déplacé les trois autres chaises pour les mettre de chaque côté du corps de la femme. Elles aussi ont été bougées après… précise Ronchi qui confirme la thèse d’une mise en scène. Les traces de sang l’attestent…

Sam tourne en rond pour observer chaque détail, chaque petit écriteau affublé d’un nombre qui représente les indices qui seront mis sous scellés.

1 — un couteau ensanglanté posé juste à côté du corps de l’homme… probablement l’arme du crime.

2 — un emballage de capote…

3 — les sous-vêtements laissés à l’abandon…

4 — un verre qui a fini sa chute en mille morceaux…

5 — le nœud en forme de tresse dans le dos de Macé…

6 — Etc.…

Elle regarde par la fenêtre. Le soleil se lève.

— Les volets étaient tirés ?

— Non.

— Il n’avait donc pas peur d’être surpris… Peut-être qu’il y avait un complice pour faire le guet… Peut-être que l’enfant est complice ? Ou bien, il est une victime qui aurait été épargnée afin de reporter les soupçons sur lui ?

Sam réfléchit à voix haute. Demarco semble boire chacune de ses paroles. Elle est l’ancienne, lui le nouveau… Il a 28 ans et elle dix de plus… Il y a de l’admiration dans la façon dont Olivier regarde sa partenaire de travail. Du respect… Et puis Sam est si compréhensive avec lui. Contrairement à Marchand et Martin qui ne manquent pas une occasion pour lui rappeler son statut de bleu. Bertrand Leclerc renchérit.

— L’enquête de proximité va être importante. Sam, je veux que tu t’en charges avec Olivier. Il ne faut pas la bâcler… Il y a peu de voisins. Vous y allez maintenant et vous y retournerez cet après-midi afin de voir ceux que vous n’aurez pas pu voir ce matin. Je veux que chaque personne susceptible d’avoir une info ou une remarque sur ce couple me la donne… Ok ?

— Ok ! Je vais jeter un œil à l’étage, dit Sam.

— C’est la chambre du petit, précise Ronchi.

Sam monte les quelques marches en bois. Il y a deux portes. En face, les toilettes où un technicien joue les plombiers à la recherche d’ADN ou autre… Sur la gauche, une petite chambre mansardée est illuminée par un velux. Un matelas deux places au sol en guise de lit et une armoire contre un mur. Il y a très peu de jouets. Quelques peluches qui forment une montagne dans un coin… Elles semblent neuves. Certaines portent encore des étiquettes. Valentin ne semble pas s’être beaucoup amusé avec elles… Les blouses blanches sont en train de plier les draps pour les amener en analyse…

Elle rejoint Olivier Demarco et ensemble, ils partent faire le tour du quartier.

***

Alors que les policiers s’activent à délimiter la scène de crime, de l’autre côté de la voie ferrée, bien caché dans les buissons, un appareil photo longue-portée s’est mis en marche.

Seule une petite source de lumière rouge trahit sa présence…

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