Départ

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Le décor, digne des plus grands studios d'Hollywood, était immense. 

On se fût volontiers cru dans un rêve, tant la situation semblait chimérique. L'endroit en soit n'avait à priori rien d'extraordinaire, simple quai de gare bondé comme il en existait des milliers d'autres ; néanmoins, son appellation stipulait "voie neuf trois-quarts", ce qui, selon Meri, n'avait rien d'anodin. 

Le quai était bondé. Les gens allaient et venaient au rythme des hurlements de l'immense machine à vapeur, sur laquelle figurait l'inscription "Poudlard Express". 

L'enfant ouvrit des yeux si grands qu'elle s'attendit à les voir sortir de leurs orbites d'une seconde à l'autre. Elle demeura figée sur place, tentant au mieux de démêler le vrai du faux. 

Le train siffla, rappelant à tous ses passagers qu'il allait partir sous peu, et ce fut le déclenchement d'une série de vertiges pour la jeune fille.

Elle revit –revécut est un terme plus exact– le jour de ses deux ans. 

*****

Elle était assise sur le tapis du salon, entourée de ses doudous favoris, un petit chapeau bleu ciel couvrant ses fins cheveux châtains. Ses parents étaient tous deux agenouillés auprès d'elle, un immense sourire aux lèvres –oui, même Meredith affichait son air le plus joyeux, chose suffisamment rare pour être précisée. 

"Joyeux anniversaire, ma puce !", avait gentiment déclaré Dorian.

Il avait par la suite entonné la célèbre chansonnette, ponctuée  des rires du bambin. 

Enfin vint l'heure tant attendue des présents. Papa se leva et posa deux boîtes devant sa fille, dont la main se dirigea naturellement vers la plus grosse.

"Celui-là est très spécial. Garde-le pour la fin."

La gosse avait par la suite sourit de toutes ses dents de lait, déchirant non sans peine le papier-cadeau aux motifs fleuris. Quelle ne fut pas la surprise de la môme, lorsqu'elle découvrit ce qui deviendrait son nouveau jouet préféré : une superbe peluche de tigre au nez rouge et à la mine câline et amicale.

"Me'ci Papa !" s'était exclamée la gosse, folle de joie.

Souriant jusqu'aux oreilles –Meri aurait tout donné pour revoir ne fût-ce qu'une fois ce sourire–, l'homme avait déposé un baiser empli de tendresse sur le front de sa fille.

"Maintenant, ouvre l'autre !"

L'enfant s'était donc exécutée, dévoilant une locomotive motorisée peinte à la main, véritable oeuvre d'art, rouge vif. 

"Ton grand-père me l'a offerte quand j'avais ton âge. Prends-la. Elle t'appartient."

Meredith, qui n'avait jusqu'ici fait preuve d'aucune de ses sautes d'humeurs, se leva d'un bond comme un diable de sa boîte. Elle s'était alors précipitée vers l'enfant, et...

*****


"Bouge de là, tu vois pas que tu gênes ?!"

La voix criarde appartenait à une gamine à l'air antipathique et fourbe. Mastiquant sans relâche un morceau de pâte informe de couleur verte qui devait jadis avoir été un chewing-gum, elle faisait virevolter ses cheveux corbeau dans de grands gestes exagérés évoquant les postures de certains mannequins. 

Ignis recula instinctivement, laissant à l'apprentie top-model tout le loisir de se pavaner encore un peu avant d'embarquer dans le véhicule. A l'inverse des autres passagers, elle ne portait aucune valise : une femme que Meri désigna comme sa grand-mère se chargeait de faire la mule. 

Meri éprouva de la peine pour cette pauvre vieille, d'autant plus que celle-ci lui rappelait quelque peu sa propre grand-mère Lucile, qu'elle n'avait vu qu'une seule fois lors d'un réveillon. 

Elle croisa les petits yeux de l'étrangère, laquelle la jaugea un instant. Elles s'échangèrent un regard de compassion puis, la dame reprit sa route. 

La fille souffla longuement, comme pour reprendre le contrôle de son corps affaibli par la soif et la fatigue. Elle fit un pas en avant.

"Hé ! Toi !"

Le même ton qu'antérieurement, qu'elle seule semblait entendre. 

Elle tourna la tête, scrutant l'horizon de ses prunelles améthyste. Il n'y avait rien que des passants et quelques oiseaux. L'être le plus proche de Meri était un écureuil qui semblait avoir élu domicile dans un renfoncement entre le mur et le trottoir. 

"Ici !"

 La fillette analysa de nouveau les alentours dans l'espoir d'y trouver l'origine de cette mystérieuse voix, sans succès. La gare grouille de monde, se dit-elle. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! 

"Bouh !"

En se retournant dans la direction du bruit, la jeune fille sursauta : à la place exacte de l'animal se tenait un garçonnet frisé aux yeux espiègles.

"Bon sang ! Tu m'as fait une de ces peurs !", souffla Meri en redressant les épaules afin de créer une illusion de confiance en elle.

Le sourire du gamin s'étendit jusqu'aux oreilles, et la fillette remarqua non sans confusion que ses incisives ressortaient à la manière d'un lapin... ou d'un écureuil.

Elle ne fit aucun commentaire, se passant une main fébrile dans les cheveux. Ses jambes flageolaient dangereusement, menaçant de s'effondrer à chaque instant. 

La voix du garçon s'éleva, l'arrachant à ses pensées :

"Allez, dépêchons-nous ! Le train va partir ! "

A ces mots, il lui prit le bras et entreprit de la tirer jusqu'au wagon le plus proche. A peine eurent-ils le temps de monter que les portes se refermèrent et que le véhicule quitta la station dans un vacarme du tonnerre.

"Hé ben mon vieux, on a vraiment eu chaud !", fit remarquer le mystérieux rouquin aux dents anormalement longues. "Un peu de plus, et on se serait retrouvés comme mon cousin Johnny !"

Devant le regard interrogateur de sa camarade, il expliqua :

"Ses parents étaient déjà en route pour Cambridge. Il a dû attendre deux heures avant qu'ils reviennent le chercher. Oh, au fait !"

Il tendit à la fillette une main potelée.

"Je m'appelle Kotey. Kotey Dalma.

- Ignis Buckley. Mais tout le monde me surnomme Meri."

Les deux enfants se serrèrent poliment la main. Il sourit à nouveau, se penchant pour y déposer un baiser, à la manière des gentlemen.

"Enchanté, Meri."

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