Tsunami des Caraïbes

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  Pendant un an, j’ai vécu à Madrid. Et naturellement, j’ai fait des maraudes à la rencontre de personnes de la rue. C’était au sein d’une association catholique. À pied, avec un petit caddie à roulettes comme celui qu’ont les personnes qui font leurs courses en centre-ville dans des endroits où la voiture est bannie, je parcourais la Puerta Del Sol, remontais la Calle De Preciados longeant la FNAC et bifurquais à droite pour rejoindre Gran Via, cette longue rue bordée des plus beaux immeubles de la capitale espagnole. Quelque part après le Starbucks, j’entrais sur une petite place qui était le lieu de rendez-vous des personnes dans le besoin.

  Ces personnes étaient toutes des femmes et dès qu’elles nous apercevaient, moi et mes compagnons de maraude, elles surgissaient de partout. Âgées d’une quarantaine d’années, rarement moins, ces femmes avaient pour la plupart un logement. Elles exerçaient toutes le même métier. À leur compte ou pour le compte d’un homme, elles vendaient leur corps, avec plus ou moins de succès. Elles n’avaient rien à voir avec les jeunes asiatiques que l’on peut rencontrer le soir autour de Puerta Del Sol et qui, probablement, appartiennent à des réseaux mafieux. Nous leur distribuions à manger, à boire, de la soupe, des bananes. Les conversations tournaient autour du temps, de la vie ou des évènements sociaux. Lorsque l’une d’elles n’était pas présente alors que nous l’avions vue la fois précédente, nous imaginions l’occupation qui devait être la sienne. Certaines avaient des enfants, d’autres étaient de véritables institutions dans le quartier. Nous en faisions d’ailleurs le tour pour aller à la rencontre de celles qui, dans la rue au pied des immeubles, attendaient leurs clients potentiels. D’autres, en manque d’activité, nous invitaient parfois à profiter de leurs services avec force détails mais nous n’étions pas là pour cela !

  Au détour d’une ruelle, nous croisions régulièrement une Portoricaine. Chaque fois que je la voyais, je pensais à Tina Turner. Une chevelure impressionnante, des hanches larges comme deux fois ma taille, des cuisses de joueuse de rugby et des seins énormes, elle aurait plu à Fellini. Chaque fois que, par jeu, je lui demandais comment elle s’appelait, elle répondait par un prénom différent du précédent. Il y a une expression qu’elle usait pourtant pour se qualifier : Tsunami des Caraïbes. Je devinais sans problème derrière le tsunami ce qui pouvait arriver une fois au lit avec la bête. Elle riait tout le temps, semblant prendre beaucoup de plaisir à nous raconter ses exploits sexuels. Mais lorsqu’un homme qui n’était pas de notre groupe arpentait le pavé dans la rue, elle nous chassait sans ménagement pour attraper son futur gagne-pain.

  Elle avait un autre jeu qui ne m’avait pas beaucoup amusé la première fois qu’elle me l’avait fait subir mais que je laissais à d’autres avec un certain plaisir. La soupe que nous avions à distribuer dans des bols en plastique remplissait un grand thermos carré, trop lourd à porter. Nous le posions donc à même le sol et celui qui servait le breuvage devait s’agenouiller, un autre se chargeant de tenir le bol. Un soir qu’elle était là, je demandais à l’un des bénévoles qui n’avait jamais rencontré Tsunami de lui servir une soupe. Le jeune homme qui s’appelait Martin, impressionné de voir autant de prostituées dans sa soirée et se demandant sans doute ce qu’il allait bien pouvoir raconter à ses parents, s’était donc agenouillé pour ouvrir le couvercle du thermos. Le fumet était excellent et cette soupe on ne peut plus maison remportait un grand succès. Plongeant la louche au fond du récipient, le jeune homme n’avait pas remarqué que Tsunami, qui était assise sur la marche de l’entrée d’un immeuble, écartait lentement les cuisses, dépliant les tissus de sa robe jusqu’à le tendre complètement. C’est en levant les yeux vers la femme qui se tenait devant lui que Martin s’est figé de surprise devant le spectacle qui se présentait à lui. Tsunami ne portait pas de culotte et ne manquait pas une occasion de le faire constater.

  Je conserve de ces soirées auprès de ces prostituées de bons souvenirs mais aussi des rencontres remuantes. Je me souviens tout particulièrement de ce jeune travesti qui tapinait pour se payer sa dope. Il devait avoir tout au plus vingt ans et n’avait rien à faire de mes sandwichs. Au bout d’un an, je faisais partie du quartier et les conversations se faisaient de plus en plus personnelles.

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