4-Chapitre 32 (3/4)

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Le petit tour du jardin leur avait fait du bien, déjà parce qu’il faisait frais, ensuite, parce que Ben avait enchaîné trop de boissons et que les toilettes étaient prises d’assaut. En revenant dans le hall, il repéra le haut-de-forme en liège de son cousin qui dansait avec son pot de mayonnaise préféré. Jo semblait s’amuser, ce n’était pas le moment de l’embêter.

Il se demanda comment il allait lui-même trouver sa cavalière dans ce joyeux bazar. Certes, il n’existait qu’une seule personne tatouée aux Bas-Endraux, mais pouvait-il vraiment demander à toutes les femmes de moins d’un mètre soixante-dix de lui montrer leur dos ? Non, il allait devoir utiliser son sens de la déduction : en quoi pouvait-elle bien s’être déguisée ? Il marchait entre les convives en prenant des notes mentales de ses observations et de ce qu’il savait de son Fantôme.

Premier bal : Fantôme. Robe blanche. Elle était pâle comme la mort. Elle adorait tout ce qui était métaphysique, l’univers, les questions existentielles. Elle croyait à la magie.

Deuxième bal : femme-flamme. Robe rouge. Sensuelle, joueuse, téméraire… Elle l’avait suivi dans son tour de magie sans tenir compte du danger.

Troisième bal : faune. Il avait à peine vu sa tenue. Elle avait grandi ici et connaissait toutes les bêtises de leur génération, elle adorait la mer. Elle insufflait la magie dans sa flûte de pan.

Conclusion : elle était magique. Il lui fallait donc trouver un aliment magique. Élégant et magique. Qui sentait la mer. Une huître ? Des coquillages ? De l’algue ?

Enquêteur Huile d’Olive Extra-Vierge décida de changer d’approche. Pour se retrouver, il fallait déjà commencer par fréquenter le même lieu (et qui répondrait « vous êtes dans le même château » n’aurait pas compris la question). La verrière ? La salle de bain ? L’une des chambres où il avait interrompu Jo la dernière fois ? Le buffet, songea-t-il, après tout, le thème était « alimentaire », et il avait un petit creux. Il était temps de faire honneur aux bons petits plats tout en ayant une chance de croiser la très grande majorité des convives.

Ben se posta donc sur une hauteur peu éloignée des longues tables du festin, observant les fruits et légumes cannibaliser de petites bouchées alléchantes sous leurs fausses moustaches. Il continuait de prendre des notes mentales sur tous les sujets et les conversations qu’il entendait (espérant presque que quelqu’un parlerait de cette femme tatouée qui arrivait comme par hasard dans leur direction) pour alimenter son dossier « recherche de son Fantôme ». Il avança beaucoup d’enquêtes sur des thèmes aussi divers et variés que la recette des petits-fours, où est Charlie, la technique de couture utilisée pour la veste du cuissot de poulet ou encore la dose de gin dans le cocktail de Sam, mais personne ne semblait avoir vu de tatouage. Il était donc au mauvais endroit pour progresser sur son sujet principal. Pourtant, un sourire flottait sur ses lèvres, amusé presque malgré lui par son interprétation très libre d’un célèbre détective.

« L’huile du Château d’Ambre, rien que ça ? »

Son sang ne fit qu’un tour. Ces ondulations, ce demi-murmure un peu rauque, ce velours dans la voix. Des frissons parcoururent son échine jusqu’à la pointe de ses pieds tandis qu’il se retournait. Elle était là, en chair et en os, dans une robe vert-orangé qui mettait en valeur sa silhouette, derrière un masque de citrouille où filtraient les étincelles de son regard. Ben sourit en l’enveloppant dans ses bras de crainte de la perdre alors qu’elle venait tout juste d’apparaître.

« Tu fais une bien meilleure enquêtrice que moi.

— As-tu ramené ma syrinx ?

— Ton souffle est trop précieux pour le perdre à pleurer dans une flûte de pan, et les oiseaux chanteront tout aussi bien sans que tu leur apprennes leurs chants. »

Elle se lova contre sa poitrine en répondant l’une de ces phrases insensées qui lui avaient tant manqué durant ces derniers longs mois, et il répliqua tout en enfouissant son visage dans ses cheveux aux mille senteurs de l’océan. Il lui proposa de la dévorer sans attendre, à quoi elle rit de toutes ses fossettes en lui rappelant que les meilleurs repas sont ceux que l’on mange avec appétit, et qu’il avait sans doute l’estomac plein à force de voir défiler autant de petits plats depuis tout à l’heure.

« Le menu est certes alléchant, mais même après trois mois de régime, mes papilles ne réclament qu’un seul et unique mets. »

Elle rit de ces éclats troublants qui creusaient des fossettes dans ses joues d’opale sans vraiment émettre de son, puis se pencha à son oreille pour lui donner l’une de ses phrases impossibles qui brûlaient la frange de ses pensées. Sans desserrer son étreinte autour de la taille corsetée, il la conduisit au milieu du hall, entre les corps agglutinés qui s’épuisaient à danser.

Ils avaient toute la nuit, tout le lendemain, pour se laisser porter par l’instant présent. Ben inscrivit le gel du temps au menu de ce soir, goûtant l’amuse-bouche au velours de cette peau neigeuse. Leurs pieds trouvèrent d’eux-mêmes le rythme, leurs mains caressaient leurs vêtements, volant des effleurements qui frissonnaient au travers des tissus. Leurs mots se défiaient entre deux souffles, ressuscitaient les illusions de la jeunesse, la magie qui posait sur le monde des couleurs plus vives, et l’envie de croquer tous les fruits défendus à pleine bouche pour en sentir la saveur juteuse exploser les fragments d’une vie trop rangée.

Et pourtant…

Et pourtant, quand ils se réveillèrent le lendemain et qu’il vit ces yeux rayons de soleil se poser sur les siens, qu’il sentit la douceur de ses lèvres effleurer sa peau, que les frissons firent trembler leurs souffles épuisés par cette nuit magique, ses pensées volaient ailleurs, vers une ombre d’incertitudes. En effleurant les reflets d’huile de ces boucles à l’odeur d’océan, il songeait à un soleil couchant sur l’oliveraie. En emmêlant ses doigts à ceux de sa citrouille sombre, une sculpture brisée craquelait le masque qui l’observait.

La fierté ne danse que sur un lit de braises.

Elle avait eu cette phrase, Chloé. Une phrase qu’il avait entendue mille fois dans les vidéos de cette réception à laquelle il n’était pas allé, d’une voix défiante, presque noyée de larmes. Une phrase dont peu auraient pu coudre les mots ; étrangement, si étrangement proche de celles qui peuplaient ses nuits-magie.

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