4-Chapitre 32 (1/4)

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Alimentaire, mon cher Mutton.

Les mots ornaient le fronton du château entre une côte de bœuf et un sauté de légumes en haut de forme. En dessous, une foule de petits pois, citrouilles, meringues, parts de pizza et autres déguisements alléchants très dix-neuvième siècle se massaient pour intégrer le gigantesque banquet qui se préparait à l’intérieur. Le hall ressemblait à une immense cuisine où les ingrédients de style résolument victorien circulaient librement, entre les planches à découper géantes et les recettes de cuisine plus élaborées les unes que les autres.

Ben prit un verre sur le plateau d’un serveur en tenue de pot-au-feu, peu rassuré par l’odeur salée qui en émanait. Soupe de céleri ? Cocktail de salsifis à la spiruline ? Malgré l’insistance de ses amis, il n’avait pas réussi à se départir de son masque pourtant hors thème : si son Fantôme venait, ce serait son seul moyen de le repérer entre tous ces mets. Petite concession : il portait un monocle qui passait son temps à glisser et qu’il devait replacer régulièrement pour éviter l’effet pendulaire involontaire de sa chute. Mais Ben craignait que son Fantôme ne paraisse pas ; il l’avait cherchée assidûment durant au moins deux heures sans trouver la moindre trace d’elle. Une sourde intuition lui disait qu’elle ne viendrait plus jamais.

Pour tromper sa déception, il s’était donc rabattu sur les verres multicolores —et sans alcool, volant obligeait— qui défilaient près de son poste favori à côté de l’escalier. Il prit une gorgée de sa boisson verdâtre (sans kiwi, quel bonheur !) qui s’avéra moins mauvaise qu’il ne l’avait craint, tout en continuant de fixer la foule bariolée sans plus vraiment l’espoir d’apercevoir la pâleur de son Fantôme. Jo n’était même pas là pour lui changer les idées. Alors, se morfondant dans ses cocktails de légumes du potager châtelain, Ben comptait les heures qu’il lui restait à faire le poireau auprès de la rampe d’escalier en attendant que ses amis en aient assez de boire des bouillons. Au moins ne serait-il pas épuisé en rentrant ce soir. Dommage que le lendemain soit jour chômé, pour une fois.

« Allez, ne fait pas cette tête-là, tiens ! Goûte celui-ci, il est pas mal du tout. On dirait poire-citron-miel-gingembre, non ? »

Ben trempa ses lèvres dans le verre que lui tendait Sam, incapable d’identifier les goûts tant ça piquait.

« C’est surtout plein de gin ton truc ! »

Ses amis éclatèrent de rire, puis reprirent leur débat sur la meilleure recette de soupe aux anchois (la seule, la vraie, l’authentique), s’attirant les foudres de leurs voisins qui n’étaient pas du tout du même avis qu’eux sur la cuisson de la sauce tomate. Chose peu coutumière : Ben s’en moquait éperdument. Déjà, parce qu’il n’était pas passionné de cuisine, mais surtout parce que le dernier mois avait été plus qu’éprouvant.

Son cerveau faisait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire pendant le bal. Ben avait beau se l’être strictement interdit, ça n’empêchait pas Madame Matière Grise de tourner à plein régime : il pensait à son travail. Ils accueilleraient une amie du vicomte la semaine suivante, laquelle avait déjà spécifié être à la recherche d’une société pour meubler les restaurants de sa chaîne hôtelière. S’ils l’impressionnaient, ils pouvaient décrocher un contrat pour une quantité de meubles telle qu’ils étaient assurés de travailler pendant au moins trois ans sans creux au carnet de commandes. Sinon… ils n’auraient plus grand-chose à se mettre sous la dent et le vicomte finirait bien par renvoyer quelques personnes. Ben ne se faisait pas d’illusion : il restait en tête de liste.

Mais la vraie raison de son mal-être était l’absence de Chloé ; sans elle, ce dernier mois avait été bien plus difficile qu’il ne l’aurait dû. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir à gérer ses crises à toute heure du jour avait rendu ses journées si longues ? Pourquoi ne pas s’inquiéter en se demandant de quelle humeur elle se lèverait lui pesait-il tant ?

Ben vola un nouveau verre sur le plateau d’une salade de saison équipée d’une moustache à frisettes bien fournies, puis retourna à la morne observation des danses.

Voilà : il s’ennuyait.

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