2-Chapitre 10 (1/3), ancien chap 1

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MODIFIE LE 07/09/2022

Le bal masqué, juste après une semaine entière à courir partout pour clore le bilan, s’accueillait comme une bénédiction. Cette fois pour une raison évidente, Ben était impatient de s’y rendre. Il avait mis plus de temps que d’habitude pour se préparer, forçant Jo à toquer à la porte de la salle de bain plus d’une fois. Le trajet pour récupérer leurs amis sembla durer dix fois plus longtemps que prévu, et chaque détour, chaque feu rouge, chaque piéton costumé qui passait devant le capot le faisait pianoter sur le volant de sa petite berline.

Sam racontait avec verve sa dernière dispute avec sa sœur, car elle avait tenté de s’immiscer dans leur petit groupe vu qu’ils s’amusaient toujours tellement aux dires de Sam ; son frère n’allait pas la laisser ruiner sa soirée. Jo ne disait pas grand-chose, tout tendu qu’il était à l’idée de retrouver sa cavalière. Ben se retint de lui rappeler qu’il aurait été très facile de la voir entre deux bals, car tout le monde savait où elle habitait et qu’ils avaient même son numéro de téléphone (puisqu’il s’agissait d’une amie proche), mais Jo et elle préféraient croire qu’ils étaient de mystérieux inconnus. Ben se demanda alors si son Fantôme jouerait le même jeu si jamais ils découvraient leurs identités respectives. Si son Fantôme voulait à nouveau de lui… car rien n’indiquait qu’elle viendrait, et encore moins qu’elle avait gardé un aussi bon souvenir que lui du dernier bal.

Ben gara la voiture dans l’une des contre-allées privées du château. Comme il travaillait pour le vicomte, il avait un traitement de faveur pour l’occasion ; ce qui expliquait pourquoi il était le conducteur attitré de leurs expéditions. Cela, et son refus de danser proverbial qui en faisaient le seul avec les pieds en bon état à l’heure du retour. Mais si son Fantôme le retrouvait ce soir, il était certain qu’aucune danse ne lui paraîtrait trop difficile ou trop ridicule. Jo avait tenté d’aborder le sujet à plusieurs reprises pendant qu’ils se préparaient, mais Ben avait botté en touche ou s’était éclipsé pour éviter les questions qui l’auraient forcé à réfléchir. Peu importait qui se cachait sous ce masque, elle était la seule personne avec laquelle il n’avait, justement, pas besoin de penser. C’était tout ce qu’il désirait pour cette nuit : comme elle, s’autoriser à croire à la magie. La réalité n’avait pas sa place dans leur histoire.

« Enflammé » : le château lui-même semblait brûler d’un incendie qui ne consumait rien que l’air de la nuit. Des torches jetaient leurs brûlures écarlates dans l’obscurité à peine fraîchissante, faisant danser des lueurs rouges sur les masques. Une foule orangée, mélange de grenats et d’ors, s’élançait à l’assaut du château en flammes. Les rires perçaient le ciel, les mouvements consumaient toutes les énergies. La porte principale accueillait les curieux d’un encadrement de flammes. Plusieurs reculèrent. Ben pâlit en songeant aux battants de bois si précieux qu’un faux mouvement pouvait réduire en cendres. Puis une courageuse s’élança, et il s’avéra que les flammes étaient des rubans de soie folâtrant dans des jets d’airs. L’illusion était si parfaite qu’on en cria d’admiration, et Ben imagina la vicomtesse, masquée quelque part dans la foule, sourire de plaisir en les entendant.

Seules les flammes de milliers de chandelles illuminaient l’espace immense dans une pénombre ondoyante. Des boules de feu sautaient presque à toucher le plafond, redescendaient, dociles, entre les mains de jongleurs aux gants épais. Des cracheurs de feu avaient pris d’assaut les estrades de bois ; Ben sentit son cœur s’arrêter en voyant des étincelles tomber sur les planches, rougeoyer, puis s’éteindre d’elles-mêmes. Il ne put s’empêcher d’approcher pour vérifier les risques d’incendie, et constata avec soulagement qu’on avait enduit toutes les surfaces inflammables d’une couche de mousse protectrice. Ils admirèrent le spectacle d’un homme qui dansait avec son bâton enflammé comme d’autres auraient fait virevolter une femme aimée. Puis l’acrobate jeta le bâton haut dans le ciel, le rattrapa dans une volte qui s’acheva en révérence. On applaudit avec force, incrédule, impatient de le voir rallumer son double flambeau pour ravir de nouveau les yeux éblouis de chacun.

Ben suivit ses amis vers leur plateforme favorite, celle qui jouxtait les escaliers pour offrir une vue imprenable sur l’incroyable décor que la vicomtesse avec imaginé. De là, il pouvait surveiller tous les accès, depuis la porte principale aux marches qui se perdaient dans l’obscurité des étages. Son regard volait d’une porte à l’autre, analysait chaque masque, chaque coiffure, chaque sourire, dans l’espoir de retrouver son Fantôme. Serait-elle aussi pâle qu’il l’avait rencontrée ? La reconnaîtrait-il ? Serait-elle seulement là ? Et son cœur battait au rythme frénétique des flammes qui jouaient avec les ombres des visages.

« Ben ? »

Il se retourna vivement, presque agacé de l’interruption.

« Je vais monter, tu ne t’en vas pas sans moi, d’accord ?

— Nous venons juste d’arriver…

— C’est juste au cas où tu disparaisses comme la dernière fois, je préfère t’en parler maintenant. »

Son cousin attendit qu’il confirme qu’il l’attendrait jusqu’à l’aurore avant de sauter la rambarde de l’escalier avec un immense sourire. Ben allait retourner à sa surveillance, mais Sam ne l’entendait pas de cette oreille : il venait de lancer un toast, et il fallut que chacun se trouve un verre à lever, puis qu’ils dédient également ce verre à l’honneur de quelque chose, puis on recommença trois fois. Ben commençait à sourire sans raison, emporté par la bonne humeur de ses amis et la conversation qui s’animait entre eux : fallait-il ou non porter des chaussettes avec des claquettes ? Sam était de l’avis positif, parce que tout le monde était contre. Ben décida de défendre les sandales, parce qu’il ne supportait pas les claquettes qui lui cisaillaient toujours la peau entre les orteils. Hercule et Poirot (ce n’étaient pas leurs vrais noms) trouvèrent que ce n’était pas très sport de dévier l’argumentaire en faveur d’un choix non proposé, donc ils prirent parti pour les escarpins, parce qu’il n’y avait pas de raison que les femmes ne puissent pas porter de chaussettes dans leurs escarpins, question de confort. Le ton commençait à monter entre eux, Ben secoua la tête pour rejeter l’argument d’Hercule lorsque ses yeux tombèrent sur elle.

Pardon, sur ELLE.

Son ex, qui lui faisait coucou de la main pour qu’il la rejoigne. Ses pensées s’enflammèrent ; pas du tout au sens positif qu’il anticipait en arrivant.

« Évidemment », souffla-t-il.

Sam se retourna et comprit aussitôt la situation.

« Bah, ignore-la. Elle finira par trouver quelqu’un avec qui danser. Viens, on va faire un tour du côté du jardin pour se rafraîchir les idées. »

Ben vida son verre non alcoolisé d’un trait, regrettant presque ce manque de vapeurs, puis se laissa guider par le bras que Sam avait passé autour de son cou. Ils louvoyèrent à quatre entre les déhanchés de la piste de danse, happèrent quelques verres de plus au passage d’un serveur en tenue de feu-follet, puis firent irruption dans les jardins à l’italienne de la vicomtesse.

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