Chapitre 76 : Le secret des Pierres de Vie

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 Quelque chose sous mon dos remua, me tirant de mon sommeil. Je m’étais assoupie sur le bras d’Orialis. Je me levai précipitamment pour rapprocher le plateau de nourriture. Ma compagne d’infortune ouvrit enfin ses paupières. Elle se mit à gémir, les traits de son visage crispés.

– Ne t’inquiète pas, Orialis, c’est moi, Nêryah. Je suis avec toi.

– Nêryah ? répéta-t-elle d’une petite voix ensommeillée.

– C’est bien moi. Tu as été capturée dans la forêt par des Métharciens. Et nous voilà toutes deux coincées dans la demeure de l’Ombre !

– Cette voix…, fit-elle comme si elle voyait encore flou. Je ne rêve pas ? C’est vraiment toi ? Ma petite Nêryah !

 Elle pleura à chaudes larmes. Je la pris dans mes bras avec tendresse.

– Oh… Nêryah ! J’ai eu si peur ! J’ai cru que jamais je ne te reverrai ! lâcha-t-elle entre deux sanglots.

– Je suis là. On se racontera tout plus tard. Tu dois avoir faim. Tu peux manger, ou bien te laver d’abord, c’est comme tu veux. L’Ombre m’a donné une jolie chambre, avec une salle de bain des plus luxueuses, c’est bien là le seul point positif de notre situation.

 Orialis esquissa un sourire, puis regarda le plateau de nourriture d’un air affamé. Voilà qui répondait à ma question ! Je la relevai doucement en lui mettant un oreiller en guise de dossier, puis posai le plateau sur ses jambes. Je découvris la fleur d’Arianna sur le lit. J’avais déjà presque oublié que je l’avais cachée ici. Je m’empressai de la remettre dans mon sac pour ensuite servir à boire à mon amie, la laissant manger tranquillement.

– Prends-en aussi, Nêryah. Tu dois reprendre des forces !

 Je grignotai quelques fruits. Déjeuner en sa compagnie me redonnait l’appétit.

 Orialis alla prendre un bain. Lorsqu’elle sortit de la baignoire, je lui prêtai une élégante robe ébène sortie de l’armoire. Le temps qu’elle se change, j’en profitai pour laver nos vêtements.

 De retour dans la chambre, je ne la reconnus presque pas. Cette couleur ne lui allait pas du tout. Sa peau verdâtre arborait bien mieux les tons jaune, orange, violet, rouge, et vert, mais nous n’allions certainement pas faire les difficiles. La Noyrocienne étant plus grande que moi, la robe lui arrivait au niveau des genoux.

– Tu dois te sentir mieux.

– Oh oui ! À vrai dire, c’est mon tout premier bain depuis que je suis partie de mon royaume. Ironie du sort !

– Justement… Orialis…

 Je ne savais pas comment m’y prendre pour lui en parler. Je la regardai droit dans les yeux, le visage troublé.

– Tu as deviné ce que je vous cachais…, me dit-elle, lisant dans mon regard.

– Oui… je ne comprends pas. Tu savais pourtant que tu pouvais nous faire confiance !

 Elle prit un air contrit.

– Je suis désolée. Je devais préserver mon identité, pour nous protéger. Je suis la seule capable de faire fonctionner la Pierre de Vie de mon peuple. En révélant mon titre, je risquais de tous nous mettre en danger.

– C’est pour ça qu’ils te retenaient prisonnière… Tu pouvais largement leur servir de monnaie d’échange, étant donné ton statut ; et surtout, l’Ombre a besoin de toi pour utiliser la Pierre.

 Orialis réalisa son aveu et tenta de se rattraper :

– Il faut comprendre, moins on en sait, plus on est en sécurité. Si je venais à mourir, notre Pierre ne serait alors plus d’aucune utilité. On ne sait dans combien de temps naîtra le prochain Gardien. À moins que ma petite sœur Orielle puisse recevoir ce don ? En général, lorsqu’un Gardien meurt de façon tragique, la Pierre choisit quelqu’un de la même famille. Souvent ses enfants, lorsqu’il ou elle en a. Mais dans mon cas ? Je suis si jeune ! Comment le savoir ? Je dois rester vivante. C’est une nécessité pour mon peuple.

 Je songeai à Kaya, qui, elle aussi, avait reçu ce don. Sa mère, morte prématurément lors de la grande bataille, était la précédente Gardienne. La Pierre l’avait donc choisie. Je me posais toujours cette même question à propos de moi et de la Gardienne de mon peuple, cette magnifique femme aux cheveux bleus. Mais la situation était différente : les Guéliades avaient tous péri. Pour une fois, la Pierre n’avait pas eu la possibilité de choisir son Gardien.

– Pardonne-moi, Nêryah.

– Je comprends. Tout comme moi, tu as un tel poids sur tes épaules…

 Je pris Orialis dans mes bras, la serrant contre moi. Elle m’avait tellement manqué.

– Comment la Pierre choisit-elle son Gardien ? lui demandais-je.

– Ah… si seulement on le savait ! Cela reste un mystère. Pour tous les peuples d’Orfianne, la personne apte à se servir de la Pierre en devient la Gardienne. Il faut alors guider la communauté, la protéger, la représenter de notre mieux, et développer le pouvoir de la Pierre en cas de besoin.

– Alors si le peuple des Guéliades existait toujours, je deviendrais sa représentante, puisque je suis capable d’utiliser la Pierre.

– Exactement !

– Et si on refuse de devenir Gardien, la Pierre choisit-elle quelqu’un d’autre ?

– C’est un honneur d’être Gardien. Personne ne refuse ce privilège ! La Pierre trouve un autre porteur uniquement si le Gardien est assassiné, ou meurt accidentellement, comme je t’ai expliqué.

– Je ne me rendais pas compte que le fait d’être Gardien impliquait une telle responsabilité.

– Tu n’as pas idée ! Dès mon plus jeune âge, on m’a rabâché combien mon rôle était important, que je devais à tout prix protéger mon peuple et rester en vie, ne jamais commettre d’imprudence. J’ai été éduquée et entraînée pour cela. Durant toute mon enfance, je me suis demandée si je serais à la hauteur de cette tâche. Que se passerait-il si j’échouais ? J’ai déjà frôlé la catastrophe : l’Ombre était à deux doigts d’obtenir notre Pierre, et je me retrouve de nouveau prisonnière. Quelle galère ! On risque de rester enfermées ici à tout jamais ! Le Sage Orion nous attend. J’ai failli à ma tâche… que va dire mon peuple ? Je me sens terriblement coupable. On me faisait confiance, j’ai tout gâché !

 Je pris conscience que tout ce que venait de verbaliser Orialis exprimait parfaitement ce que je ressentais en moi.

– Tu es si dure avec toi-même, Orialis. Tu es déjà une grande et formidable Gardienne. Tu as un sens du devoir hors du commun. Je t’admire beaucoup.

Elle baissa le regard et sourit de façon gênée.

– Ce n’est pas tout à fait vrai, Nêryah. Tu me surestimes…

 Je l’observai, déconcertée. Elle reprit :

– En revanche, je n’ai pas totalement tout perdu. Je… j’ai toujours la Pierre de Vie sur moi. Comme la première fois dans la forêt de Lillubia, les Métharciens ont fouillé mon sac. Mais pas mon corps…

 Sur ces mots, devant mon regard attentif, elle enleva ses bracelets dorés, qu’elle portait toujours.

– Notre Pierre de Vie est si petite… depuis le début, je l’ai cachée dans un de mes bijoux.

 À l’intérieur du bracelet qu’elle me montrait, je découvris un interstice où se logeait une toute petite bille dorée. La Pierre étant de la même couleur que son contenant, il fallait vraiment bien observer pour faire la différence. Une parfaite cachette, en effet.

 Penaude, elle reprit :

– On a conçu ce bracelet pour y placer notre Pierre. Elle a toujours été là, contre ma peau.

J’en restai coi.

– Arianna l’a tout de suite vue, reprit-elle. Swèèn l’a deviné aussi, je crois, lorsqu’il m’a complimentée sur mes « jolis bracelets enroulés à mes délicats poignets ». Je pense que c’était pour m’inciter à en parler. Ils avaient compris.

– J’imagine que c’est le genre de choses que la reine des fées et qu’un Limosien peuvent aisément sentir…, finis-je par dire.

– Nêryah… j’ai utilisé le pouvoir de la Pierre pour vous aider à ranimer vos terres. Arianna s’en est rendue compte, souffla-t-elle, confuse, comme s’il s’agissait d’une mauvaise nouvelle.

 Je me remémorai la scène. Auprès de l’arbre sacré des Guéliades, Orialis avait les mains levées vers le ciel, comme si elle tenait quelque chose. La lueur dorée ne provenait donc pas seulement de ses antennes… Je comprenais mieux, maintenant, cette soudaine puissance. Nos deux Pierres de Vies avaient interagi l’une avec l’autre, créant un océan de magie.

 Devant mon mutisme, elle ajouta :

– Pardonne-moi, Nêryah, je sais que je ne mérite pas ta confiance et…

– Franchement, Orialis, l’interrompis-je, presque exaspérée par ses excuses. Je ne peux que te remercier. Grâce à toi, au pouvoir de ta Pierre, la guérison a pu se faire bien au-delà de nos espérances ! Ensemble, nous avons sauvé notre royaume ! Et tu viens de me révéler toute la vérité. Je ne t’en veux pas. Cesse de te tracasser pour ça. Raconte-moi plutôt ; l’Ombre nous a séparés et m’a emmenée dans sa demeure, mais de votre côté, que s’est-il passé ?

– Nous avons été attaqués par un bataillon de Métharciens. Des esprits sombres les ont rejoints. Swèèn nous a prévenus de leur arrivée. Il faisait si noir, dans cette forêt ! On ne pouvait pas se battre dans de telles conditions. Nous étions assaillis de toute part, mais avant que nos ennemis ne nous encerclent complètement, j’ai voulu me cacher pour utiliser le pouvoir de ma Pierre de Vie sans être vue, malgré l’interdiction d’Avorian de nous séparer. Je me suis éloignée d’eux, derrière un arbre, mais avant que j’aie pu faire quoi que ce soit, deux Métharciens m’ont attrapée. Je me suis défendue, mais que faire, contre ces créatures ? Je ne devais surtout pas leur montrer ma Pierre ! Je ne sais pas ce qu’il est advenu d’Avorian et de Swèèn, j’ai juste aperçu la lueur de leurs pouvoirs. Ils n’ont rien pu faire pour moi, assiégés de leur côté. Je ne sais même pas s’ils sont encore en vie ! Je n’aurais jamais dû les quitter !

– Je suis certaine qu’ils s’en sont très bien sortis. Ils sont tous deux très puissants. L’important est que tu sois saine et sauve, malgré ce que tu as enduré. On est deux maintenant, et puisque tu es née Gardienne, tu as forcément une bonne étoile qui veille sur toi.

– Je l’espère ! Mon étoile ne s’est guère montrée jusqu’ici. Les Métharciens m’ont traînée un jour ou deux dans cette maudite forêt – dans cette pénombre, j’ai perdu la notion du temps –, avant de m’emmener à leur maître, ici-même.

 Je relatai à mon tour mon enlèvement dans la forêt – en précisant qui était Sèvenoir – puis le terrible combat contre le Métharcien. Pendant mon récit, Orialis prit un air tourmenté. Elle me rappela combien ces créatures étaient extrêmement puissantes, dotées d’incroyables pouvoirs. Le fait que je réussisse à en vaincre un était un réel exploit. Cela semblait beaucoup l’impressionner.

– Pour moi, cela n’a rien d’un exploit. J’ai tué quelqu’un, Orialis. Te rends-tu compte ? Je me sens horriblement mal ! J’ai l’impression d’être une meurtrière, maintenant ! J’aurais préféré mourir plutôt qu’en arriver là…

 Je m’interrompis, trop remuée pour pouvoir continuer, mes joues trempées de larmes. Ce fut à son tour de me prendre dans ses bras en me berçant doucement.

– Nêryah… Tu n’y es pour rien, me chuchota-t-elle à l’oreille. Ce qui s’est passé est assurément abominable. Mais tu n’as fait que te défendre contre une créature féroce. C’est elle, la meurtrière, et l’Ombre, son seigneur… Pas toi ! Alors je t’en prie, enlève cette idée de ta tête. Dans notre monde, ce sont des choses qui arrivent fréquemment, hélas. Des entités sombres ont créé des alliances avec d’autres créatures ; des armées prêtes à tout pour prendre le pouvoir. Le crime qui a été commis envers les Guéliades en témoigne. Tu es trop précieuse pour pouvoir abandonner si facilement. Reprends-toi. Chasse ces mauvaises pensées.

 La Noyrocienne me prit par les épaules, son regard gris-jaune ancré dans le mien. Je ne parvenais pas à lui rendre son sourire.

 Orialis montrait encore une fois la persévérance des Orfiannais face aux caprices du destin ; leur incroyable capacité d’adaptation.

 Je songeai à toutes nos aventures depuis mon arrivée sur Orfianne.

 Finalement, nous rencontrions ici les mêmes grands maux que sur Terre : la volonté d’obtenir plus de pouvoir, ou de détruire ce qui dérange, ce qui effraie. Dans le monde des humains, ces afflictions engendraient guerres et tourments. Sur Orfianne, cela se traduisait par les entités sombres, contrées par la puissance des Pierres de Vie.

Nous avons tous tendance à refouler nos peurs au lieu de les accepter, songeai-je. Les conflits extérieurs ne sont que les miroirs de nos luttes internes, de nos propres ombres. Terriens et Orfiannais n’aspirent en fait qu’à la quiétude.

 Nous étions coincées dans ce labyrinthe souterrain, condamnées à subir les méfaits de l’Ombre. Son piège retardait notre voyage vers le Royaume de Cristal où le Sage Orion et les autres Gardiens nous attendaient. Allions-nous réussir à y parvenir à temps ? Devant cet avenir incertain, nous ne pouvions faire qu’une seule chose.

 Avancer.

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