Chapitre 54 : Partie de cache-cache

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 La pluie avait enfin cessé. Nous avalâmes quelques baies et fruits. Je me préparai un lit de mousse pour dormir. Orialis aussi s’était lavée et changée. Elle portait une robe couleur vert-foncé, dont la coupe longue et droite mettait en valeur sa jolie ligne. Sa sacoche devait être ensorcelée, à l’instar des nôtres, pour pouvoir contenir autant de choses.

 La forêt s’assombrit, annonçant une nuit noire.

  • Je ne te vois jamais boire, Orialis, observai-je, intriguée.
  • Notre corps est constitué d’une manière différente du vôtre. Les Noyrociens n’ont pas besoin d’eau pour survivre mais, à la place, d’énergie solaire. Nos antennes captent automatiquement des composantes appelées « astinas » pour en faire une réserve ; ce sont d’ailleurs ces dernières qui les rendent dorées. Nous demeurons ainsi en bonne santé même par temps nuageux. Mais nos stocks ne sont pas éternels. Nous vivons dans de vastes plaines et ne sortons malheureusement pas beaucoup de nos terres… en raison de notre métabolisme. Nous avons créé dans nos localités une technologie permettant de stocker les astinas, notre principale source de nourriture, pour en faire des provisions.
  • Comment as-tu fait pour tenir pendant tout ce temps dans ce sombre cachot, sans lumière solaire ?
  • Je suis très résistante ! plaisanta Orialis, haussant le menton.

 Je la dévisageai d’un air admiratif, la bouche et les yeux grands ouverts. Quelle créature incroyable !

  • Nous passerons la nuit ici, nous interrompit Avorian.

 Après avoir mangé dans un silence digne de notre épuisement, je m’allongeai sur mon lit de mousse, fraîchement fabriqué, et plutôt douillet finalement. Heureusement que je ne ressentais pas beaucoup le froid, à la différence d’un véritable être humain, car l’humidité de l’air m’aurait assurément glacé les os.

 Avorian restait assis sur la racine d’un arbre à contempler Héliaka ; la lueur jaunâtre de l’astre perçait les nuages, et son reflet scintillait sur l’eau. Il semblait songer à d’autres lendemains. Peut-être l’observation du ciel éveillait-elle en lui quelques souvenirs ?

 La Noyrocienne s’endormit à mes côtés, posant sa tête contre ma poitrine. Ses antennes me chatouillaient le menton, mais je la laissai faire : nous avions grandement besoin de nous réchauffer.

 Je me réveillai soudainement, en sursautant, avec la désagréable impression de n’avoir que très peu dormi. Il faisait encore nuit. Avorian me secouait par les épaules. Je me sentis aussitôt en danger.

  • Ils approchent…, souffla-t-il dans un murmure.

J’entendis des bruits dans les buissons. Je fus prise d’une panique qui me paralysa.

  • Les… Métharciens ? marmonna Orialis d’une voix encore endormie.
  • Cachez-vous dans les arbres, ordonna Avorian, qui semblait quant à lui parfaitement conscient et apte à combattre.

 Ses directives nous ramenèrent à la réalité.

 Les sons se rapprochaient de notre campement. Je grimpai en vitesse sur l’arbre contre lequel j’avais dormi, gravissant une partie du tronc noueux en posant mes pieds dans les interstices pour aller le plus haut possible. Avec ma souplesse et mon endurance, ce n’était pour moi qu’un jeu d’enfant.

 Je m’allongeai à plat ventre sur une large branche, suspendue dans les airs. L’épais feuillage me camouflait totalement. Sous ce ciel nocturne, je ne voyais plus Avorian, ni Orialis.

 Je distinguais enfin nos perturbateurs de sommeil : une dizaine de Métharciens. Ils regardaient partout autour d’eux, se courbant pour étudier nos traces de pas dans la boue.

Pourvu qu’ils ne me voient pas ! pensai-je, prise d’une frayeur incontrôlable.

 Ils repartirent explorer plus loin, sans doute attirés par les empreintes de mes amis en fuite. Mais un dernier monstre resta là. Il m’avait sans doute repérée. Peut-être par mon odeur ? Haletant d’effroi, je posai doucement ma bouche contre la branche pour masquer ma respiration, mes mains agrippées à l’écorce pour ne pas tomber.

 Mon dieu ! Il lui suffisait juste de relever la tête pour me voir !

 Je priais Dieu et tous ses Saints, les yeux et sourcils plissés par la terreur.

 Au bout de quelques minutes, qui me semblèrent une éternité, le Métharcien s’en alla rejoindre les autres, fouillant et détruisant les plantes environnantes sur son passage.

 Je relevai la tête pour enfin respirer. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine !

 Lorsque nos poursuivants furent hors de ma vue, je descendis prudemment de mon perchoir. Mon corps tremblait encore, complètement crispé. Je rendis grâce à l’arbre qui venait de me sauver la vie. Ses larges feuilles vert foncé, de forme orbiculaire, m’avaient parfaitement dissimulée.

 Je courus chercher les autres. Pourquoi ne sortaient-ils pas de leur cachette, maintenant que tout danger semblait écarté ?

 Je regardais au niveau des branches, explorant derrière les plantes, mortifiée – en vain. Ils demeuraient introuvables, et je ne pouvais pas les appeler, au risque d’attirer l’attention de nos ennemis.

Ils n’ont pas pu se faire prendre, sinon j’aurais perçu quelque chose, et vu la magie d’Avorian, raisonnai-je, tentant de me rassurer. Ils ne doivent pas être bien loin.

 Il valait mieux que je retourne au campement, afin d’éviter que chacun se perde de son côté.

 Je m’assis sur une racine, observant l’eau du bassin ondoyer sous la caresse du vent. La vie de la forêt reprenait son cours, indifférente à mes tourments. J’attendais, encore et encore. L’aube pointait à l’horizon.

 Je me mis à sangloter, mon visage enfoui dans mes mains, désespérée. Comment pouvais-je m’en sortir, moi, toute seule, ignorant tout de ce monde ?

 J’entendis alors un bruit dans les feuillages. Je vis la silhouette d’une jeune femme svelte, merveilleusement belle, à la démarche gracieuse. Une autre ombre plus grande la suivait. Orialis prit mes mains trempées de larmes dans les siennes, et me serra fort contre elle. Elle me berça tendrement, telle une mère avec son enfant.

  • J’étais tellement angoissée pour vous deux ! lâchai-je entre deux sanglots.

 Avorian vint nous rejoindre et s’agenouilla à côté de la Noyrocienne, posant une main sur mon épaule.

  • Pourquoi avez-vous mis tout ce temps ? m’indignai-je, encore sous le choc. J’avais peur de ne plus jamais vous retrouver !
  • Il n’y avait pas d’assez bonne cachette aux alentours, expliqua Avorian d’une voix douce. Et je suis loin d’avoir ta souplesse pour grimper aux arbres aussi vite ! Nous nous sommes abrités sous des fourrés. Mais les pisteurs ne partaient pas, comme s’ils avaient senti notre présence. J’ai dû créer un champ de force pour nous masquer. Les Métharciens sont télépathes, ils peuvent facilement intercepter nos pensées. Par chance, quelque chose a détourné leur attention. Nous avons cru apercevoir des silhouettes…
  • Des fées ? m’enquis-je.
  • Non, de grandes silhouettes. Je ne sais pas si c’était intentionnel, mais ces personnes nous ont sauvés, compléta Orialis. Comment allons-nous faire avec ces Métharciens qui nous traquent ?
  • Voyons les choses du bon côté : nous avons reçu de l’aide, assura Avorian.
  • Comme si quelqu’un veillait sur nous, renchéris-je. Cela ressemble à Arianna.

 Nous reprîmes la route, malgré cette nuit blanche. Nous nous écartions des sentiers pour rejoindre les buissons épais, longeant les arbres géants. Quelques rayons du soleil persistaient à travers la canopée, mais la forêt demeurait sombre, et ce, même en pleine journée. Nous ne croisâmes toujours pas les êtres mystérieux qui semblaient nous protéger, à distance. À croire qu’ils avaient sécurisé le chemin, et repoussé nos ennemis. Nous nous sentions redevables.

  • Cette forêt a-t-elle une fin ? désespérai-je.
  • Oui… tout comme le désert que nous avons traversé, me taquina Avorian, se souvenant que j’avais posé la même question à propos de Gothémia.
  • Je me demande bien comment tu parviens à te repérer, Orialis, observai-je.
  • Ne t’en fais pas, pour cette région, je pense que c’est bon, mais après…
  • On trouvera, la coupa Avorian.

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