Chapitre 39 : L’oasis

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 Je sentais des présences autour de moi. J’ouvris lentement les paupières. Je crus initialement rêver ou bien être au paradis, car je me trouvais au bord d’un petit étang, entouré de palmiers et d’une mer de sable. Une jeune femme à la beauté sublime se tenait à genoux, à mon chevet. Un ange ?

 Je recouvrais peu à peu ma vue et mes esprits. Ce n’était donc pas un mirage, mais une oasis, au beau milieu de ces terres arides ! Des arbres exotiques encadraient un bassin d’une eau bleutée, scintillante. J’avais très envie d’y plonger malgré mon état ; mais je demeurai interdite, hypnotisée par la beauté de cette jeune femme aux yeux acajou et aux traits si délicats, si angéliques ! Son regard de braise incarnait le mystère, la magnificence. De fins pointillés noirs épousaient la forme de ses yeux, renforçant leur lueur flamboyante, et des lignes brunâtres prolongeaient ses paupières jusqu’au niveau des tempes. Ses lèvres purpurines, charnues, ainsi que ses pommettes saillantes attestaient de sa douce sensualité. Sa peau hâlée brillait de façon surnaturelle ; en l’examinant avec plus d’attention, je vis que la texture même de son épiderme se composait de paillettes dorées. Elle en avait principalement sur les bras et les jambes.

 Jamais je n’avais vu pareille splendeur. Quel charme troublant, fulgurant ! J’aurais pu contempler des heures entières sa silhouette gracile.

– Tu as de la chance que je t’aie trouvée, me dit la jeune femme en m’enduisant le corps d’eau. Je vais te redresser pour te faire boire.

Je reconnus ma gourde ; elle avait dû la sortir de mon sac pour la remplir. Je bus à grosses gorgées mais avalai de travers dans ma précipitation, toussant et en recrachant une partie.

– Doucement ! Tu vas t’étouffer ! me dit-elle en me tapotant le dos.

 Incapable de parler, je lui adressai un regard désolé. Je ne voulais pas gâcher une ressource si précieuse. Je me mis à rougir, gênée, puis la dévisageai une nouvelle fois, subjuguée par sa grâce.

 Un bandeau pourpre retenait sa longue chevelure d’ébène ; cela lui donnait un petit air sauvage, espiègle. Elle portait une longue jupe vermeille fendue sur un côté, avec un haut rouge-brique qui laissait apparaître son ventre. Je découvris que tout comme moi, elle n’avait pas de nombril à proprement parler, mais à la place, une sorte de petite spirale dorée, ressemblant à un embryon. Je me rappelais que selon Avorian, le mien avait perdu sa dorure en raison de mon trop long séjour sur Terre.

 Elle reprit :

– Tu es vraiment très astucieuse. Tu as pris les piquants des Glemsics pour te frayer un chemin dans le désert jusqu’à ton ami ? C’est ingénieux. Ton système nous a permis de le retrouver.

 Quel soulagement. Avorian était donc là, quelque part, et peut-être en vie.

– M… merci, bredouillai-je d’une voix faible.

– Je m’appelle Kaya. Ton ami va bien, rassure-toi. Je l’ai réhydraté. Il dort pour le moment. Quelqu’un l’a soigné de façon magique. C’est toi ?

 La dénommée Kaya parlait l’Orfiannais avec un drôle d’accent, mais je la comprenais très bien.

– Euh… oui. Ça a marché ?

– Oui. C’est extraordinaire ! Ton pouvoir de guérison dépasse notre médecine, je n’ai jamais rien vu de tel !

– Où est-il ? m’enquis-je, les idées à peine en place.

– Juste là, sous les palmiers. Mais laisse-le dormir, il doit encore se reposer.

 Elle m’indiqua de la main un bosquet, à quelques mètres de nous.

– Je veux… juste aller le voir, lui tenir la main, insistai-je, les larmes aux yeux.

– Je vais t’aider à te relever, concéda Kaya en hochant du chef.

 En me redressant, je me rendis compte que je ne portais même plus de cicatrices.

– Oh, je suis complètement rétablie ! Merci !

Elle pencha délicieusement la tête sur le côté, les sourcils relevés, un sourire amusé.

 Ma sauveuse passa un bras autour de moi pour me soutenir, et nous avançâmes ensemble en direction des palmiers. Je tenais à peine sur mes jambes. Je me demandais comment Kaya avait pu, toute seule, nous traîner moi et Avorian jusqu’ici. Lorsque je lui fis part de cette observation, elle m’expliqua qu’un homme l’accompagnait, et que l’oasis se trouvait toute proche de l’endroit où je m’étais évanouie – ironie du sort !

 La jeune femme me raconta qu’après m’avoir déposée ici, ils avaient remonté la piste jusqu’à Avorian grâce aux piques des Glemsics qui les avaient beaucoup intrigués. Puis, son compagnon était parti prévenir leur village. Nous allions pouvoir séjourner auprès d’eux, le temps de nous reposer.

– Merci infiniment ! lui répondis-je. Pour tout.

 Elle leva les yeux au ciel, manifestement gênée de recevoir autant de louanges.

 Arrivées auprès de mon ami, je m’assis précipitamment à ses côtés. Je pris doucement sa main dans la mienne. Mes doigts sentirent son pouls au niveau du poignet. Sa poitrine se soulevait au gré de sa respiration. Je poussai un long soupir de soulagement, et m’adonnai à la contemplation de son visage endormi. Une lourde tension s’évacuait enfin de mon corps.

– Tu vois, il va bien, me confirma Kaya, le sourire aux lèvres.

 Elle alla remplir nos gourdes, prenant soin de m’en laisser une, puis grimpa avec agilité le long d’un palmier pour y cueillir des fruits jaunes semblables à de petites boules. Je la regardais faire, admirative.

 Je m’allongeai contre Avorian, et finis par m’assoupir.

 Quelque chose bougea sous moi. Je me redressai lentement. Il ouvrit enfin ses paupières.

– Avorian ! criai-je en le serrant contre moi. Vous êtes en vie ! Oh, mon Avorian ! Vous m’avez tellement fait peur ! Vous revenez de si loin ! Oh…

 Je libérai tous les sanglots de détresse contenus depuis le drame. Kaya nous observait du coin de l’œil. Elle eut la délicatesse de nous laisser seuls, poursuivant sa cueillette.

– Tous les Glemsics sont morts, nous sommes hors de danger, annonçai-je, reprenant mes esprits. Cette jeune femme nous a sauvés.

 Je désignai Kaya d’un geste de la main. Avorian tourna légèrement la tête pour apercevoir notre bienfaitrice, perchée en haut d’un arbre.

– Nous allons pouvoir séjourner chez eux. C’est bien le village dont vous m’aviez parlé, que l’on devait atteindre pour la nuit ?

– Oui… il n’en existe qu’un seul dans ce désert, haleta-t-il d’un ton faible.

 Il s’arrêta de parler pour reprendre son souffle.

– Buvez un peu, lui conseillai-je en approchant ma gourde à ses lèvres.

 Le mage but lentement – contrairement à moi – puis reprit :

– J’avais averti les Komacs de notre venue. La… chose que je dois récupérer… se trouve chez eux. Cette jeune fille a été guidée par notre bonne étoile.

Mon Dieu[1], vous la trouvez bonne, notre étoile ? Après tout ce que nous avons subi ?

– C’est toi… mon petit porte-bonheur, souffla-t-il d’une voix presque éteinte, plongeant son regard gris dans le mien. Nêryah, j’ai entendu ta voix lorsque j’étais sur le point de mourir. Tu m’as rappelé d’entre les morts… et tu as découvert ton pouvoir de guérison ! Ma chère petite…

Ses yeux se refermèrent un instant. Quelques larmes glissèrent le long de ses joues imberbes. Je m’inquiétais de son état de santé.

 Kaya nous apporta les petits fruits ronds. J’étais émerveillée par son tact et son sens du timing. J’aidai mon ami à manger, puis savourai à mon tour les fruits juteux. Au niveau gustatif, on aurait dit une figue accouplée à une goyave. Un véritable délice !

 Avorian se rendormit. Je le laissai se reposer. En attendant son réveil, j’allai me baigner en compagnie de la belle Kaya. Elle me confirma que son peuple savait que nous étions en route pour les rencontrer. Ils connaissaient le mage depuis longtemps ; ce dernier avait communiqué avec eux avant notre départ, une sorte de télépathie poussée.

 Je lui contai nos mésaventures dans le désert. La Komac me confirma que le comportement des Glemsics était inhabituel, tout comme ces tempêtes si soudaines. Elle en déduisit tout comme moi qu’une puissance supérieure tenait à ce que l’on ne ressorte jamais de Gothémia.

 Le mage s’éveilla. Je sortis de l’eau pour le rejoindre. Je n’arrivais même pas à courir tant mes jambes étaient encore fébriles. Elles tremblaient sous mon poids.

 À mon grand soulagement, son visage avait repris quelques couleurs. Kaya prolongea sa baignade, probablement pour nous laisser seuls. Je la remerciai intérieurement de sa bienveillance.

– Comment vous sentez-vous ?

– Mieux.

– Je vous croyais invincible ! Je me sentais tellement perdue sans vous ! confessai-je, les yeux humides.

– Allons, personne n’est invincible. Ce ne sont pas les Glemsics qui ont eu raison de moi. J’ai ressenti une forme de magie… très sombre. Et je n’arrive pas encore à savoir à qui elle appartient.

– On aurait vraiment dit le pouvoir des êtres des ombres. Ils m’avaient étranglée moi aussi, dans la forêt. Sauf que cette fois, on ne les voyait pas !

– C’est bien cela qui me préoccupe…

– Existerait-il un nouveau type d’esprits sombres ?

– Je l’ignore. Nêryah J’ai vu ta lumière avant de m’éteindre. Tu as déployé un sort étonnant. Tu n’es pourtant qu’à l’aube de ton apprentissage, c’est incroyable !

– Merci… j’ai juste eu la volonté de vous protéger. Mais j’ai senti en moi une rage dévastatrice. Je les ai tous abattus, lançai-je, dépitée.

– Les Glemsics n’étaient pas dans leur état normal. Tu as choisi l’option la plus juste, me rassura Avorian d’une voix douce et chaleureuse. Je t’en remercie ; dans le cas contraire, je ne serais plus là pour en témoigner.

– C’est vrai, avouai-je. Je ne voulais pas les exterminer, seulement nous défendre. Je déteste ce qui s’est produit. Je n’ai rien contrôlé ! J’ai peur de ce que je pourrais devenir...

Je lui adressai un sourire timide, le regard perdu. Je ne voulais pas le fatiguer avec mes états d’âme.

– Je comprends ce que tu ressens, ma petite Nêryah. La magie des émotions est effrayante… Petit à petit, tu sauras t’en détacher. Orfianne te prêtera sa force lorsque tu te sentiras en parfaite harmonie avec elle.

 Il me prit dans ses bras, consola mon chagrin en me berçant, à la manière d’un père. Je songeai au drame qu’il avait vécu, à cette grande bataille où il n’avait pas pu sauver les siens. Malgré son besoin de repos, mon ami écoutait mes lamentations, toujours présent pour moi.

– Malgré ton enfance passée sur Terre, tu maîtrises certaines techniques à la perfection. Mais il faudra que tu prennes l’habitude de te construire un bouclier lorsqu’un danger se présente, c’est essentiel ! reprit-il.

– Vous avez raison. J’ai le meilleur professeur qui soit au monde, alors je vais tâcher d’y penser. Pourquoi les Glemsics se sont-ils volontairement attaqués à vous, comme s’ils étaient contrôlés ?

– Ils l’étaient, c’est évident. Il faut croire que la personne qui les dirigeait m’en voulait beaucoup, ironisa-t-il, le sourire aux lèvres.

Je trouvai sa plaisanterie de mauvais goût.

– Au point de vouloir vous tuer ! Et cette personne savait pertinemment où nous nous rendions. C’est plus qu’inquiétant !

 Je lui tendis en fruit, puis observai un instant la splendide Komac nager dans l’oasis, songeuse.

– Sèvenoir ? proposai-je. Pourquoi nous aurait-il attaqués maintenant ? Peut-être venait-il tout juste de nous localiser…

– La grotte des feux sacrés est un lieu protégé par une magie pure, ancestrale. Sèvenoir ne pouvait pas nous atteindre là-bas. Mais je doute que ce soit lui le responsable. Ce n’est pas sa façon de faire…

– Pourtant, il vous a maudit dans l’église. C’est tellement étrange. La dernière fois que je l’ai vu, ou entendu dans ma tête, Sèvenoir disait vouloir m’aider. Je ne comprends pas ce qu’il cherche exactement.

– À vrai dire, moi non plus.

Kaya nous fit signe de la rejoindre dans l’eau.

– Nous devons partir. Rafraichissez un peu vos corps. Le village n’est pas loin, nous y serons à la tombée de la nuit.

 Après la baignade, nous garnîmes nos sacs des petits fruits jaunes et reprîmes la route, guidés par la majestueuse fille du désert. Nous demeurâmes silencieux afin d’économiser notre salive. Nos gourdes pleines, nous pouvions boire régulièrement ; ce qui nous permit de bien progresser, malgré notre fatigue.

 Au bout d’un moment, notre envie de nous découvrir et de discuter fut plus forte que notre raison : Kaya se présenta à Avorian, et lui relata la façon dont elle et son compagnon m’avaient trouvée. Ils cherchaient des embanores – les créatures dont nous avions vu le squelette lors de notre arrivée dans le désert – pour les apprivoiser et en faire des montures. Les embanores avaient pour habitude de s’abreuver à cette oasis. Mais cette fois, le troupeau n’était pas venu. Sans doute à cause des Glemsics de la veille. Alors qu’ils allaient rentrer bredouille, mes traces les avaient menés jusqu’à moi.

 Je me demandais à quoi ces fameux embanores pouvaient bien ressembler. J’espérais en apercevoir, un jour, et peut-être même chevaucher l’un d’eux !

Lorsque j’évoquai à Kaya mon sentiment de culpabilité vis-à-vis des animaux que j’avais dû tuer pour nous protéger, elle répondit :

– Tu n’avais pas le choix. Et crois-moi, les Glemsics se seraient faits un plaisir de vous dévorer.

 Nos capes légères ondulaient au gré du vent. Celle de Kaya, de couleur pourpre, dansait sur le sable orangé, telle une flamme. La jeune Komac symbolisait notre flambeau, notre espoir au milieu de ce désert sans vie.


[1] En français dans le texte. Nêryah utilise quelques expressions françaises sans s’en apercevoir. Avorian commence à avoir l’habitude des « mon dieu », « zut », « j’en ai marre », dont il a largement saisi le sens.

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