Chapitre 29 : Orfianne versus Terre

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 Le lendemain, nous repartîmes en compagnie de notre petite fée.

– Je pourrai vous accompagner jusqu’à la grotte, mais pas au-delà, nous expliqua-t-elle. Mon rôle est de protéger la forêt.

– Merci de ta présence, elle nous sera d’une grande utilité pour nous repérer dans ce vaste domaine, lui répondit Avorian.

 Chemin faisant, je demandai s’il existait d’autres modes de transport que la marche sur Orfianne. Le mage m’expliqua une nouvelle fois combien les Orfiannais aimaient se déplacer ainsi. Ils voyageaient le plus souvent à pied, ou à dos d’animaux. Leur magie les aidait à se téléporter d’un endroit à un autre uniquement en cas d’urgence. La notion d’écologie n’existait pas en tant que telle puisqu’il n’existait aucune forme de pollution ou de détérioration de la faune et de la flore.

 Les Noyrociens, ce peuple aux antennes dorées résidant dans de vastes plaines, maîtrisaient l’art de concevoir des vaisseaux très sophistiqués, silencieux et non polluants. J’avais eu l’occasion d’en voir un atterrir proche de chez Avorian. Leurs machines se révélaient aussi élégantes qu’impressionnantes !

 Ils utilisaient cette technologie avec parcimonie. À l’instar des Métharciens, ils étaient également capables de construire des vaisseaux spatiaux pour explorer les étoiles, mais ne ressentaient pas le besoin de le faire. Les Noyrociens ne connaissaient pas l’ambition, ni la volonté d’agrandir leurs territoires, ou ce désir d’acquérir « toujours plus », propre à une grande partie de l’humanité. Les Orfiannais vivaient en harmonie avec leur planète. Hormis les sombres créatures issues des pensées des Terriens et les Métharciens, avides de s’approprier la planète tout entière, ce monde ressemblait à un véritable paradis.

 J’interrogeai ensuite Liana à propos de son rôle de gardienne de la forêt. Elle m’apprit qu’elle devait veiller à ce qu’aucune créature dangereuse – c’est-à-dire les ombres nées des humains – ne pénètre dans le vaste domaine des fées. Garante de la bonne entente entre tous les peuples de la forêt, Liana transmettait les informations et coordonnait leurs échanges. Notre enchanteresse occupait une place centrale dans la forêt, assurant le lien entre tous les règnes. Je contemplai la jolie fée à la peau vert-pâle et aux cheveux émeraudes, admirative.

 Cette discussion avait sérieusement fait passer le temps. L’après-midi déjà bien entamé, nous nous accordâmes une pause pour manger des fruits et nous délasser les jambes. Liana alla se poser sur la branche d’un arbre. Je l’observais en train de grignoter les bourgeons.

 Après ce repos bien mérité, nous reprîmes le petit sentier tapissé de fleurs blanches. Curieuse de découvrir cette nouvelle flore, je regardais partout autour de moi. Des fougères arborescentes peuplaient la forêt, ainsi que de nombreuses plantes « lampadaires » – vivement cette nuit !

 Les rayons du soleil perçaient la canopée, projetant des ombres mystérieuses sur la végétation.

 Les sujets de discussions ne tarissaient pas. Ce fut à mon tour de parler du monde dans lequel j’avais toujours vécu.

 J’expliquai à mes amis les moyens de transports utilisés sur Terre ainsi que notre mode de vie typiquement occidental : c’est-à-dire travailler pour se nourrir, se loger ; élever ses enfants. Je contai combien le matérialisme dominait le monde et dévorait la nature. J’appris à Liana que la plupart des Terriens ne voyaient pas les fées ; ils n’y croyaient d’ailleurs même pas. Notre adorable guide gloussa à cette idée qui lui semblait véritablement inconcevable. « Comment peut-on croire en nous, ou même nier notre existence ? Nous sommes bien là, réelles, vivantes ! Les Terriens sont-ils aveugles ? », s’étonna-t-elle. « Oui, en quelque sorte… », lui répondis-je.

– Bien des Terriens préfèrent croire en ce qui les arrange, renchérit Avorian. La plupart n’ont plus la capacité d’en voir, toujours à cause de ce phénomène d’oscillation : les différents mondes qui constituent notre Univers vibrent d’une façon singulière, chacun à leur « fréquence ». Le taux vibratoire des humains a considérablement diminué, il s’est comme alourdi, les empêchant d’approcher les autres dimensions, devenues invisibles pour eux. Il y a bien longtemps, nos deux planètes possédaient des champs électromagnétiques similaires, leurs forces et leurs particules étant analogues, comme deux notes formeraient un accord harmonieux en musique.

 En tant que fille adoptive de musiciens, j’aimais cette analogie entre les différentes dimensions et les accords en musique. Je voyais l’Univers comme un vaste orchestre, les planètes et les mondes étant ses instruments. Tous vibraient sur une note singulière, et s’accordaient néanmoins à travers les âges. La partition se déroulait au gré des évènements, avec ses crescendos, puis ses diminuendos, selon la respiration du grand mouvement de la vie. J’imaginais la mélodie de chaque monde, leur vibration se colorer de toutes les fréquences et les rythmes possibles. Une composition somptueuse, grandiose, éternelle…

– Sur Terre, on parle de plus en plus de la matière noire et de la théorie des cordes, spéculant sur cette idée de mondes parallèles, complétai-je, incapable de me départir de mon côté « jeune fille surdouée ».

– Les Terriens retrouvent scientifiquement ce qu’ils connaissaient jadis par empirisme. Dans un passé désormais lointain, ils ne mettaient pas en doute notre existence. Ces temps-là sont révolus. Au lieu de prendre conscience de leur véritable nature, les humains mettent leur monde en danger, oubliant qu’ils sont pourtant tous de la même race, de la même planète. Nous ne faisons pas autant de distinctions entre nos contrées ou entre nos peuples.

 Et pourtant, contrairement aux êtres humains, je venais de constater que les peuples d’Orfianne se distinguaient avant tout par leur physionomie.

Quel riche enseignement pour les Terriens ! songeai-je, admirative.

– Alors que nous, sur Terre, on se bat pour agrandir nos territoires. Notre planète souffre d’une pollution démesurée. Les rares moments où l’humanité s’entraide et prend conscience de cette dimension planétaire sont lors de drames ou de catastrophes naturelles. On a tous tendance à s’empêcher d’être heureux en rejetant la faute sur notre système de vie, et on a beau le savoir, on n’entreprend rien pour aller vers nous-mêmes, confiai-je. Comment s’ouvrir à d’autres mondes puisque nous sommes incapables de visiter nos propres profondeurs ?

– C’est justement cette partie sombre, constamment réprimée, rejetée par les Terriens, qui engendre nos monstres sur Orfianne, intervint Liana. Je dois continuellement les repousser de notre belle forêt. Nous sommes contraintes de cacher notre village pour nous en protéger ! C’est pourtant en acceptant son ombre qu’un être vivant peut évoluer. Bien des Terriens n’entendent plus l’éternelle mélodie des arbres, ni le chant de l’eau. Ils ne distinguent pas non plus cette lueur au fond des yeux de chacun. Je constate avec tristesse qu’ils se contentent de siphonner leur planète pour construire des objets inutiles, des machines, des murs gris. C’est comme si, en réalité, ils avaient peur de vivre. Les Terriens jouent aux créateurs en défiant la Vie, mais à la longue, leur monde risque de disparaître, pour renaître de ses cendres.

– Malgré cette déchéance, les deux planètes, elles, restent étroitement liées, rappela Avorian. Les Terriens possèdent un immense pouvoir du Verbe et de la pensée. Ils pourraient s’en servir à bon escient, et même accomplir des miracles !

Le Verbe est créateur, toutes les religions en parlent…, songeai-je.

– Le plus dangereux est le fait d’ignorer ce pouvoir. Ils ne se rendent absolument pas compte de ce qu’ils sont capables de faire, révéla Liana.

 Les paroles d’Avorian et de la petite fée me tourmentaient. Non seulement la Terre était dans une situation critique, mais en plus, cette menace se répercutait également sur Orfianne. Comment sauver deux planètes ?

 Nous marchâmes, toujours en bavardant jusqu’à la tombée de la nuit. Contre toute attente, les longues heures de randonnée dans ces panoramas sublimes m’aidaient à trouver une certaine quiétude.

 Nous nous arrêtâmes enfin dans une petite clarière, entourée d’arbres semblables à des hêtres. Un ruisseau s’écoulait non loin, d’où ce choix judicieux pour notre bivouac. Les plantes lampadaires, comme j’aimais les appeler, éclairaient les sous-bois de leur sphère blanchâtre phosphorescente. Leur douce lueur nous permit de ramasser du bois pour faire un feu.

 Je me réchauffais auprès des flammes. Liana, infatigable, voletait autour de nous.

 Les étoiles scintillaient dans le ciel ; Héliaka me rappelait chaque nuit que je me trouvais sur Orfianne, et non sur Terre. Cela réveilla quelques craintes en moi :

– Pouvons-nous dormir tranquilles ? Pas besoin de tours de garde, cette nuit ?

– Tout ira bien. Cette forêt est protégée par les fées et puis… nous avons un garde du corps hors pair, n’est-ce pas ? plaisanta Avorian en désignant Liana.

– Ne t’inquiète pas, renchérit-elle. Je connais mon domaine par cœur, et je peux pressentir les dangers.

 Elle se confectionna un lit de mousse dans un coquillage : nous devions nous trouver proche de la mer. Après un dîner frugal, je m’endormis à ses côtés.

 J’éprouvais une profonde tendresse, mêlée d’admiration à l’égard de cette petite fée, si radieuse et forte à la fois.

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