Chapitre 16 : Un endroit maudit

6 minutes de lecture

 À l’aube, après une nuit agitée, je sortis du lit d’un bond, désorientée. J’avais une désagréable sensation de vertige. J’enfilai ma robe bleue. J’avais besoin d’aller respirer dehors, de marcher pieds nus dans la nature. Je me sentais profondément seule dans cet univers étranger. Ces nouveaux pouvoirs m’effrayaient. Pourquoi la magie servait-elle avant tout à détruire et à se défendre ? Ce monde paraissait pourtant si beau, si serein ! Comment la contrôler dans mon état ? Mes émotions allaient-elles prendre le dessus, me transformer en guerrière dévastatrice ? Je désirais tellement me réfugier dans les bras de ma mère ! Et aussi m’adosser contre un arbre pour y pleurer toutes mes larmes, comme je le faisais sur Terre, chez moi. Complètement déboussolée, je passai par les ouvertures aux formes arrondies, sans portes, gardées par une magie surprenante dont j’ignorais tout. Je jetai des coups d’œil autour de moi : aucun signe d’Avorian. Dormait-il encore ?

 Je courus aux abords du ruisseau. Ce monde… ces sensations curieuses dans mon corps… mes pouvoirs… Comment intégrer toutes ces choses en même temps ? Je ressentais un tel poids sur mes épaules. Totalement effondrée, je plongeai la tête dans le torrent, espérant me réveiller de ce cauchemar. Je n’obtins aucun résultat convainquant, sinon une chevelure trempée et quelques frissons supplémentaires.

 Je fus tirée de mes pensées par la vue d’un étrange oiseau dans le ciel. Il descendait en piqué, droit sur moi.

Il me semble bien imposant pour un simple volatile, me dis-je.  

 Je scrutai l’horizon, intriguée. Non, ce n’était pas un oiseau, mais un lion… un lion volant aux ailes d’ange !

 Je l’observais, médusée, les yeux agrandis de stupéfaction : quelle majesté dans sa façon de planer, grâce à ses gigantesques plumes argentées !

– Oh ! Incroyable ! laissai-je échapper tout haut.

 Le lion ailé se posa délicatement, juste devant moi, repliant ses longues ailes contre son pelage blanc argenté. L’animal s’ébroua, faisant valser sa crinière. Je reculai d’un bond, interdite. Il m’impressionnait autant par sa grande taille, plus haute que celle d’un fauve africain, que par son aspect chimérique.

 L’animal m’examinait de ses beaux yeux gris. Malgré mon appréhension première, je me sentis soudainement apaisée par sa présence, son regard tendre.

– Fais attention, me dit-il sans préambule. Il arrive.

Il parlait en plus ! Son timbre, doux et agréable à entendre, était comme dédoublé. On aurait dit les voix superposées d’un être masculin, l’autre féminin.

– Que… quoi ? balbutiai-je, bouche-bée.

 Mais il disparut, en un clin d’œil, se volatilisant sous mes yeux ébahis.

– Où est-il passé ? m’interrogeai-je, abasourdie.

 Je n’eus le temps de le chercher ou d’appeler Avorian. Je fus de nouveau aspirée par le « transgèneur », dans la colonne lumineuse. Je me débattis avec fureur, hurlai, frappai dans le vide – en vain.

 Ma conscience s’évadait, au-delà de l’espace-temps. Je ne sentais plus mon corps, apparemment disloqué.

 Je retombai brutalement sur un sol dur, froid. J’ouvris mes paupières et m’aperçus que je me trouvais… dans une église.

Une église ? Sur une autre planète ? Suis-je rentrée sur Terre ?

 En relevant la tête, j’entendis une musique effrayante : un chant religieux déformé, presque éteint, venant du lointain ; une complainte inquiétante fredonnée par des voix fantomatiques. Pourtant, j’étais bien seule.

 Je me relevai avec peine, un peu sonnée, m’accrochant à une des colonnes de pierre qui soutenait la voûte de la nef. Je vérifiai l’état de mon crâne, le palpant délicatement. Pas de blessure, ni de bosse. Par contre, le bas de ma robe bleue s’était déchiré, et j’avais mal à la jambe droite.

 Je me dirigeai vers l’habituel et logique emplacement de la porte. Horreur. Je ne découvris aucune sortie.

 En quête d’une issue, je slalomai entre les bancs en bois verni et les majestueux piliers en pierre, ornés de somptueuses frises. Il faisait très sombre. L’éclairage se composait de bulles de lumières magiques, suspendues dans les airs. Les vitraux aux couleurs chatoyantes constituaient la seule véritable source de lumière. Le plus grand attira mon attention : on y voyait une jeune femme ailée vêtue d’une toge blanche aux côtés d’un ange déchu. Ils se tenaient la main. Un halo flamboyant les entourait.

Le Yin et le Yang, visiblement opposés, mais complémentaires.

 À ma gauche, derrière les colonnes, j’aperçus quatre statues de taille humaine sculptées en pierre blanche. Je m’approchai. L’une d’elle représentait une sirène tenant un coquillage dans sa main ; la sculpture d’à côté, un lion ailé, tout comme celui que je venais de rencontrer ; la troisième effigie, une femme souriante avec des cheveux en feuilles, habillée de plantes et de fleurs. La dernière me dérouta au point de me transformer à mon tour en statue : je la fixais les yeux grands ouverts, figée. Et quelle ironie, elle me ressemblait ! On aurait vraiment dit mon portrait, comme si je me tenais face à un miroir. Ma réplique était vêtue d’une magnifique robe blanche taillée à même la pierre. Pour seule différence, la couleur de ses cheveux, peints en bleu. Était-ce un membre de ma famille ? Ma mère biologique, ou une sœur ?

 Si c’était bien une femme de ma véritable lignée, cela signifiait que mon ancêtre devait certainement être connue sur Orfianne, au point de la présenter ainsi comme une sainte. Avorian la connaissait-il ?

 Je contemplai encore quelques instants la relique, le ventre noué, puis traversai l’allée centrale, entre les deux rangées de gradins. Cette sinistre mélopée devenait insupportable, il fallait que je parte. L’angoisse latente se propagea dans tout mon corps. J’en frissonnai d’effroi.

 Prise de vertiges, je décidai de chanter pour me réconforter, et surtout pour couvrir cette ritournelle spectrale. J’entonnai un Kyrie, un chant religieux en latin, d’une voix cristalline.

 Je parcourus le monument en fredonnant. Je m’arrêtai devant l’autel recouvert d’une nappe en soie blanche sur laquelle se reflétait la lueur des vitraux les plus proches. Un vieux livre poussiéreux était posé dessus. Je l’ouvris, constatai que l’écriture manuscrite ne ressemblait à rien de connu sur Terre.

Cela confirme que je suis encore sur Orfianne, résonnai-je. Dans ce cas, comment se fait-il qu’une église se trouve ici, dans ce monde ? Jésus n’a quand même pas colonisé d’autres planètes, que je sache !

 En observant les arches se rejoignant en pointe au plafond, je compris que je me trouvais dans une église de type gothique – d’un point de vue Terrien, bien-sûr. Ce qui signifiait que les deux planètes étaient semblables au point de construire les mêmes types d’édifices. La résurrection du Christ se serait-elle faite sur Orfianne ? Cela me paraissait absurde. Il devait y avoir une autre explication. Puisqu’Avorian connaissait bien la Terre, peut-être les Orfiannais reproduisaient-ils les monuments Terriens qu’ils affectionnaient sur leur propre planète ?

 Je ne savais pas pourquoi, mais je me sentais observée. Je chantai alors un peu plus fort, clamant mon « Kyrie eleison » à destination des voix fantomatiques. De toute manière, quelqu’un m’avait emmenée de force par transgèneur. Ne connaissant que deux Orfiannais, et au vu de cette mise en scène effrayante, je pouvais aisément deviner de qui il s’agissait.

 Je cheminais en psalmodiant mon air, malgré la douleur à ma jambe, longeant chaque colonne. Je ne trouvais aucune sortie. Par ailleurs, même si je parvenais à quitter cet endroit, je devais sans doute me trouver bien loin du charmant jardin d’Avorian.

 Je pris conscience du piège qui se refermait sur moi. De nature claustrophobe, je commençais à paniquer, accélérant le pas.

Pourvu qu’Avorian s’aperçoive vite de mon absence ! m’inquiétai-je.

 Alors que je me dirigeais de nouveau vers l’autel, j’aperçus un escalier que je n’avais pas remarqué auparavant. Il descendait sous terre et menait sans doute à une crypte. J’empruntai les marches, non sans frémir dans le noir. Je distinguai une faible lueur en bas, diffusée par quelques bougies disposées en cercle sur une table en granit. La petite taille de la pièce me mit mal à l’aise.

 Soudain, je sentis une présence juste derrière moi. Je n’osais me retourner, totalement figée par la peur. Je répétais inlassablement ces mots, comme pour me protéger :

Kyrie elei…

 J’interrompis ma dernière syllabe. Littéralement stupéfiée, je retins mon souffle, la gorge serrée. La présence en question effleura délicatement mon épaule gauche et descendit subrepticement sa main le long de mon bras, frôlant ma peau de manière subtile. Cette fois, je me retournai d’un mouvement vif, la respiration haletante.

 Il n’y avait personne derrière moi. La sensation disparut. Effrayée, je remontai l’escalier en tremblant de plus belle. Aucun chant ne put sortir de ma gorge.

 Cet endroit me rendait folle. J’avais réellement perçu quelque chose sur mon bras, je n’avais pas rêvé. Était-ce les méfaits d’un esprit ? Apparemment, non : j’entendis des bruits de pas derrière moi. Une démarche lente, mesurée. Je pivotai, l’angoisse au ventre. Une ombre vêtue d’une longue cape noire marchait dans ma direction. L’être portait ce masque si reconnaissable, aux courbes gracieuses, comme un flot de larmes éternelles.

 Sèvenoir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0