Chapitre 11 : Une Lune beige

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 J’observais la planète beige dans les cieux, la bouche grande ouverte.

– Comment suis-je arrivée là ? C’est impossible ! Et comment saviez-vous que j’étais chez Sèvenoir ?

– Pour te résumer brièvement les choses, Orfianne est un monde de magie. Tous les Orfiannais possèdent des pouvoirs. Grâce à mes capacités, j’ai su que Sèvenoir t’avait emmenée : transporter quelqu’un d’un monde à l’autre nécessite une quantité d’énergie incroyable. Cette forme de magie laisse des traces. L’arbre, à côté de ta maison, est en réalité une porte entre nos deux mondes. Nous l’avons fabriquée et placée ici pour te récupérer le moment venu. Nous utilisons l’énergie du chêne afin de créer un passage, une sorte de brèche dans l’espace-temps.

– On croit rêver ! Je ne suis pas sûre de tout saisir. Vous employez toujours le pronom « nous », de qui parlez-vous ?

– De moi et d’autres Orfiannais.

– Attendez, si, effectivement, je me trouve maintenant sur une autre planète, comment se fait-il que nous parlions la même langue ? Vous me parlez en terrien là, en français plus précisément, tout comme l’homme masqué.

– Non. C’est toi qui, instinctivement, t’es mise à parler en Orfiannais.

 Mon ravisseur m’avait répondu la même chose ! Cela provoqua un déclic en moi : je revisualisai la scène, et me rendis compte qu’effectivement je n’employais plus le français. Je parlais dans une autre langue sans m’en rendre compte, comme lorsque j’étais enfant. Ma mère m’avait surprise de nombreuses fois en train de soliloquer dans un langage inconnu.

 Dans ce cas, mes fameux amis imaginaires étaient peut-être bien réels, eux aussi. La petite fée ainsi que la chiromancienne-fantôme venaient probablement d’ici !

– Je te l’ai dit, tu viens de cette planète. Tu connaissais déjà notre langue, elle est restée enfouie au plus profond de toi. Tu t’es même aventurée quelquefois sur Orfianne, par la porte de l’arbre. Rarement, puisqu’il est dangereux d’utiliser ce type de transport, mais suffisamment longtemps pour apprendre notre langue – entre autres. Te souviens-tu que tu attendais des amis, auprès du chêne ? Nous venions effectivement te chercher. Tes disparitions ne duraient que quelques minutes, en temps terrien. En réalité, tu restais ici plusieurs jours.

– Plusieurs jours ! Comment ça ? Je m’en souviens à peine !

– Le temps s’écoule différemment d’un monde à l’autre. Le temps « linéaire », tel qu’il est conçu par les Terriens, n’existe pas. Seule notre conscience observe le temps qui passe. La flexibilité de l’espace-temps offre des rayonnements extratemporels. On peut parler de dilatation temporelle, ou d’épaisseur du temps. Il s’agit d’isoler localement une zone spatio-temporelle, c’est-à-dire de changer de fréquence, de vibration.

 Devant mon expression perplexe, il ajouta :

– La Loi de l’espace-temps est complexe… pour simplifier les choses, sache que nous pouvions te ramener « chez toi » quand nous le désirions. Comme si l’on « remontait » le temps. Tu pouvais vivre d’innombrables expériences sur Orfianne, puis revenir parmi les Terriens l’instant d’après.

– C’est… incroyable ! Mes parents m’ont parlé de mes disparitions. Je me souviens d’avoir vécu des aventures extraordinaires. Je croyais que c’était juste un rêve, un jeu ! Ou que mon imagination débordante avait créé tout ça pour me protéger du réel, comme le font d’autres enfants.

 Je fis quelques pas, examinant ce nouveau monde, intriguée. La flore ressemblait à celle de la Terre, mais tout semblait plus éclatant. Je ne reconnaissais pas ces essences d’arbres aux longues feuilles pennées, ni ces étranges petites fleurs, presque transparentes au pistil jaune ambré encadrant les bassins.

 J’étais en train de fouler un sol extraterrestre.

Sérieusement ? Mon Dieu !

 Avorian m’observait du coin de l’œil.

– Mais alors, puisque nous parlons une autre langue... comment se fait-il que sur le linceul dans lequel ma mère m'a retrouvée, mon nom a été cousu en alphabet terrien ?

– Les fées sont capables de s'exprimer dans toutes les langues, de n'importe quel monde. Nous voulions que tes parents adoptifs puissent t'appeler par ton véritable prénom. Arianna, une fée d'Orfianne, l'a cousu en employant l’écriture terrienne de ton pays adoptif pour cette raison.

– Une fée ! Comme celle que j’ai vue ! Incroyable... Donc, récapitulons : je viens de cette planète mais vous m’avez mise sur Terre par « mesure de précaution ». Ensuite, Sèvenoir[1], l’homme masqué, me récupère en affirmant qu’il me connaît également, comme si je l’avais déjà vu durant mon enfance. J’apprends enfin que ce monde est plein de magie... J’ai du mal à concevoir toutes ces choses en même temps.

– Oui, il y a de quoi être déboussolé face à de telles révélations.

– Je suis donc… une espèce d’extraterrestre ?

– D’un point de vue Terrien, oui. Mais il serait plus juste de parler d’une origine « extradimensionnelle ». Tu es Orfiannaise, conclut-il.

– D’accord… Je crois que je suis en train de devenir folle !

 Je m’écroulai sur cette mousse si douce, songeant à tout ce que l’on venait de m’affirmer. Je ressentis une sensation de vertige et perdis conscience quelques instants, abasourdie, mais revins rapidement à moi. On entendait le son du ruisseau s’écouler un peu plus loin. Sa mélodie m’aidait à organiser mes pensées.

 Étais-je réellement humaine ? Ma physionomie légèrement différente, le fait que je ne sois jamais tombée malade, ces disparitions inexplicables… toutes ces données portaient à croire que je venais effectivement d’un autre monde.

 J’avais quitté la Terre ; cette curieuse planète beige le prouvait. Je vivais là quelque chose d’invraisemblable.

 Avorian me laissa seule, perdue dans mes pensées.


Il revint un peu plus tard, un verre à la main.

– Bois ça. Ça va te faire du bien. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas du poison.

Grâce à sa présence douce et rassurante, le mage gagnait petit à petit ma confiance. Contrairement à l’homme masqué, il me parlait avec beaucoup de bienveillance, et l’endroit où il m’avait amenée me semblait bien plus accueillant.

Complètement assoiffée, je bus le breuvage couleur orange dont se dégageait une odeur fraîche, sucrée. Délicieux ! Un jus de fruits et légumes, vraisemblablement. Je ressentis une chaleur légèrement piquante envahir mon corps, à l’image du gingembre. Mes pensées devinrent alors plus claires.

 Je caressais le sol moelleux tout en essayant d’assimiler cette surprenante vérité :

– Pourquoi m’avoir mise sur Terre, alors ? Et pourquoi me récupérer maintenant ?

– Sèvenoir t’a enlevée, ce n’était pas prévu. Cela dit, il était temps que tu reviennes.

– Comment ça ?

– La planète Terre est en train de mourir. Et les Terriens avec elle.

[1] Traduit des termes Orfiannais « Shi », « Mura », respectivement « Sève », « Noire ». Nêryah entend les mots « Shi » « Mura » et les traduits instinctivement par leur signification, et non comme un prénom. Nêryah les prononce correctement en Orfiannais, mais en relatant son histoire, elle note le sens du prénom, en français, au lieu d’écrire « Shimura ».

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