Chapitre 8 : Le présent

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– Nêryah ! Nêryah ! Où t’es-tu encore cachée ?

– Ici mamaaaan !

– Mais où ?

– Regarde ! Hahaha !

La petite fille de six ans était montée tout en haut du vieux chêne, lovée parmi les branches rassurantes de son ami.

– Mon Dieu ! Descends immédiatement, Nêryah !

L’enfant obéit promptement à sa mère. Elle sautait de branches en branches avec agilité, glissa aisément sur le tronc. Sijia l’attendait, les mains posées sur ses hanches.

– C’est drôlement haut ! P’tit singe, va ! Pourquoi passes-tu autant de temps ici ?

– J’attends quelqu’un.

– On peut savoir qui, ma chérie ?

– Mes amis…

– Tes amis ?

– Oui… mes amis.

– Des oiseaux ?

– Non… enfin, ce sont aussi mes amis. Mais eux ils viennent de très loin. Alors faut que j’les attende dans l’arbre. C’est plus facile, répondit naturellement la petite fille.

– Sacrée Nêryah, je ne comprends pas grand-chose à ce que tu me racontes, mais c’est très amusant tout ça.

 Après ce rêve, ou plutôt, ce souvenir d’enfance, je pensais que tout ceci n’était pas réel, et que j’allais me réveiller dans mon lit, chez moi, avec mon chat. Mais lorsque j’ouvris mes paupières, je me trouvais dans une salle sombre, froide, éclairée par quelques torches.

On se croirait dans un château, me dis-je. Je pouvais en effet distinguer d’immenses colonnes de pierres grises reliées par des arches soutenant le plafond voûté en berceau.

 On m’avait attachée avec… de sortes de lianes, contre l’une des colonnes, mes bras derrières mon dos. Je remuai ; les lianes se cramponnèrent à moi, comme animées, se resserrant autour de mes membres. Je tentai une nouvelle fois de m’en libérer, usant de toutes mes forces pour écarter mes poignets, secouant mes jambes, serrant mes abdominaux, sans aucun résultat. Je me retrouvai dans une position encore plus inconfortable, en génuflexion, les épaules en tension.

Depuis combien de temps suis-je ici ?

 Mes genoux étaient ankylosés. Je me raidis. Ma gorge se serra.

Calme-toi, Nêryah. Souffle… Je parvins à ralentir ma respiration, mais mon cœur tambourinait encore dans ma poitrine. Il avait beau faire froid, je transpirais à grosses gouttes, et mes joues étaient brûlantes.

 Je portai mon regard aux alentours, les sens en alerte, essayant d’endiguer le sentiment de panique qui montait en moi. Je discernais grâce à la faible lueur des flammes des bas-reliefs sur chaque mur. Des personnages et des décors sculptés. Impossible cependant d’en voir les détails. Cette vaste pièce semblait vide. Ni table, ni meubles. Et surtout, je ne voyais aucune ouverture. Pas une fenêtre… rien.

 Comment avais-je pu me retrouver dans ce décor moyenâgeux ?

 Mon sommeil venait de m’apporter la réponse, par le biais d’images inquiétantes : quelqu’un m’avait enlevée. Je me souvenais à présent du chêne, de la lumière rouge, de Mina aboyant et de cette ombre étrange. Ensuite, le trou noir.

Mina… j’espère qu’elle va bien.

 Ma tête allait un peu mieux, je me sentais moins sonnée qu’à mon premier réveil. Pourtant, je ne parvenais plus à faire la distinction entre le monde des songes et la réalité.

Où se termine le rêve ?

 J’entendis des bruits de pas sur le sol marbré. Une ombre, sans doute celle d’un homme, avançait en ma direction. Je pivotai légèrement la tête pour l’observer, l’angoisse au ventre. L’inconnu portait une longue cape noire encapuchonnée. Je ne voyais pas son visage, qu’il cachait sous un masque blanc. Même ses mains étaient dissimulées par des gants de cuir. Impossible de deviner à quoi il pouvait ressembler. Cette vision m’horrifia davantage.

 Il s’approcha, puis s’arrêta devant moi.

 Qu’allait-il me faire ? Il restait là, immobile. M’examinait-il à travers son masque ? Totalement effrayée, je priai pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar. Je voulais me réveiller, chez moi ! Mais je sentais encore les liens enserrant mes poignets, empêchant mon sang de circuler correctement. Je devais bouger au plus vite mes membres engourdis. Impossible de me relever ou de desserrer mes entraves. Et cette colonne de pierre glacée, si dure contre mon dos, n’arrangeait rien !

 Je n’arrivais pas à parler, ni à émettre le moindre son, tant ma mâchoire demeurait crispée.

– Ne crains rien, Nêryah… je dois juste vérifier ton état de santé, ainsi que ta dorure.

 Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire par « dorure », mais sa voix me rassura un peu. Son timbre, à la fois suave et mélancolique, jurait avec son apparence ténébreuse, laissant transparaître une once d’humanité. Je soufflai longuement, libérant tout mon air, et les mots dévalèrent d’un coup de ma bouche.

– Où sommes-nous ? Pourquoi suis-je attachée ? J’étais dans mon jardin, et je me retrouve ici !

 J’avais parlé tellement vite, la voix tremblante, que cet inconnu n’avait certainement pas pu saisir mes questions.

– Tu es venue à moi, affirma-t-il pourtant. De ton plein gré.

 Je le regardai, les yeux agrandis, interloquée. Je secouai la tête pour signifier que non, jamais je n’avais voulu venir ici, et encore moins être attachée.

– Dans ce cas, que faisais-tu dehors, au beau milieu de la nuit ? me demanda-t-il.

– Je suis venue… parce que vous m’avez appelée, réalisai-je à haute voix, détournant les yeux.

– Précisément. Une partie de toi voulait me rejoindre, Nêryah.

Il a raison. Cette voix, dans mon rêve, me disait : « viens à moi ». Et c’est exactement ce que j’ai fait ! Sans le savoir, je me suis littéralement jetée dans la gueule du loup !

 Irritée, je me maudissais de lui avoir obéi.

 Et… la fameuse voix de l’arbre le jour où je pleurais. C’était la sienne ! Elle appartenait bien à cet homme masqué !

– Comment connaissez-vous mon nom ? remarquai-je, stupéfaite.

 L’inconnu s’éloigna, ignorant ma question.

 Les minutes s’écoulaient, interminables. Leur durée semblait se dilater. Je me sentais ivre de fatigue, courbaturée. J’avais des fourmis dans les jambes, cela devenait insupportable, et pour couronner le tout, je souffrais d’une forte migraine. Je manquais cruellement de sommeil puisque j’avais eu la brillante idée d’aller contempler un arbre à trois heures du matin. Ce qui m’avait valu un kidnapping... Quelle idiote !

 Je perdis la notion du temps. La faim me tenaillait le ventre. Je ne savais même pas où j’étais. Mes parents allaient-ils pouvoir me retrouver ? Je commençais sérieusement à me demander si je n’avais pas voyagé dans le temps, d’où l’aspect vétuste de ce lieu et de ce curieux personnage. Je vis ce dernier revenir vers moi, un pot en terre dans une main.

 Mon ravisseur s’approcha, se penchant au-dessus de ma tête. Je pus voir son masque en détail : complètement blanc, hormis quelques traits noirs qui partaient de l’emplacement des yeux, descendaient en s’arrondissant comme un hameçon au niveau des joues, telles d’épaisses larmes. D’autres tracés remontaient au-dessus des sourcils. On aurait dit un masque de carnaval. Ces dessins tout en courbes lui donnaient un air presque androgyne, ajoutant au mystère. J’observais deux ouvertures très fines à l’emplacement des narines afin qu’il puisse respirer, une petite ligne pour la bouche. Impossible en revanche de discerner la couleur de ses yeux à travers les deux petites fentes en amandes.

 Mon Dieu, qu’allait-il me faire ? Sa présence, si proche de moi, me rendait terriblement anxieuse. Alors que mon corps tremblait de frayeur, l’homme porta simplement le récipient à mes lèvres pour me faire boire. Je les pinçai, réticente.

– Il faut te réhydrater, Nêryah, souffla-t-il d’une voix douce. Pardonne-moi de t’avoir attachée, mais les voyages spatio-temporels sont dangereux. Je devais être sûr que tu ne deviennes pas folle, ou que tes pouvoirs soient incontrôlables.

 Une fois encore, je ne saisissais pas le sens de cette phrase, mais sa voix semblait réellement pleine de regrets. J’entrouvris la bouche, et reconnus le goût de l’eau. Complètement assoiffée, j’avalai tout le contenu d’un seul trait.

– Comment connaissez-vous mon nom ? insistai-je.

– Je te connais depuis bien longtemps. 

 Comment savoir si je l’avais déjà vu puisqu’il dissimulait son visage ? Je le scrutai, l’air intrigué.

– Je te connais depuis longtemps, répéta-t-il calmement.

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