Mon genre

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Il faut que je dise quelque chose, quelque chose qui me fait mal depuis aussi longtemps que je me souvienne.
Quand j'étais en maternelle, en petite ou moyenne section, je me suis rendu.e compte de quelque chose qui m'a fait énormément de mal. Je ne correspondais pas à ce qu'on attendait de moi en tant que fille et plus j'y réfléchissais, moins j'en étais une. Ma réflexion d'enfant de cet âge m'a mené.e à me dire que j'étais un garçon mais là aussi ça ne fonctionnait pas. Peu importe la façon dont je réfléchissais, je n'étais ni une fille, ni un garçon, j'étais quelque chose qui flottait entre les deux, peut-être même pas. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me détester.
Très vite, j'ai été qualifié.e de «garçon manqué» et j'ai émis la seule hypothèse possible: j'avais été raté.e, mes parents m'avaient raté.e et ce n'était pas de leur faute, c'était de la mienne pour ne pas avoir réussi.e à m'adapter. Je ne me suis jamais enlevé.e cette idée de la tête, que quelque chose n'allait pas chez moi et je ne savais pas quoi faire. Je haïssais être une fille et je ne pouvais pas être un garçon alors que pourtant je le voulais. J'espérais que le temps que je grandisse, on invente quelque chose qui fasse que je devienne un garçon et que je ne sois plus une erreur. Sauf que tout le monde voulait que je sois une fille alors je ne pouvais pas l'être: j'étais la fille de ma mère, la princesse de mon père, la fille qu'il voulait avoir, je n'étais pas ce que je voulais mais ce que tout le monde voulait et ça me faisait d'autant plus mal qu'on me répétais – et répète encore – que je n'étais pas assez féminine. Je n'étais jamais assez féminine, et pourtant on me genrait comme telle et on voulait que j'agisse comme telle: me tenir droite, ne pas roter, ne pas parler trop fort, cuisiner, prendre soin de moi, m'épiler... Je n'en avais rien à faire de tout ça mais il fallait que je le fasse. J'étais une erreur, il fallait que je ne le sois plus d'une façon ou d'une autre.
J'ai arrêté de chercher à savoir à quel point j'étais une erreur en grandissant, j'ai juste gardé en tête que j'en étais une et je ne savais pas pourquoi. Je n'avais pas encore l'âge à deux chiffres que je me détestais au point de me dire qu'il aurait mieux fallu que je n'ai jamais existé. Cette pensée, elle m'est restée longtemps, très longtemps, d'autant plus que les autres gamins de mon âge me repoussaient et m'insultaient, la renforçant facilement.
Ça n'a pas été facile avec l'adolescence car j'étais à la fois fier.e d'enfin développer ces symboles de féminité qui devaient faire de moi une femme, une vraie, et à la fois je me suis rendu.e petit à petit compte que ce n'était pas ce que je voulais. Seulement, comme j'avais décidé d'oublier le problème originel de mon mal-être, je ne savais pas pourquoi ça n'allait pas ou ce que je voulais.
J'ai commencé à me rappeler du problème en première, parce que j'avais appris ce qu'était la transidentité, la non-binarité, et que j'avais appris qu'il n'existait pas que deux genres. J'aurais pu dès ce moment-là accepter que je n'étais pas une fille mais même si je l'avais compris, j'avais trop peur de l'accepter parce que j'avais toujours vécu selon l'image que les autres avaient de moi. Alors j'ai commencé à dire que je n'étais pas une fille à certaines personnes et ça allait un peu mieux. J'ai tenté de donner des noms à mon identité mais j'avais trop peur de l'admettre envers ceux qui avaient modelé ma façon de penser dès mon plus jeune âge alors je me contentais de jouer à cellui qui savait qui iel était mais ce n'était pas le cas. Puis de plus en plus, j'ai admis que je ne savais pas auprès de ces personnes car je recommençais à avoir peur, pas tant que ça d'eux mais de moi.
J'ai recommencé à avoir peur de moi parce que je suis en train de retomber dans ce mal-être. J'essaie d'en rire, d'aller mieux, mais ça ne fonctionne pas et je panique de plus en plus. J'ai toujours paniqué et été mal mais je n'arrive plus à le cacher et les personnes que j'aime le remarquent.
Le truc, c'est que je sais que j'ai passé ma vie – en tout cas toute la partie dont je me souviens – à être dans le déni à mon sujet, et je vois ce déni comme un pansement. Ça fait trop longtemps que je l'ai pour que ça ne fasse plus mal, j'ai récemment essayé de le retirer lentement, petit à petit en décollant les bords et parfois j'y allais trop fort et je pleurais dessus parce que j'avais peur d'accepter ce que j'avais compris, puis de temps à autre, j'appuyais au niveau de la blessure volontairement pour me faire mal mais merde. Là, j'ai arraché le pansement. Je l'ai arraché et ça m'a fait putain de mal parce que j'ai encore peur d'admettre ce qu'il se cachait en dessous et je pourrais à tout instant décider de remettre ce pansement usé et de continuer à faire comme si il n'y avait rien et que j'étais la personne que certains croient que je suis. Je ne le suis pas.
Je suis non-binaire. Je ne m'identifie ni comme une femme, ni comme un homme. Certes, j'utilise des pronoms féminins mais ça ne veut rien dire et je les supporte de moins en moins. Je veux être considérée comme une personne non-binaire et je veux que mes pronoms soient respectés. Je veux qu'on me demande quels pronoms je veux qu'on utilise à chaque fois et je veux qu'on m'écoute. Alors il arrivera parfois que je me genre au neutre, au féminin et même au masculin. Mes pronoms sont les suivants: iel et il. Ils ne sont pas fixes, je suis fluide dans ma façon de me genrer. C'est d'ailleurs fort probable que ça veuille dire que je suis genderfluid mais je préfère qu'on me qualifie de personne non-binaire, c'est une appellation qui me met plus à l'aise avec moi-même et par laquelle je veux être présenté.e.
Je n'ai jamais été une fille et je ne m'en excuse pas pour ça. J'ai suffisamment rouvert ma plaie pour pouvoir aujourd'hui réussir à mettre un nom sur ce que je suis, j'accepte enfin qui je suis et j'en suis fier.e.

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