Les aliens existent ?!

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Membre de l’Agence Internationale d’Exploration Spatiale Humaine fondée en 2073 à l’initiative de la Chine, Daisy Kamkwamba est l’une des cinquante personnes actuellement présentes sur Mars. Les manuels d’Histoire décrivent le remplacement de l’ISS (affaiblie et incapable de se moderniser en raison de la perte d’intérêt des Etats, des investisseurs et du public) par l’IHSEA (pour International Human Space Exploration Agency), comme un événement inéluctable. Loin d’être un phénomène isolé, cette transition est tout à fait représentative de la période des « Trente Douloureuses » (2020-2050) et de ses conséquences sur l’organisation du monde.

De nombreuses décennies se sont écoulées, depuis les premières tentatives de voyage vers la planète rouge. Space X et Blue Origin ont fait faillite depuis des années, et les Américains, n’ayant jamais véritablement réussi à se remettre du choc récessif d’une importance inédite qui a surgi dans l’après Covid-19, peinent désormais à restituer à leur pays sa puissance passée.

D’autres Etats ont néanmoins su tirer leur épingle du jeu et les « Trente Douloureuses » ont finalement bien contribué à accélérer leur hégémonie. Le bouleversement des rapports de force, tant sur le plan politique qu’économique et stratégique, a radicalement transformé les grands équilibres planétaires et définitivement scellé les alliances et les rivalités entre Etats pour la deuxième moitié du XXIème siècle.

Bien que ce nouveau visage de la scène internationale crée de nouvelles fractures entre pays, ces derniers semblent aussi avoir retenu une leçon vitale de la crise ; désormais, l’heure est à la solidarité internationale. La priorité ? Eviter tout nouveau choc global, dans un monde déjà très fragilisé par la recrudescence des phénomènes meurtriers liés au changement climatique.

Concrètement, cette volonté s’est traduite par la création d’importants organismes internationaux dans de nombreux domaines, à la souveraineté partagée et incontestée, profondément démocratiques et très efficaces. Parmi ces institutions mondiales, en plus des indispensables instituts de recherche pour la santé et des instances de gouvernance mondiale, on trouve l’IHSEA. Cette agence a connu des débuts chaotiques, de nombreux opposants ayant dénoncé la futilité des dépenses engendrées par l’exploration spatiale et exhortant les Etats à redistribuer son budget dans des causes plus nobles. Mais les dirigeants ont su faire preuve de patience et d’écoute à l’égard des populations – encore un apprentissage tiré des pénibles années 2020-2050. La création de l’IHSEA a fini par être soumise à une concertation citoyenne d’une ampleur inimaginable et, au terme de longues négociations, le plan final a été adopté.

Dès lors, les activités de l’Agence Internationale d’Exploration Spatiale Humaine sont devenues un incontournable sujet de médiatisation, faisant de nombreux jeunes chercheurs et chercheuses de véritables icônes.

Daisy Kamkwamba est une personne fascinante. Il parait qu’au début du XXème siècle, les personnes comme elle étaient parfois cibles de moqueries. Elle est passionnée, et sa vie peut être résumée à sa vocation. Depuis le début de sa carrière, et même dès ses années universitaires, la savante a poursuivi son travail acharné dans un but unique : trouver une preuve de vie extra-terrestre. Pour elle, il n’y a jamais eu aucun doute ; nous ne sommes pas seuls dans l’Univers.

Aujourd’hui, elle s’adresse aux Terriens. Rares sont ceux qui ne tremblent pas d’excitation, en ce moment-même, attendant de l’entendre parler. Car Daisy Kamkwamba l’a juré, juste avant son quatrième – et actuel – séjour sur Mars ; elle ne prendrait contact avec les médias qu’en cas de succès ou d’échec total de sa mission. Autrement dit, si elle prend la parole aujourd’hui, c’est parce qu’après quinze ans en tant qu’exploratrice spatiale, il lui parait impossible de continuer, ou alors – et c’est ce que l’on espère tous – elle va nous annoncer qu’elle a enfin la preuve qu’il existe une vie extra-terrestre.

Je me tais maintenant, car Daisy Kamkwamba va parler.

« Habitants de la Terre, bonjour. Je suis Daisy Kamkwamba, exploratrice spatiale, et je vous parle de la planète Mars, où je suis en poste. »

Difficile de dire si elle est heureuse ou dépitée. Daisy Kamkwamba s’exprime d’une voix neutre, et son visage est impassible.

« Comme vous le savez, cela fait plus de quinze ans que je cherche à percer ce qui est sans doute le plus grand mystère de l’Univers. La Vie. N’est-ce pas incroyable de penser qu’aujourd’hui encore, malgré les avancées prodigieuses dans tous les domaines de la Science, à la veille du XXIIème siècle, aucun humain n’est encore capable de la définir, la Vie, de savoir s’il s’agit d’une exception terrestre, et si nous serons un jour capable d’affirmer de manière certaine qu’il y a ou qu’il n’y a pas d’autres êtres vivants que ceux de la Terre ? Ce sont ces interrogations qui poussent les personnes comme moi à partir explorer les autres planètes. Nous partons sans autres certitudes que celles construites de toute pièce par l’Humanité. Comment peut-on penser trouver des réponses ? »

L’Humanité tout entière est suspendue à ses lèvres.

« Mais l’humain est persévérant. Il trouve des éléments de réponse, ou du moins, il croit en trouver. Et fort de ces découvertes, il se sent encouragé, et les recherches continuent. Mais plus on trouve, et plus on se pose de questions. Plus on se sent perdu. Plus on trouve, et plus on cherche. »

Daisy Kamkwamba emploie des mots qui font peur. L’Humanité se sent perdue.

« La force du chercheur est qu’il n’a pas peur d’être perdu. Sa vie est consacrée à l’étude. Il aime ne pas savoir, car ce constat le pousse à chercher. »

Ah, donc être perdu n’est pas si grave. L’Humanité est rassurée.

« Au début du XXIème siècle, l’Homme était naïf. C’était certes facile d’imaginer les extra-terrestres comme des petits hommes verts, mais pas très utile. Aujourd’hui, nous avons réussi à nous détacher de cette vision stéréotypée. »

Daisy Kamkwamba a raison, l’Humanité le sait. Les films de science-fiction antérieurs aux années 2030 sont ridicules. Encore une conséquence positive des « Trente Douloureuses ». Mais on le sait tout ça. Pourquoi prend-elle autant de temps ? Elle a trouvé un alien, oui ou non ?

« Pourtant, aujourd’hui encore, je crois que le concept d’une vie extra-terrestre est difficile à saisir pour la plupart d’entre vous. »

L’Humanité se sent insultée. Le Gouvernement, lui, dit toujours qu’Elle est intelligente et capable de tout comprendre.

« Comme je vous l’ai dit, je cherche une preuve de vie extra-terrestre. Mais la Vie, telle qu’elle est conçue par les Hommes, est une idée abstraite. Peut-être que la vie extra-terrestre est si différente de notre conception que nous la côtoyons en réalité depuis toujours, et que nous ne nous en rendons pas compte car nos outils ne sont pas suffisants. Nous ne pourrons peut-être jamais prouver son existence. »

Qu’est-ce qu’elle est intelligente, cette Daisy Kamkwamba… Mais ses dernières paroles sonnent tout de même très défaitistes aux oreilles des humains. Se pourrait-il qu’elle… n’ait rien trouvé ?

« Je suis au regret de vous annoncer… »

Des cris. Des larmes. Des pleurs. Qui retentissent déjà des quatre coins du globe. Daisy Kamkwamba continue de parler. L’Humanité ne l’écoute déjà plus. L’IHSEA prépare le renvoi de la chercheuse. Au même moment, un raz-de-marée géant engloutit Singapour. Si la cité-Etat a survécu si longtemps, c’est grâce à sa technologie de pointe. Mais le progrès ne sauvera pas la Terre.

C’est idiot. Daisy Kamkwamba sait que la vie extra-terrestre existe. Elle en a la conviction intime. Comme les humains le font sans résultat concluant depuis les années 1960 – plus d’un siècle, déjà –, Daisy Kamkwamba envoie régulièrement des signes de vie au reste de l’Univers, dans l’espoir d’obtenir une manifestation de réponse. Ces techniques sont considérées comme plutôt archaïques par la plupart de ses collègues, mais elle continue de les utiliser, en plus des habituelles recherches de signal ou de lumière exo-planétaires, de chaleur, d’éléments comme l’oxygène et l’eau ou encore d’observation et de prélèvements sur la surface des planètes connues.

Mais au fond d’elle-même, la chercheuse sait que la stratégie des humains est mauvaise. Elle se doute que sa traque est vaine. Mais elle ne connait pas d’alternative pour prouver ce qu’elle sait.

La vie extra-terrestre existe. Mais les extra-terrestres ne sont pas vivants au sens où l’entendent les êtres humains. Une communication entre extra-terrestres et Terriens serait impossible. L’ouïe, la vue, le toucher, le goût et l’odorat n’ont pas d’équivalent en dehors de la planète bleue. On ne peut pas photographier un extra-terrestre. On ne peut pas déterminer sa composition chimique. Un extra-terrestre n’a pas de corps. Il n’émet pas de chaleur. Il ne fait pas de bruit. Il ne parle pas. Il n’entend pas. Il ne pense pas. Il n’écrit pas.

Pourtant, l’exploratrice spatiale sait que la vie extra-terrestre existe.

Mais elle ne peut pas le prouver.

Daisy Kamkwamba m’a rencontré.

Et maintenant, vous aussi.

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