Chapitre 12 : Le récit de Grand'Pa

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Nous nous asseyons. Je m’attends à ce que quelque chose se produise quand soudain, Grand’Pa se met à raconter :

— C’est ici et en même temps, à des milliers de kilomètres de ce lieu, que ma vie de fossile a pris un tournant inattendu. J’explorais les terres du Sud quand une tribu d’autochtones m’a capturé. Ils me rendraient ma liberté si je consentais à les débarrasser de leur Grande Frayeur.

Je m’apprête à lui demander ce que c’est lorsqu’il précise :

— C’était une gigantesque panthère noire !

— Un gardien de la Mère ?

— Exactement. Mais à ce moment-là, j’ignorais totalement l’existence de la Mère.

Je lui demande s'il a obéï aux autochtones.

— Eh bien, je n’avais pas vraiment le choix. Ils m’avaient emmené profondément dans la forêt qui regorge de pièges mortels. Seul, je n’aurais pas pu m’en sortir. Mais, il n’était pas question de tuer cette bête. Mon idée était simplement de l’effrayer pour l’éloigner de son terrain de chasse. Inutile de te dire que la panthère a eu rapidement le dessus sur moi. J’ai bien cru qu’elle allait me croquer. Mais en fait, elle m’a emporté dans sa gueule pour me déposer au pied de Bombacaceah.

— Bomba…ceah ?

— Bombacaceah, le vénérable des terres du Sud. Un colosse de bois et de sève. A travers son écorce, l’esprit de la Mère est entré en contact avec moi. Elle m’a montré les différents âges de sa vie : sa naissance, son âge d’or, son crépuscule et sa résurrection après que l’humanité l’ait longtemps étouffée. Aujourd’hui, il n’est plus question pour elle de laisser notre espèce s’épanouir comme elle a pu le faire autrefois. Elle m’a chargé de véhiculer auprès de mes semblables un message d’équilibre entre elle et tous ses occupants. En échange, elle m’a offert le don de longévité car la zone fossile n’épargne pas les vieillards.

— Pourtant Mamouna…

— Mamouna ne compte pas. Elle a vu le jour dans une cité et y a passé plus d’un siècle et demi avant de s’établir ici. Et que penses-tu d’Alhassan ? Il a environ trente-cinq ans, eh bien, c’est un âge très avancé par ici. Rares sont les authentiques fossiles qui atteignent la cinquantaine.

Je ne peux mettre en doute ces propos en songeant au petit garçon enterré au hameau. Mais la question qui me taraude depuis le début traverse mes lèvres.

— Grand’Pa, je ne comprends toujours pas pourquoi tu as quitté la Cité. Comment as-tu pu abandonner les tiens ?

— Le goût de l’authenticité et de l’aventure, dirai-je. Mon dernier travail à la Cité a été concepteur de voyages virtuels. Très vite, l’inconnu du monde extérieur m’a fasciné. Je voulais calquer la réalité. J’ai donc amassé le plus d’information possible à travers les mémoires de nos anciens et j’ai interrogé les voyageurs qui nous rendaient visites. En ce temps-là, les fossiles commerçaient avec la Cité ce qui permettait de connaître les nouvelles du monde. Cette curiosité malsaine selon le Conseil m’a rendu déviant. Comprends-tu ?

J’acquiesce. La déviance est un symptôme de dégénération cellulaire. Lorsque l’état est avéré, le Conseil ordonne un effacement des cellules. Autrement dit, la fin de l’existence.

— Etre déviant signifie « sortir de la ligne de conduite » instaurée par le Conseil. Ce qu’il ne peut contrôler, le Conseil l'éradique ! Je ne voulais pas être effacé, alors, je suis parti. Plus tard, j’ai colporté le bruit que Primo – c’était mon nom – s’était éteint, afin de pouvoir revenir à la cité de temps en temps sans être en infraction avec le Conseil.

— Tu es donc revenu plusieurs fois ?

— Quelques fois, oui. Je voulais voir ta grand-mère et ton père ; leur parler du monde fossile et de mes découvertes. Hélas, ils avaient refait leur vie et mes histoires ne les intéressaient pas. Je n’existais plus.

— Jusqu’à hier, avec l’argument de la dernière volonté. Est-ce que c’est vrai, es-tu sur le déclin de la vie ?

— Oui, ma chère Uhna, mes jours sont comptés. Je le sens dans mes vieux os. Et je ne peux ignorer que la Mère me rappelle à elle. C’est pour bientôt.

— Est-ce que tu as peur ?

— Te répondre que je n’ai pas peur de disparaître serait un mensonge. Grâce à mon expérience de la vie, ma peur s’est envolée. Je ne vais pas cesser d’exister, du moins pas complètement.

— Grand’Pa, pourquoi m’as-tu emmené ici ? Est-ce que tu attends quelque chose de moi ?

— Quand il est devenu évident que ma vie touchait à sa fin, la Mère m’a demandé de transmettre mon héritage à une personne que j’estime. J’ai rencontré beaucoup de belles âmes. Mais j’espérais aussi pouvoir léguer mon expérience à un membre de ma « famille ». Je sais que ce mot n’est pas approprié. La Mère m’a montré en rêve ton existence et j’ai su que c’était avec toi que je devais partager cela. En définitive, le choix t’appartient de décider de quoi sera faite ta vie. Choisiras-tu d’oublier ces deux jours passés en ma compagnie ? Ou impacteront-ils tes choix futurs ?

Nous demeurons quelques instants dans le silence. Je médite ses dernières paroles. Une vérité m’apparait, soudain : comment vais-je pouvoir retourner à mon quotidien en négligeant la réalité que je côtoie actuellement ?

...à suivre très prochainement...

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