9 : L'ascension

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Le matin vient me trouver tandis que le soleil s’élève au-dessus des montagnes. Je n’ai pas très bien dormi, la nuit a été courte. Tandis que je m’éveille, je commence à ressentir des picotements sur le bras droit. J’ôte la couverture et découvre des plaques rouges circulaires. Je hurle, affolée. Par quoi me suis-je faite piquer ? Est-ce que je vais mourir ?

Poucet arrive en premier à mon chevet et cible immédiatement les responsables : des bêbêtes affreuses qui courent sous le lit. Il semble désolé pour moi, les fossiles n’ont pas pensé que les puces pourraient être attirées par ma peau de connectée. Le jeune garçon s’absente et revient avec une pommade confectionnée par Mamouna. Dès que je m’en enduis le bras, les démangeaisons s’apaisent.

Après un brin de toilette sommaire, j’enfile ma combinaison avant de descendre au rez-de-chaussée. En chantonnant, Mamouna entrelace des fils de laine sur un métier à tisser. Alhassan égrène des pois qui seront bientôt plantés tandis qu’Elaïs nettoie une paire de chaussures brunes aux semelles crantées. Dès qu’elle m’aperçoit, elle cesse et me les remet en baragouinant un propos. Je discerne deux mots « pied » et « montagne ». Je la remercie en hochant la tête puis enfile ce nouvel équipement qui est à peu près à ma taille.

Dans la cabane du Voyageur, Grand’Pa s’amuse avec Poucet, tout en rassemblant des affaires dans un sac à dos. Je le trouve plutôt en forme.

Très vite, vient l’heure de prendre congé du hameau. Alhassan, Aube et Elaïs affirment qu’ils m’envient de la balade que je m’apprête à vivre. Ils ne sont jamais montés là-haut. Cela m’étonne du fait de leur proximité. Je leur promets de leur raconter mon expérience dès mon retour et nous partons.

Nous marchons un peu moins d’une heure sur un chemin rocailleux qui ne cesse de grimper entre les arbres et les rochers. Grand’Pa m’apprend la bonne stature et les techniques pour évoluer en milieux montagneux. Marcher léger, garder la tête dans l'axe du corps, trouver son rythme, penser à s'hydrater régulièrement, etc. Débutante, mon souffle s’emballe, je me raccroche au bronchodilatateur. Nous faisons beaucoup de haltes. Ces pauses me permettent de poser des questions au fossile.

— Qui t’a appris tout ce que tu sais sur la montagne ?

— Eh bien, j’ai eu de bons guides, j’ai décrypté des manuels et j’ai aussi appris de mes erreurs.

— Comment ça se fait que les fo… Je veux dire, Alhassan et les autres ne soient jamais montés ?

— Bah, tous ceux qui veulent atteindre le sommet ne le peuvent pas toujours. En vérité, le plateau des Vénérables est inaccessible.

— Mais, on va s’y rendre, non ?

— Le plateau est à 1600 mètres d’altitude. L’ascension n’est pas simple. Il n’y pas de sentiers. On pourrait grimper d’une manière ou d’une autre ou arriver par la voie des airs mais je ne suis pas sûr qu’on nous permette d’entrer.

— Qui ça, on ?

Mais à cette question, Grand’Pa ne répond pas. Il a déjà repris la marche.

Qui vit là-haut ? Des fossiles plus sélects que ceux du hameau ?

A une intersection, Grand’Pa dit :

— Nous devons prendre le chemin de gauche mais on ne peut pas continuer sans que tu voies ce qu’il y a à droite.

Il parle de manière énigmatique, refuse d’en dire plus et se contente d’un clin d’œil. Alors, nous empruntons cette direction. Le chemin de terre est tout plat, ce qui rend la progression agréable. Quelques minutes plus tard, nous atteignons un belvédère grandiose. J’apprends que nous sommes à environ six cent cinquante mètres du niveau de la mer. Devant nous s’étend une vallée émeraude bordée de massifs forestiers et de montagnes. Durant deux secondes des images et des sons viennent se superposer à ma vision… Je vois un lac bordé d’habitations, des voiliers qui naviguent sur l’eau étincelante, des automobiles roulent sur des routes sinueuses, des montgolfières et des parapentes décorent le ciel. Est-ce que je délire ? Je cligne des yeux et la situation est revenue à la normale.

— Il y avait une étendue d’eau avant ? Et c’était peuplé ?

— Oui, c’était durant un temps très ancien. La région était prisée par les voyageurs.

Puis la question qui me taraude depuis la veille sort :

— Grand’Pa, pourquoi as-tu quitté la cité ?

— La réponse se trouve en partie là-haut. Allez, remettons nous en route.

Nous repartons en sens inverse et nous nous enfouissons un peu plus dans la forêt.

Le vieil homme marche à allure moyenne devant moi. Le pépiement de divers oiseaux nous accompagne. Quelques fois, je crois apercevoir entre les branchages un chatoiement roux. Je ne sais pas ce que c’est. J’en fais part à mon guide qui se contente de réponses plus ou moins vagues. « C’est peut-être un mirage » ; « Ou un esprit de la forêt ».

Nous parvenons enfin à l’entrée d’une vaste grotte obscure. Les ténèbres qu’elles renferment ne me donnent pas envie de m’y aventurer. J’espère de tout cœur que ce n’est pas notre chemin. Grand’Pa agit alors de manière inattendue. Il pose ses paumes ouvertes et son front contre la paroi en pierre et ferme les yeux.

— Grand’Pa, est-ce que je peux savoir ce que tu fais ?

— Tu peux m’imiter et me dire ce que tu ressens.

Je suis troublée par cette proposition. Je m’attends à ce qu’il interrompe cette posture et éclate de rire. Les secondes passent. Il persiste. Je n’ai pas d’autre choix que de m’exécuter. Le contact de la pierre moussue est froid, humide, dur et cette situation est complètement insensée. Je lui dis mon ressenti. Il laisse des secondes s’écouler avant de me faire son retour.

— Je comprends que tu perçoives cette posture comme absurde, dit-il les paupières toujours closes. Mis à part cela, j’arrive à ressentir les minéraux qui composent la roche. Je les entends murmurer et d’une certaine manière, j’arrive parfois à communiquer avec eux.

Je ne peux pas m’empêcher de glousser. Cette situation est vraiment loufoque.

— Et qu’est-ce que racontent les minéraux ?

Grand’Pa se détache de la paroi et me darde un regard empreint d’exaspération contenue. Je cesse de rire tandis que sa tête fait un mouvement de négation.

Soudain, je sens que quelque chose vient vers nous et ce ne sont pas les minéraux qui me le disent, mais les vibrations qui font frémir le sol.


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