Secret

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Cher Timéo,

J’ai un secret.

Je tenais à te dire combien tu as été présent. Tu as été là à chaque moment. Ton sourire était là pendant le blizzard et tes yeux pendant le brouillard. Tu étais mon fil d’Ariane dans ma vie labyrinthique. Tu as été présent dès le début et tu es là encore. Alors merci de te tenir à mes côtés.

Je me rappelle de la première fois où on s’est vus. C’était en maternelle, tu jouais dans la cours, à côté du toboggan. Je n’aimais pas cet endroit, l’arbre à côté me faisait peur. Mais pourtant j’y suis allée, cette fois-là. Je t’ai y ai vu et je suis venue vers toi. Aller parler à quelqu’un me terrifiait encore plus que m’approcher de l’arbre. Mais toi, tu m’as semblé différent. Peut-être parce que tu étais seul toi aussi. Je t’ai tapoté sur l’épaule – tu étais accroupi, tu faisais une maison en écorce, je m’en souviens – et je t’ai dit avec toute la naïveté possible : « Garçon… Tu veux être mon ami ? ». J’ai l’impression que c’était hier : tu as écarquillé les yeux et tu m’as dit : « Oui ! ». C’était comme si tu avais accepté ma proposition de mariage. C’est depuis ce jour-là que nos ombres ne sont devenues qu’une.

Je me souviens aussi de la rentrée en CE1. On ne s’était pas vu pendant plus d’un mois, tu étais parti rejoindre ta famille à Alger. Je t’avais écrit des lettres, mais je ne crois pas que tu les avais reçues. Quand tu étais revenu – deux jour après la rentrée, je crois – tu t’étais assis à côté de moi et je ne t’avais pas tout de suite reconnu. J’étais habituée à tes cheveux courts, presque rasés. Mais sur ton crâne s’emmêlaient maintenant des boucles étroites et noires : tu t’étais laissé pousser les cheveux ! J’avais été tellement surprise que j’avais presque crié, tout le monde m’avait regardée. La maîtresse m’avait même regardé, mi-figue, mi-raisin. J’étais toute rouge.

Puis on a grandi. Les classes sont passées, les années ont défilé et on restait toujours ensemble. On ressemblait à deux lierres qui poussaient ensemble en s’entortillant l’un autour de l’autre sans pour autant se toucher. Ce n’est qu’en CM2 que je me suis rendue compte de l’étincelle qu’il y avait en moi. Elle n’était qu’une simple lueur rougeoyante, mais un souffle d’air l’avait soudain attisée. C’était quand tu m’avais prise dans tes bras, pour me réconforter. Ma mère venait de mourir, je n’étais pas venu à l’école pendant une semaine. Lorsque je suis revenue, c’est la première chose que tu as faite. Et ce souffle d’air que tu avais créé en moi avait non seulement avivé ma flamme, mais avait aussi commencé à tourner ma page.

Je n’en avais pas vraiment conscience, je savais qu’elle était là, mais je ne savais pas ce qu’elle signifiait. La sixième est arrivée, l’adolescence avec. Les sens s’affinaient, les envies se précisaient, les sentiments s’affolaient. C’est là que j’ai compris. J’avais en moi un secret. Un secret immémorial, intemporel, instable, constant, informe, intangible. Je n’avais qu’une envie, te le partager. Je ne l’ai pas fait. Je l’ai dissimulé derrière mes sourires, derrière mes regards, derrière mes paroles. Il poussait de toute ses forces, mais j’ai tenu bon. Et je souriais. Je souriais d’être avec toi. Je souriais de te connaître. Je souriais quand tu séchais mes larmes. Je souriais lorsque je te relevais. Et tu me souriais en retour. Alors je souriais de plus belle.

Le lycée est venu comme une feuille morte se dépose sur une surface d’eau. Il a créé des rides, des ondulations, qui ont agité mon petit radeau d’écume. On avait d’autre amis, mais avec aucun on ne partageait ce qui nous unissait. Mais la feuille morte emportée par le vent n’était que le début d’un orage : deux goûtes ont suivi. La première, la mort de mon père. Ce n’était pas surprenant, il l’attendait : l’alcool absorbé depuis le décès de ma mère avait enfin agi. La deuxième, elle. Elle, qui est arrivée dans notre classe. Avec ses yeux bleus en amande et ses cheveux de jais, tout le monde lui tournait autour. Et toi aussi. Tu n’y as pas dérogé. Oh, ce n’était rien de bien méchant, vous étiez juste amis, et elle était d’ailleurs très sympathique avec moi. Comme tu étais là, je souriais toujours, mais une ombre planait.

Tu étais très attentionné envers moi, en ces temps-là. Je venais de devenir orpheline, j’ai été placée en famille d’accueil. J’ai dû me battre pour aller au lycée, pour aller te voir. Tu étais devenu mon seul objectif. Mais malgré tes sourires, malgré tes encouragements, tu étais plus distrait. Tu la regardais elle aussi. Plus intensément. Je ne le supportais pas. Ma flamme en a vacillé, mais elle continuait de brûler. J’ai attendu. J’ai essayé de te donner une chance. Mais le fait s’est avéré avec le temps : tu te détournais de moi. Tu t’éloignais. Tu prenais un autre chemin. Alors la seule solution s’est imposée à moi : je devais te confier mon secret. Pour te ramener à moi. Pour t’aiguiller à nouveau.

Je l’ai fait un soir d’hiver, quelques jours avant Noël. Il neigeait, un tapis blanc étouffait nos pas. Tu avais le nez rouge et une écharpe cachait le bas de ton visage. Je me souviens d’avoir trouvé plus mignon que jamais tu ne l’avais été. Et, alors que des pétales blancs tournoyaient autour de nous, je te l’ai dit. Je t’aime. Ces deux mots m’ont brûlé malgré le froid qui régnait. Toi, tu es devenu encore plus rouge. Tu as passé la main sur tes cheveux, tu as bégayé puis tu m’as prise dans tes bras. J’ai senti la chaleur de ton souffle contre mon oreille et tu m’as chuchoté : « Je suis désolé… ». Alors, j’ai compris. Elle t’avait déjà eu. Ses yeux t’avaient déjà capturé. Peut-être même que vous sortiez ensemble. Je me suis enfuie. Je suis rentrée chez moi.

Aujourd’hui, une semaine est passée après ça. Je sais que je ne suis pas venue au lycée et que tu as essayé de m’appeler plusieurs fois. Mais pardonne-moi. Je n’avais pas la force. J’avais besoin de réfléchir. D’être seule. Maintenant, j’ai trouvé. Comme je te l’ai dit au début de cette lettre, j’ai un secret. Je vais te le dire. J’ai perdu tout horizon, tout but. Plus de mère. Plus de père. Et plus de toi. J’ai tout perdu. Mais je sais que j’ai encore une chance. Je peux tout retrouver. Une mère. Un père. Toi. Et alors, je serai heureuse. Ne sois pas triste, ne m’en veux pas. C’est mieux pour moi. C’est mieux pour toi. On se retrouvera, je te le promets. Alors, voici mon secret : je m’en vais.

Adieu, Timéo. Et merci. Merci d’avoir été là jusqu’au bout.

Diane

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