En chasse !

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La ville grouille, vit et s’agite, en proie à une activité perpétuelle. Que vienne la nuit, que naisse le jour, le rythme reste démentiel. Les puissants décident à son sommet, engoncés dans leurs brillantes tours d’argent, terrains de jeux des hirondelles. Ils ne savent rien de la vie ici-bas, de ses fardeaux et séquelles. Les nuages marquent la séparation entre ces deux parties d’un même monde, cynique et cruel. Le haut est exposé aux vents et à la lumière naturelle. Le bas s’éclaire à l’électricité et au fuel, plongé dans un brouillard délétère.

Abrité dans les tréfonds, à la base même de la cité de verre, se trouve le repère de la célèbre Dagna Mal’Tère. Tricheuse, voleuse, meurtrière. Elle est la lueur d’espoir des opprimés, un appel à la guerre, un danger constant, à l’image du tonnerre. Depuis trop longtemps, les seigneurs de la ville doivent veiller sur leurs bourses, toujours surveiller leurs arrières. Aujourd’hui, cela va cesser, car aujourd’hui, ils ont lâché la bête sur leur plus grande adversaire.

Celle considérée comme l’ennemi numéro un est à présent traquée. Un monstre rôde dans la cité. Une créature qui ne dort pas, qui ne mange pas, qui suit un battement de cœur effréné. Il ressemble à un homme, mais son esprit est animal, habité d’une fausse vérité. Il doit tuer, démembrer, dévorer la rebelle Dagna, et ce avec la plus grande cruauté. Le voilà qui déambule dans les rues sales et polluées. On ne l’approche pas, on s’éloigne de son chemin, il apprécie ces humains qui savent détecter le danger. Ses pas le mènent le long d'une artère secondaire, le flot de passants pourpres est régulier, apportant des victuailles aux différents organes de la cité. La couleur majoritaire est le rouge, sur les drapeaux, les capes, les murs, même les pavés... Un détail retient l’attention du damné. Sur la gauche, dans une ruelle sombre, un homme est affalé contre le mur et tache déjà le sol de son sang séché.

Cet humain a de Dagna Mal’Tère son odeur. Pas d’hésitation possible, le poursuivant oblique vers lui, l’ombre qu’il projette fait naître peur et douleur dans son cœur. Le pauvre essaye de fuir, sans succès, l’autre émet un rire moqueur. Il rattrape l’homme se traînant et le plaque haut contre le mur, contenant à peine sa fureur.

« Est-ce sa senteur que je sens séant sur ces frusques suintantes ? » dit-il d’une voix sifflante en jouant d’un doigt griffu sur la tunique sanglante. Le blessé le fixe avec terreur, indique du regard une porte proche à la décoration charmante. Le traqueur le renifle, méfiant, il respire à peine, son âme n’est guère brillante. Point de mensonge en lui, il s’en délaisse et s’approche de l’entrée colorée, illuminée de néons et d’hologrammes de fleurs captivantes. Il enfonce cette dernière d’un solide coup de pied et se mêle à une atmosphère menaçante.

Miroirs et lumières se jouent de lui. Dans son dos, ne reste qu’un mur lisse et uni. L'issue évanouie, il ne lui reste qu’à plonger dans le piège tendu par Dagna qui a donc choisi de mourir ici. La traque s'achève, il s’en réjouit.

« Ci-donc se situe sa secrète bâtisse. » se murmure-t-il à lui-même, ne voyant pas l’ombre cachée au-dessus de sa tête. Sans le fin clic d’amorce de l’arme, c’en aurait été fini, le monstre serait devenu carpette. Il bondit par instinct sur la gauche, le sol explose là où il se tenait alors que Dagna sortait de sa cachette. La femme le surplombe de son mépris et le vise à nouveau, il réplique d’une balayette. Elle esquive le premier assaut, mais la voilà en l’air, mûre pour la sanglante cueillette. La créature aux traits humains se jette sur elle d’une puissante impulsion des jambes, les dents prêtes à déchiqueter la gorge offerte. Dagna a juste le temps de lui donner un coup de crosse sur la tempe, sans effet sur l'abjecte bête. Il se saisit d’entre ses mâchoires du pistolet et le réduit en miettes. Sa proie recule de plusieurs sauts agiles, il l’accompagne dans sa fuite désuète. Dès qu’elle ralentit, il se jette sur elle et la projette ! Son corps heurte durement l’un des miroirs qui se brise en un millier d’éclats dont elle attrape le plus tranchant, arme sans tête.

« Sens cette saveur si savoureuse, satanée souris. Cette souffrance à surgir, rien que pour toi ! » fait le monstre qui jubile. Ses gestes se font fébriles alors qu’il approche de la femme immobile. Elle plante son couteau improvisé dans un geste inutile. Point de cœur dans la poitrine de son traqueur hostile. Elle tremble, abandonne toute fierté, gémit, supplie qu’il la laisse en vie, qu’elle sera docile.

La bête ne prend pas la peine de répondre à sa victime. Il s’agenouille au plus près, remet derrière l’oreille une mèche de cheveux, collés par la sueur, dans un geste intime. Son souffle est extraordinairement calme, à l’inverse du pouls de Dagna qui pulse le sang à plein régime. Il se penche lentement, doucement, dans ce moment qui précède une grande sauvagerie, il la trouve sublime. Elle est plaquée contre le mur, bloquée contre son corps brûlant, amorce une respiration ultime.

Alors, la créature frappe. Ses crocs percent la chair, trouvent la carotide qu’ils découpent avec facilité et s’abreuve du fluide vital qui s’écoule en grappes. Dagna hurle, un instant du moins, avant que sa voix ne s’éteigne dans un gargouillis que rien ne rattrape.

Bien après sa mort, le monstre s’acharna sur le corps de Dagna. Une fois repu, il prit la direction de ses maîtres réfugiés dans les hauteurs de Manderr’Ana. C’est ainsi que sa mortelle quête s’acheva.

Rien ne bougea pendant un temps sombrement long. Puis, une autre porte se matérialisa dans le mur en béton. Plusieurs personnes masquées en sortirent, se répartissant dans la pièce à l'affût d’un potentiel danger à leur attention. Une seule s’approcha du corps décharné de Dagna sans appréhension. Elle retira sa capuche, c’était une femme, le sosie de Dagna, sa copie, ou l’originale, qui observait la morte avec attention.

« Je me remercie... » lâcha la vivante d’une pointe de tristesse en se relevant. Elle fit un geste du bras pour augmenter la luminosité, révélant le visage de ses compagnons haletants.

Le même visage, la même haine dans le regard, le même désir d’en finir avec ces horreurs sans fin. Il était temps de mettre en branle leur noble destin.

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